Les jours passent et le feuilleton de la formation du gouvernement se poursuit, s’articulant autour de futiles calculs politiques et règlements de comptes, à l’heure où les indicateurs économiques sont au rouge et où la crise sociale ne cesse de s’aggraver, dans un pays qui glisse désormais vers l’effondrement.
Et, au lieu de mettre les bouchées doubles pour former un gouvernement dans les plus brefs délais, les protagonistes concernés par les tractations continuent de faire sciemment la sourde oreille tant à la communauté internationale qu’au patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, et au mouvement de contestation. Ils retardent donc la mise sur pied d’un cabinet de spécialistes indépendants, croyant ainsi pouvoir préserver leur poids politique, mais aussi et surtout les droits de leurs communautés.
C’est dans ce contexte tendu qu’est intervenue la guerre des prérogatives qui a opposé, durant le week-end, la présidence de la République au Premier ministre désigné Hassane Diab.
Plus de trois semaines après sa nomination, M. Diab est sorti de son silence et a tenté de mettre les points sur les i au sujet du processus de formation du cabinet, excluant catégoriquement son retrait de la scène et détaillant « les critères » auxquels obéit le processus ministériel. « Il a été convenu, avec tous les protagonistes, que soit formé un cabinet conforme aux critères suivants : une équipe restreinte de 18 ministres spécialistes indépendants. » Et M. Diab d’ajouter le non-cumul des mandats parlementaire et ministériel, l’importante participation des femmes, et la non-reconduction de ministres du gouvernement sortant « que le mouvement de contestation a fait tomber », comme on peut lire dans le texte. « Je renouvelle mon attachement aux critères que j’ai posés pour former le gouvernement, parce que je suis convaincu qu’il est à même de freiner l’effondrement » du pays, a encore déclaré M. Diab, assurant qu’il poursuivra sa mission et ses contacts avec tout le monde et n’acceptera pas de voir la présidence du Conseil devenir un bouc émissaire. « Je continuerai à accomplir ma mission constitutionnelle : former un gouvernement restreint de technocrates qui protège les Libanais et réponde à leurs aspirations », a conclu le chef du gouvernement désigné.
À travers ce communiqué, le Premier ministre désigné est donc sorti de son silence pour la première fois depuis la tenue des consultations non contraignantes au Parlement, le 21 décembre dernier. Hassane Diab a saisi l’occasion pour assurer qu’il lui appartient de mettre sur pied son équipe. Il réagissait ainsi au veto auquel se sont heurtés quelques ministrables qu’il avait proposés, de la part du tandem Baabda-Courant patriotique libre. Celui-ci avait longtemps divergé avec M. Diab autour de la forme de la future équipe, le premier prônant un gouvernement apolitique, à l’heure où les aounistes plaidaient pour un cabinet techno-politique, avant de se prononcer en faveur d’un gouvernement de spécialistes, tel que voulu par le mouvement de contestation.
Quoi qu’il en soit, le ministre d’État sortant pour les Affaires présidentielles, Salim Jreissati, a réagi au communiqué de Hassane Diab en rappelant que « le président de la République nomme le Premier ministre, en concertation avec le président du Parlement et à la faveur de consultations contraignantes ». Dans un communiqué publié samedi, M. Jreissati a souligné le rôle du chef de l’État, « partenaire essentiel dans la nomination du Premier ministre, mais aussi de la formation du gouvernement ». « Arrêtons cette guerre des prérogatives pour aller au secours de certains postes qui sont la pierre angulaire du système constitutionnel, et non des boucs-émissaires », a conclu Salim Jreissati.
Le Hezbollah et le CPL
Cette guerre des prérogatives intervient quelques jours après des propos particulièrement significatifs du président de la Chambre Nabih Berry, qui était revenu à la charge en appelant à la formation d’un cabinet rassembleur (c’est-à-dire incluant les principales formations politiques), contrairement à la volonté de Hassane Diab. C’est d’ailleurs par ce dernier point qu’un proche de Baabda explique à L’Orient-Le Jour le gel des tractations ministérielles. « Le Premier ministre désigné ne veut pas prendre en considération les nouvelles donnes survenues récemment, dont l’appel de Nabih Berry, portant sur une équipe techno-politique », déplore ce proche de la présidence, rappelant que le président de la République a fini par opter pour un cabinet de spécialistes comme le veut M. Diab. « Mais au vu des développements régionaux à la suite de l’assassinat de Kassem Soleimani (le chef de la brigade al-Qods au sein des pasdaran), il semble impossible de confier la gestion du pays à des spécialistes », analyse encore ce proche de Baabda, indiquant que la genèse du cabinet bute aujourd’hui, non plus sur les ministrables, mais sur la forme de la future équipe Diab.
Le bras de fer opposant donc Hassane Diab aux parties mêmes qui avaient appuyé sa nomination, à savoir le CPL, le Hezbollah et le mouvement Amal, ne semble donc pas près de prendre fin prochainement, et reportant d’autant la genèse de l’équipe ministérielle. Mais Mohammad Fneich, ministre sortant de la Jeunesse et des Sports (Hezbollah) se veut clair sur ce plan. « La forme et la coloration du gouvernement requiert une entente entre la majorité qui avait appuyé Hassane Diab », déclare-t-il à L’OLJ, assurant que son parti facilite la tâche du Premier désigné en vue de mettre sur pied « un cabinet qui bénéficierait du plus large soutien et qui serait à même de redresser le pays ».
Le Premier ministre désigné, qui peine en outre toujours à obtenir la couverture sunnite, semble également faire face à une lutte pour le tiers de blocage, pour lequel insisterait le chef du CPL Gebran Bassil, contrairement à la volonté aussi bien de Hassane Diab que de Nabih Berry. Les milieux du CPL réfutent naturellement ses accusations, assurant que la position du parti au sujet du gouvernement demeure inchangée : il faut que le prochain cabinet soit composé de spécialistes indépendants. À en croire les mêmes milieux, le groupe parlementaire du Liban fort devrait prendre position à ce sujet à l’issue de sa réunion hebdomadaire demain. « Les points seront mis sur les i une bonne fois pour toutes », confie un proche du parti.
commentaires (12)
J'espère de tout cœur que M. Diab dont j'admire le courage et la persévérance, puisse réussir à former un gouvernement de 18 ministres apolitiques. La composition du parlement élu l'année dernière, devient obsolète car en cas de nouvelles élections législatives anticipées, la majorité d'entre eux ne seraient sans doute pas réélus.
Tony BASSILA
22 h 02, le 13 janvier 2020