De retour hier à Beyrouth, le Premier ministre sortant Saad Hariri a présidé lui-même la réunion hebdomadaire de son groupe parlementaire et a pris soin de répondre à ses détracteurs qui lui reprochaient d’avoir tourné le dos à ses obligations en matière d’expédition des affaires courantes.
Dans une conversation à bâtons rompus avec des journalistes à la Maison du Centre, Saad Hariri a expliqué qu’il n’a pas failli à ses obligations de Premier ministre chargé d’expédier les affaires courantes, mais qu’un gouvernement de cette nature ne peut pas prendre des mesures allant dans le sens d’un règlement de la crise économique et financière puisqu’il devra pour cela entrer en contact avec des institutions internationales, telles que le FMI et la Banque mondiale. Or la Constitution ne l’autorise pas à procéder à ce genre de contacts et donne une définition très restrictive des affaires courantes, a-t-il précisé. « Sauf si vous voulez que j’enfreigne la Constitution », a lancé M. Hariri.
Il a en outre rejeté les accusations de blocage de la formation du gouvernement, reprochant à « ceux qui pratiquent eux-mêmes le blocage de lui attribuer leurs déboires ». « Qu’on cesse de tourner en rond pour parler d’une solution. Le seul règlement possible passe par la formation d’un gouvernement. Cette mission est du ressort du Premier ministre désigné, Hassane Diab, et de ceux qui l’ont désigné (en allusion au CPL et au tandem chiite, Amal et le Hezbollah). Qu’il forme le gouvernement en accord avec le président de la République, point à la ligne », a-t-il lancé. Selon lui, « il est possible de sortir du tunnel obscur dans lequel le Liban est engagé, mais à condition de mettre de côté les divergences et de confier les portefeuilles ministériels à des personnes capables de les diriger grâce à leurs compétences. Y a-t-il au monde un pays autre que le Liban qui nomme des ministres non spécialisés au sein de son gouvernement ? » s’est-il interrogé.
La réunion hebdomadaire du groupe du Futur hier se distinguait cependant des précédentes, dans la mesure où elle n’était pas limitée aux seuls députés et ministres du courant du Futur mais a réuni autour de son chef les anciens ministres et députés haririens qui ont réussi à braver la fermeture des routes menant au centre-ville de Beyrouth. Parmi ces derniers, des faucons du parti comme Ahmad Fatfat, qui s’était éloigné à un moment donné de la formation politique, pendant que Saad Hariri se rapprochait de plus en plus du CPL et de l’axe que celui-ci forme avec le Hezbollah.
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Une remise en question
Le fait que Saad Hariri ait voulu d’emblée réunir autour de lui presque tous ses camarades de combat dénote une volonté de remise en question et de refonte au sein du parti. Ce d’autant plus que la politique que le chef du courant du Futur avait suivie, depuis qu’il s’est engagé dans le compromis présidentiel grâce auquel le général Michel Aoun avait pu être élu à la tête de la République, n’était pas toujours approuvée par son public. Le mode de gouvernance qui avait conduit au soulèvement du 17 octobre, mais aussi la colère de la rue contre sa propre personne font qu’aujourd’hui, pour Saad Hariri, l’heure est au bilan.
Selon des sources proches du courant du Futur, il est encore prématuré de dire si M. Hariri va se placer ou non dans l’opposition. Avant son départ pour Paris, il avait annoncé qu’il fera connaître sa décision, une fois de retour à Beyrouth, après un séjour passé aux côtés de sa famille dans la capitale française, pour les fêtes de fin d’année. De mêmes sources, on indique qu’il va avoir une série de concertations politiques allant dans le prolongement des positions qu’il avait prises avant les fêtes, avant d’annoncer son positionnement. M. Hariri avait été excessivement sévère envers le chef du CPL Gebran Bassil, lors d’une réunion informelle avant Noël avec des journalistes à la Maison du Centre, lui reprochant de vouloir lui-même former le gouvernement de Hassane Diab. Il avait aussi assuré qu’il n’était pas question pour lui de participer à ce cabinet ou aux tractations devant mener à sa naissance.
Sa priorité reste pour l’heure le chantier interne qu’il compte lancer, confirme l’ancien député Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur. Cette instance avait adopté la semaine dernière une recommandation qu’elle a soumise à son chef pour rétablir le contact avec l’ensemble des anciens membres et cadres du parti, dans la perspective d’une refonte qui corresponde à la gravité de la situation dans laquelle le pays se trouve à tous les plans.
Selon M. Allouche, cette procédure s’impose, maintenant que la page du compromis présidentiel a été tournée. À ses yeux, il n’est pas nécessaire que le chef du courant du Futur aille loin dans la confrontation, mais il peut établir des ententes politiques dans l’intérêt du pays. L’ancien député a révélé dans ce contexte que des conseils ont été donnés à Saad Hariri pour œuvrer afin de réunir les forces souverainistes dans un même camp, ce qui signifie concrètement une reconstitution du 14 Mars.
Quoi qu’il en soit, le courant du Futur reste très critique à l’égard des pratiques qui marquent la mise en place du cabinet, comme le montre le communiqué rendu public au terme de sa réunion. Le texte, dont lecture a été donnée par la députée Roula Tabch, dénonce « un retour à la rengaine des tiraillements autour des prérogatives et des critères requis pour la formation du gouvernement », ainsi qu’un « déni des dangers économiques et financiers qui guettent le pays ». Il s’étonne de « l’insistance à ignorer les changements imposés par la contestation populaire » et appelle à « mettre fin aux épreuves de force s’articulant autour de questions de partages de parts ».
Le texte fait part aussi de « l’étonnement » du courant du Futur « face à l’incapacité des groupes parlementaires qui avaient désigné Hassane Diab pour diriger la nouvelle équipe ministérielle à s’entendre sur une formule qui puisse briser l’immobilisme qui dure ». Il met l’accent sur la responsabilité du président de la République et du Premier ministre désigné à ce niveau et appelle « à faire cesser les interventions suspectes dans le choix des ministres ».
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Le Ring fermé jusqu’à nouvel ordre
Si Saad Hariri revient, pourrait-il imposer ses ministres technocrates sans avoir la bénédiction de HB Berry et le CPL où il revient pour faire des concessions et nous faire croire qu'il a formé LE GOUVERNEMENT tant attendu par les citoyens et qui sera purement technocrate et honnête? Je ne le crois pas. Avant que Diab ne soit nommé, des rapprochements avec le HB et Berry ont fuité. Si c'est pour recommencer la même chose qu'il y a des années c'est à dire céder pour garder le poste ce n'est même pas la peine que Hariri revienne il va se faire grillé comme le souhaitent ce trio et nous amener droit dans le mur. Il revient à la seule condition de désobéir à tous et de former son gouvernement loin des partis puis l'annoncer publiquement en même temps qu'au president pour montrer qui bloque ce pays et pour quelles raisons.
18 h 14, le 15 janvier 2020