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Lifestyle - Beyrouth Insight

Gaby Khairallah, prêtre (et) révolutionnaire

Il est sur tous les fronts de la révolution. Des places des manifestations aux tentes des débats, en passant par les marches pacifiques et les actions sociales, le père Gaby Khairallah est partout présent là où sa voix peut porter, où son dynamisme et ses idées peuvent servir... à changer les choses.

Le père Gaby Khairallah, idéaliste et actif. Photo Michel Sayegh

L’amour du prochain l’a mené à la prêtrise. La quête de sens l’a fait quitter son travail à Marseille (au sein de la compagnie CMA CGM) et « une vie des plus agréables » à Aix-en-Provence pour entrer dans les ordres à l’âge de 32 ans. Chez les jésuites, évidemment, pour cet ancien élève du collège Notre-Dame de Jamhour. « Chez les jésuites, parce que ce sont des missionnaires baroudeurs, des gens qui n’ont peur de rien, qui sont souvent présents là où l’Église n’est pas », souligne celui qui en a certainement le profil.

Abord simple, débit dynamique et tenue de ville, en jeans et pull, à 50 ans tout ronds, le père Gaby Khairallah est un prêtre moderne. Proche de ses ouailles, proche de ses étudiants, proche des gens, il dégage une sympathie naturelle que viennent renforcer ses propos clairs, directs, parfois même audacieux. Surtout pour un homme d’Église au Liban qui s’exprime sur des sujets aussi sensibles que l’unification du statut personnel des Libanais et l’instauration du mariage civil… Idem quand il avoue être resté trop longtemps cantonné « dans un certain périmètre bourgeois », entre l’église Saint-Joseph de Beyrouth où il célèbre la messe, l’université de l’USJ, Sciences Po Paris où il enseigne la littérature et le Centre de la jeunesse chrétienne (CJC de l’USJ) dont il est le codirecteur.


« J’étais frustré… »

Ce double rôle d’abouna et prof concrétisait pourtant ses rêves d’enfant. Sauf que la révolution, en réveillant son esprit contestataire, l’a propulsé sur un autre terrain, celui de la rue et d’une plus large tranche de la population libanaise. « Jusque-là, je n’avais pas eu l’occasion de frayer avec les habitants des autres régions, voire même des autres quartiers de Beyrouth. Alors qu’aujourd’hui je manifeste aux côtés de gens de Tripoli, de Saïda ou encore de Khandak el-Ghamik où, avec deux autres prêtres, j’ai participé à la marche des femmes pour la paix », affirme-t-il des étincelles plein les yeux.

« Pour moi, qui ai passé la moitié de ma vie en France, cette révolution m’a révélé mon attachement viscéral au Liban et aux Libanais. En fait, elle répondait quelque part à mes attentes. À ce désir de combattre l’injustice, à ce souci des pauvres, qui ont toujours été mon moteur profond », confie le père jésuite. Et de poursuivre : « J’étais frustré. Je ne comprenais pas comment personne ne réagissait face à ces politiciens qui gangrenaient le pays et faisaient basculer sa population dans la pauvreté. Depuis 2018, mes étudiants me faisaient part de leur crainte du chômage, certains de mes amis et de mes paroissiens perdaient leurs emplois, d’autres à la tête de petites et moyennes entreprises étaient obligés de licencier… »


Dans la rue au premier jour

Dès le 17 octobre au soir, le père Gaby Khairallah rejoint donc les protestataires sur les places publiques, « non pas pour manifester contre quelqu’un », assure-t-il, en rappelant qu’il n’est affilié à aucun parti, « mais simplement dans un esprit de solidarité et d’équité sociale ».

Le premier mois de la révolte, il le passe dans la rue, du matin au soir, « parmi les manifestants et auprès de mes étudiants ». Il y constate « la réalité de la prise de conscience de ce peuple qu’on croyait complètement anesthésié par la pègre politique qui le gouverne. Son intelligence et son bon sens. Sa curiosité pour la chose publique qui s’est exprimée lors des débats que les professeurs d’université, l’USJ en tête, ont rapidement mis en place sous les tentes au centre-ville de Beyrouth », s’enthousiasme-t-il, en omettant de préciser qu’il en a été l’une des principales chevilles ouvrières.

Il découvrira aussi, admiratif, « le rôle primordial des femmes dans cette thaoura courageuse, civilisée et salutaire ». Mais c’est sur le terrain qu’il va se retrouver aussi directement confronté à la misère. « Car la pauvreté qui pointait dès 2018 est devenue aujourd’hui misère », alerte le dynamique père jésuite. Lequel dès le mois de décembre va réduire ses participations aux manifestations aux seuls week-ends, pour se consacrer, en parallèle, à l’action sociale.


Combattre la misère

« Je me suis posé, à la manière de Kant, les questions suivantes : qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je peux espérer ? Et en discutant avec le provincial (NDLR : le R.P. Dany Younès), on s’est dit qu’il fallait recourir au potentiel humain de l’Église. Nous avons commencé par lancer un appel durant la messe pour récolter des boîtes d’aliments à distribuer aux familles les plus démunies, durant la période des fêtes. Une demande à laquelle les paroissiens ont répondu avec une magnifique générosité. Encouragés par l’engagement et la disponibilité de personnes dévouées, qui ne sont pas juste des “chrétiens du dimanche”, nous avons aussi dynamisé le CJC qui offrait déjà quelques déjeuners par mois aux vieillards démunis en les servant aussi tous les samedis et dimanches à midi. Et puis récemment nous avons relancé l’activité du dispensaire des jésuites (rue de l’Université Saint-Joseph), grâce au bénévolat d’un groupe de médecins de l’Hôtel-Dieu qui s’y relayent 2 jours par semaines. » Le prochain projet ? « On essaye de mettre en place des collaborations pour combattre l’illettrisme bien plus répandu qu’on ne le pense dans certaines régions du pays, et même certains quartiers de la capitale. D’autant qu’une des craintes que j’éprouve, quant à l’avenir du pays, concerne la baisse de la qualité de son système scolaire induite par la paupérisation galopante et la fermeture de nombre d’écoles privées », révèle le prêtre professeur.


Grandes espérances

Un bref instant de découragement et revoilà l’optimisme du père Gaby qui refait surface : « Certes, on va passer par des moments difficiles, des mois, voire des années, mais il faut que cette prise de conscience des Libanais perdure jusqu’à aboutir à de vraies réformes politiques. » Et de décliner ses « grandes espérances » pour le pays du Cèdre : « L’indépendance de la magistrature ; le lancement d’audits pour une vraie politique anticorruption ; un renouvellement de la classe politique par une émergence de la société civile qui progresse au mérite et remplace ce système féodalo-confessionnel qui a engendré le clientélisme. Et, plus concrètement, une politique a minima d’acquis sociaux. Mais pour cela, il faut que les femmes n’abandonnent pas la lutte, qu’elles réoccupent la place parce qu’elles sont à la fois plus déterminées et beaucoup plus modérées que les hommes », insiste ce prêtre révolutionnaire, de plus en plus convaincu que « Dieu n’est pas cantonné dans les églises ».


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Bravo, bravo, bravo.

Eddy

11 h 52, le 23 janvier 2020

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  • Bravo, bravo, bravo.

    Eddy

    11 h 52, le 23 janvier 2020

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