Journalistes et photographes de presse seraient-ils devenus les boucs émissaires des forces de sécurité ces derniers temps ? Une question que se posent de plus en plus les professionnels du secteur au Liban, notamment après les violences dont ils ont été victimes mercredi soir alors qu’ils couvraient les violences commises par les services de sécurité à l’encontre de manifestants rassemblés devant la caserne Hélou à Beyrouth. Des dizaines de journalistes très remontés contre ces mauvais traitements ont organisé un sit-in hier devant le ministère de l’Intérieur à Sanayeh. Ils ont pu s’entretenir brièvement avec la ministre de l’Intérieur Raya el-Hassan, conspuée dernièrement pour sa gestion des violences policières.
« Nous ne justifions pas ces actions, mais les forces de sécurité sont fatiguées, elles sont tout le temps mobilisées. Les policiers ne dorment pas et se font insulter et agresser. J’aimerais que vous vous mettiez à leur place. Ils sont soumis à beaucoup de pression et 100 policiers ont été blessés dernièrement », a lancé Mme Hassan, qui tentait de se justifier face à une foule en colère. Dans l’après-midi, c’était au tour du directeur général des Forces de sécurité intérieure, le général Imad Osmane, de s’expliquer lors d’une conférence de presse durant laquelle il a présenté ses excuses aux journalistes (voir par ailleurs).
« Toute agression contre les journalistes est inacceptable et condamnable », avait dit Raya el-Hassan sur son compte Twitter plus tôt dans la journée, exprimant sa solidarité envers « le quatrième pouvoir, porte-voix des gens qui souffrent ». « J’assure également que les agents des Forces de sécurité intérieure et les manifestants pacifiques font partie de la société. Ce qui s’est passé hier est une exception, pas la règle », a-t-elle ajouté, indiquant que le dossier « a pris la voie de la reddition des comptes ».
« Nous condamnons les violences contre les journalistes et j’en porte l’entière responsabilité, étant donné que je suis au haut de la pyramide. Mais je n’ai pas donné des directives allant dans ce sens », a encore assuré la ministre aux journalistes.
(Lire aussi : HRW dénonce les atteintes au droit de manifester)
« Rien ne justifie cette sauvagerie »
Un discours peu convaincant, selon les journalistes présents sur place qui n’ont cessé de couper la parole à la ministre de l’Intérieur, notamment les nombreux photographes de presse qui ont fait les frais de la violence policière mercredi. Marwan Tahtah, photographe au quotidien al-Akhbar, estime que « les officiers n’arrivent pas à contrôler leurs subordonnés ». « Les agents des forces de sécurité se sont laissé emporter et ont eu des comportements excessifs envers les journalistes, même lorsque les officiers leur demandaient de se calmer », confie-t-il à L’Orient-Le Jour. « Ils nous ont empêchés de filmer leur violence envers les manifestants devant la caserne Hélou. Rien ne justifie cette sauvagerie », ajoute-t-il. « Raya Hassan essaie de se justifier en disant que les policiers sont fatigués. Mais je ne comprends pas pourquoi nous devons payer le prix de cette fatigue. À aucun moment elle n’a promis de demander aux policiers de cesser de s’attaquer aux journalistes », souligne M. Tahtah.
Jad Chahrour, responsable de la communication du centre SKeyes pour la liberté de la presse et de la culture, affirme à L’OLJ que le centre a dénombré « plus de 15 violations concernant les journalistes en moins de 24 heures, y compris des destructions de matériel, des menaces et des agressions physiques ». « Ce qui s’est passé hier n’est pas nouveau. SKeyes a dénombré plus de 390 violations envers les secteurs médiatique et culturel ces trois dernières années », souligne M. Chahrour.
Parmi les journalistes pris pour cible mercredi soir, le photographe Issam Abdallah de l’agence Reuters, qui a été blessé et s’est vu poser quatre points de suture sur la tête. La mobylette d’un de ses collègues a également été atteinte. « Hier, pendant que je filmais les événements devant la caserne Hélou, j’ai été arrêté pendant quelques minutes avant d’être relâché après qu’on m’a demandé d’arrêter de filmer », a témoigné pour sa part Hussein Beydoun, photographe de presse pour le site d’information al-Arabi al-Jadid. « J’ai été menacé et insulté, ils m’ont demandé d’effacer mes photos. J’ai refusé. Deux policiers m’ont ensuite reconnu et ont demandé aux autres de me relâcher », raconte-t-il.
« Il leur était complètement égal que nous soyons de la presse. Ils nous insultaient et nous menaçaient. Or, la liberté de presse est sacrée », indique pour sa part Saadeddine Rifaï, dit Abou Omar, caméraman de la chaîne al-Jadeed dont la caméra a été cassée mercredi et qui s’en est sorti avec quelques contusions. « Je filmais mercredi en compagnie du journaliste Ramez el-Kadi quand nous avons été agressés. Ramez el-Kadi a reçu une grenade lacrymogène au pied. Ils se comportaient comme des sauvages et donnaient des coups aux gens », raconte M. Rifaï à L’OLJ. « Les explications de Mme Hassan ne sont pas convaincantes. Il y a des limites à respecter. Ils essayaient de réprimer la manifestation avec sauvagerie. J’ai essayé d’expliquer hier aux militaires que nous sommes aussi fatigués qu’eux », ajoute-t-il.
Lire aussi
Le cèdre et le néant, le billet de Gaby NASR
Un gouvernement « du moindre mal » verrait le jour incessamment
Mme. Hassan est aussi prisonnière je ne sais de quel pouvoir
19 h 50, le 19 janvier 2020