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Lifestyle - Beyrouth Insight

« Thaoura saj », le récit d’une reconversion

Elle a révélé des talents, de belles âmes, des personnes extraordinaires et des histoires à conserver en mémoire. Celle de Mark Khalil Darido, 24 ans, et Roudy Hanna, 22 ans, fait partie des surprenantes pages de la thaoura.

Rien n’arrête Mark Khalil Darido et Roudy Hanna, posant fièrement devant leur « thaoura saj ». Photo C.H.

Il est 15 heures passées, et le Soleil rosé, presque froid, chargé de quelques nuages, dépose ses dernières ombres et ses premiers frissons sur la place des Martyrs. Les passants sont rares en ce lundi de février, dans le centre-ville de Beyrouth. Des habitués, des nostalgiques, des convaincus et puis les irréductibles. Ceux qui continuent à y vivre, à dormir sur la place de tous les possibles, à y croire, depuis quatre mois. Tout le monde semble se connaître. D’ailleurs, tout le monde se salue avec un sourire presque complice. Dans cet « entre-deux », entre soulèvement et apaisement (provisoire), manifestations et attentes, espoir(s) et désespoir(s), la vie continue, s’organise, se réorganise au gré des événements, des saisons, du temps qui passe. Sous le poing d’honneur, exactement, à côté du Phoenix, non loin de la sculpture La révolution est une femme de Pierre Abboud, deux jeunes compères, cravate pour l’un, tablier et gants pour l’autre, animent les lieux depuis une courte semaine. « On vous a vus à la télé », lance un passant, avant de commander à Mark une man’ouché « à ton goût ». Un bonnet sur la tête, le tablier de service, les gants, voilà le jeune homme à la barbe fournie qui s’attelle à la tâche alors que Roudy, lunettes d’intellectuel, barbe plus soignée et cravate, se charge de servir le jus d’orange frais aux clients qui commencent à se faire nombreux.

« Nous avons été virés, mais nous n’abandonnerons pas. Bienvenue à Thaoura saj ! » peut-on lire sur le saj qui leur sert de four. Et dont les côtés sont « bardés » de leurs (inutiles) diplômes : hospitality management pour l’un, Mark Khalil Darido, 24 ans ; et computer science pour l’autre, Roudy Hanna, 22 ans. L’histoire de ces deux compères fait le tour des réseaux sociaux et des plateaux télé. Des chaînes russe et norvégienne en ont même fait, très rapidement, les invités stars dans une de leurs émissions. « Nous n’avons jamais cru que notre histoire serait à ce point médiatisée et aussi vite », disent-ils en chœur. Pour preuve, ce flux ininterrompu de messages qu’ils reçoivent, de réactions sur leurs comptes Instagram, Twitter et Facebook, et qui sont autant d’encouragements dans cette nouvelle aventure qui s’est invitée, voire imposée dans leur vie.



Un dernier café
C’est pourtant une histoire simple, au départ presque triste, sûrement regrettable. Celle de deux jeunes devenus chômeurs « en raison de la situation économique actuelle » et qui décident de réagir, sans complexe et sans craintes, en se « recyclant ». En mettant les mains (gantées) à la pâte, sans en avoir aucune notion, voilà que, grâce à leur inébranlable optimisme, à leur énergie et à cette force que leur a données la révolution – ils n’ont pas raté une manifestation depuis le 17 octobre –, Mark Darido, qui vient de Zahlé, et Roudy Hanna, de Tripoli, sont vite devenus un exemple…

« Nous sommes amis et voisins en plus, depuis quelques années, raconte Roudy. Un matin, Mark m’invite en me disant : « viens prendre le café, c’est peut-être le dernier que je pourrais te servir avant que je ne reparte à Zahlé… » « Au cours de ce « dernier repas », ils passent en revue les possibilités de trouver un job, « zéro chance », et la nécessité d’en trouver un, « juste pour pouvoir payer le loyer à la fin de chaque mois ». Les deux ayant commencé à travailler très tôt, prêts à tout, pleins d’idées, et sous l’impulsion de Roudy, « j’ai un saj et un pressoir », confie-t-il à son ami, l’idée s’impose. Le premier jour, sans prévenir, ils s’installent sous un arbre puis dans le parking adjacent, avant de conquérir la place. « Personne, précise Mark, n’a osé nous parler. » « On ne savait pas comment faire des manakich, ce sont des connaissances qui possèdent une boulangerie qui nous ont appris les ficelles du métier. Ce sont eux d’ailleurs qui nous livrent la pâte et les préparations au quotidien. »


Célèbres sans le vouloir
Repérés au deuxième jour par des passants affamés qui écoutent leur histoire, Mark et Rudy, « les rois des tweets », partagent chaque instant de cette nouvelle vie avec humilité mais aussi avec une petite fierté. Dès les premières heures, leur témoignage devient viral sur les réseaux sociaux. « Nous recevons beaucoup de soutien de gens que nous ne connaissons même pas, et c’est génial. Quelqu’un nous a même mis sur Zomato ! » Pareil pour les « habitants » de la place, les habitués, qui les reçoivent les bras ouverts, les gourmands qui prennent goût à leurs manakich et Houda, l’amie qui vient au quotidien leur porter assistance et s’assurer que rien ne leur manque. Debout de 10 heures à 22 heures, de jour comme de nuit, sur une place qui n’est même plus éclairée – une restriction de plus qui ne dissuadera personne de rester –, ils répondent aux demandes des clients pas pressés, distribuent gratuitement certaines manakich aux « amis résistants » et « remercient le ciel que ça marche ! ».

Au bout de cette longue journée habitée de rencontres et réchauffée de sourires et d’échanges, il se met à pleuvioter, et l’on s’inquiète pour le duo. « Pas de souci, confient-ils en chœur, on nous a généreusement offert une tente que l’on installe demain… » Et parce que, pour eux, la générosité doit aller dans les deux sens, Mark Darido et Roudy Hanna ont participé hier à une levée de fonds, une Thaoura Saj Night, pour l’ONG Chaabi mass’ouliati. « Tous les bénéfices permettront d’assurer de la nourriture et un logement aux personnes démunies », assure le duo qui goûte aux saveurs d’une soudaine célébrité qu’il n’a pas cherchée, tout comme celles de leurs galettes au thym et au fromage.



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Il est 15 heures passées, et le Soleil rosé, presque froid, chargé de quelques nuages, dépose ses dernières ombres et ses premiers frissons sur la place des Martyrs. Les passants sont rares en ce lundi de février, dans le centre-ville de Beyrouth. Des habitués, des nostalgiques, des convaincus et puis les irréductibles. Ceux qui continuent à y vivre, à dormir sur la place de tous les...

commentaires (3)

BRAVO! Dans la jeunesse libanaise, il y a ceux qui donnent à manger aux libanais et ceux qui leur donnent des coups de bâtons et de couteaux.

Sissi zayyat

15 h 40, le 06 février 2020

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Commentaires (3)

  • BRAVO! Dans la jeunesse libanaise, il y a ceux qui donnent à manger aux libanais et ceux qui leur donnent des coups de bâtons et de couteaux.

    Sissi zayyat

    15 h 40, le 06 février 2020

  • Courage, bravo.

    Eddy

    13 h 19, le 06 février 2020

  • VIVANTE GENEROSITE ! pour que vive le Liban généreux;J.P

    Petmezakis Jacqueline

    10 h 16, le 06 février 2020

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