C’est à une randonnée en tout point sidérale qu’ont eu droit, hier, les ambassadeurs et chefs d’organisations internationales accrédités au Liban. Tels en effet des astronautes à bord de quelque vaisseau spatial, ils ont pu observer dans toute leur splendeur, et à quelques minutes d’écart, deux planètes on ne peut plus différentes et apparemment destinées à ne jamais évoluer en harmonie dans le minuscule firmament libanais.
En début de journée, chez eux ou dans leurs bureaux, les membres du corps diplomatique ont ainsi pu suivre, à la télévision, le réveil d’un volcan entré en éruption un certain 17 octobre et que d’aucuns croyaient quasiment éteint, parvenu à bout de lave. Faux : le mauvais temps aidant, la révolution était seulement en état de veille, d’expectative. Et c’est avec la plus grande énergie que les manifestations à Beyrouth et en province, accompagnées de blocages de routes, viennent d’ouvrir la bien nommée semaine de la colère. Changement de cadre, peu après : partis présenter leurs vœux protocolaires du Nouvel An au chef de l’État, les mêmes diplomates n’ont pu que constater, par la vue et l’ouïe, à quel point le pouvoir, jusque dans son incarnation la plus prestigieuse, demeure sourd aux revendications populaires, figé dans ses méthodes et artifices surannés, tournant à vide sur son orbite bien à lui.
La journée d’hier est d’autant plus particulière qu’elle a mis en scène, et même au centre de la scène, la jeunesse du Liban : collégiens et étudiants d’université, premiers concernés par l’actuelle quête de changement et premiers bénéficiaires du salutaire sursaut auquel ont fini par se résoudre, à force de frustrations et d’avanies, leurs aînés. En dépit des ambiances familiales qui ont pu entourer leur croissance, les jeunes Libanais n’ont pas eu le temps matériel de cultiver, d’ancrer en eux l’une ou l’autre de ces ataviques obédiences sectaires, partisanes ou claniques ; même si cela était, ils sont plus prompts et plus décidés à tout jeter par-dessus les moulins. Au contraire des adultes habitués, eux, aux mille tours et détours de la gent politicienne, ils ne comprennent tout simplement pas que des responsables ayant charge d’âmes puissent demeurer indifférents aux plaintes du peuple ; insensibles aux crachats lancés à leur face et qu’ils prennent pour de la pluie; impassibles face au pitoyable naufrage économique de tout un pays.
C’est précisément cette jeune et sincère soif de renouveau éthique, de barrage à la corruption, que ne manquait pas de saluer hier le nonce apostolique et doyen du corps diplomatique, en présentant ses vœux au président de la République. Mgr Spiteri ne faisait certes que traduire en termes courtois l’étonnement maintes fois formulé, la stupéfaction de la communauté internationale face à l’incroyable lenteur, l’inimaginable inertie dont font preuve les responsables dans le traitement d’un problème exigeant pourtant des solutions de la plus grande urgence, à commencer par la formation d’un gouvernement viable. Comme les manifestants, comme vous et moi, c’est en fait le monde tout entier qui ne comprend pas par quel funeste sortilège les intéressés eux-mêmes restent les premiers… à n’avoir toujours rien compris.
Dans son adresse aux diplomates, c’est une fois de plus à un plaidoyer pro domo qu’a eu recours le président Aoun. Cette crise d’une gravité sans précédent ? Le résultat cumulé de facteurs extérieurs et de décennies de politiques économico-financières erronées ainsi que de corruption. Le nouveau gouvernement qui n’en finit pas d’être formé ? On y travaille, mais nombreux sont les obstacles : et motus, bien évidemment, sur les principaux faiseurs d’obstacles, dont le moindre n’est pas Monsieur Gendre. Le chef de l’État a bien voulu, du moins, reconnaître à la contestation populaire le bien-fondé de ses doléances, ainsi que le mérite d’avoir poussé à la roue d’une nécessaire opération d’assainissement ; mais c’était pour lui reprocher aussitôt de s’être laissé récupérer par certaines fractions politiques et d’avoir cédé à des rumeurs malveillantes pour manquer de discernement dans la désignation des hauts lieux du gaspillage et de la corruption.
De cette partielle et consternante étude de texte, on retiendra surtout l’affirmation de Michel Aoun qu’il continue de compter sur les braves citoyens, qu’ils soient dans la rue ou bien au chaud chez eux, pour lutter contre la corruption. N’ayez crainte, Monsieur le Président, vous ne risquez pas d’être déçu.