Il avait, sur le papier, trois options : la France, le Brésil et le Liban. C'est pour ce dernier pays que Carlos Ghosn a opté, dans ce qui représente le dernier rebondissement en date, spectaculaire rebondissement, de l'affaire Carlos Ghosn.
Alors qu'il préparait son procès au Japon, où il était en liberté conditionnelle, l'ex-PDG de Renault-Nissan a confirmé mardi se trouver au Liban d'où il promet de parler librement à la presse la semaine prochaine, laissant abasourdie son équipe de défense nippone. "Je suis à présent au Liban. Je ne suis plus l'otage d'un système judiciaire japonais partial où prévaut la présomption de culpabilité", a écrit M. Ghosn, détenteur des nationalités libanaise, française et brésilienne, selon un communiqué transmis par ses porte-parole.
Le Liban est d'autant plus intéressant pour M. Ghosn qu'il n'a pas d'accord d'extradition avec le Japon, selon le ministère japonais de la Justice interrogé par Reuters, ce qui rend peu probable que Carlos Ghosn soit contraint par les autorités libanaises de retourner à Tokyo pour son procès. Au Japon, M. Ghosn est sous le coup de quatre inculpations pour malversations financières.
Si Carlos Ghosn a la nationalité libanaise, il n'est pas né au pays du Cèdre. C'est à Porte Velho, au Brésil, que Carlos Ghosn Bichara voit le jour le 9 mars 1954. Alors qu'il a frôlé la mort à l'âge de deux ans, après avoir accidentellement bu de l'eau non potable, sa famille décide de revenir au Liban. Il sera alors scolarisé notamment au Collège Notre-Dame de Jamhour.
Dès l'école, des qualités de leader
Selon un ancien camarade de classe, à l'époque déjà, Carlos Ghosn présentait des qualités de leader. Pour étayer ses propos, ce camarade de classe, qui préfère garder l'anonymat, évoque les premières élections de délégués de classe instituées dans l’école, en septembre 1968. "Deux listes étaient en compétition, et c'est celle présidée par Carlos Ghosn qui avait été élue", explique ce Libanais à l'époque très proche de M. Ghosn. "Il avait déjà des qualités de tribun", note cette source. Selon lui, c’est à partir de la classe de seconde que le jeune Carlos est devenu un élève brillant. "Jusqu’à la troisième, il était plutôt en milieu de classement. Puis il a explosé, précise-t-il. A une époque où nous avions souvent tendance à nous disperser, lui, très tôt, était très focalisé sur ses objectifs. Il a eu très vite la capacité de poser ses priorités et de s'y tenir", ajoute-t-il, tout en précisant que le jeune homme était aussi un adepte des "parties" et de la musique pop des sixties. Le collégien avait aussi cette capacité de rassembler, autour de lui, une large bande, comprenant amis et cousins. "Il était vraiment le ciment de ce groupe. Quand il est parti en France, le groupe s'est délité".
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"Carlos Ghosn était chef de troupe chez les scouts", se souvient un autre camarade de classe, Elie Gharios, qui évoque un jeune homme "intelligent, sûr de lui, visionnaire", mais aussi "jovial et drôle quand il le voulait". "La dernière semaine en classe de terminale à Jamhour, nous avions écrit sur les murs de l'école “À bas les vieux”, ce qui nous avait valu un renvoi. Nous étions vraiment casse-pieds. Mais au final, je suis devenu médecin, et lui est devenu ce qu’il est devenu", ajoute M. Gharios qui l'a côtoyé entre 1960 et 1971.
"Carlos était très appliqué, assurément brillant. Il était très proche de ses amis", souligne, pour sa part Nadim Dergham, qui a également partagé avec lui les bancs de Jamhour alors qu'il avait 13 et 14 ans, dans les années 60. Du jeune Carlos, il garde l'image d'un garçon "calme, serein, pensif, parfois en retrait".
Comme un symbole de l'engouement que suscite, auprès d'une partie de la population libanaise, Carlos Ghosn, longtemps un symbole éclatant de la réussite de la diaspora libanaise, MM. Dergham et Gharios saluent le retour au Liban de M. Ghosn. Pour M. Dergham, le retour au pays de Carlos Ghosn, est "une bonne nouvelle", tandis que M. Gharios critique le Japon "très dur, pour ne pas dire injuste" envers leur ancien camarade.
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Après ses années à Jamhour, Carlos Ghosn s'envole pour la France, où il passe son baccalauréat avant d'entrer à l’École polytechnique à l'âge de 20 ans. Quatre ans plus tard, le jeune diplômé est recruté par Michelin, où il gagne son surnom de "cost cutter" (coupeur de coûts), avant de rejoindre Renault en 1996. Puis en 1999, le groupe au losange se met en quête d'un partenaire: ce sera Nissan. Carlos Ghosn deviendra le premier non-Japonais à diriger un groupe nippon. En 2005, il devient aussi PDG de Renault, tout en restant PDG de Nissan, un cumul inédit dans le palmarès Fortune, qui classe les 500 premières entreprises mondiales. Il y ajoutera une troisième casquette en 2017 en prenant la présidence du conseil d'administration de Mitsubishi Motors, synonyme de revenus supplémentaires pour celui qui empoche déjà des millions d'euros par an.
Des investissements au Liban
Malgré une carrière qui l'aura mené en France, aux Etats-unis et au Japon, Carlos Ghosn a toujours gardé des liens forts avec le Liban, qui se sont notamment traduits par une série d'investissements.
En 2016, Carlos Ghosn avait acheté une maison à Beyrouth, rue du Liban, et l'avait faite rénover pour un montant évalué entre deux et trois millions de dollars, selon Le Commerce du Levant.
Au Liban, Carlos Ghosn est également actionnaire, en association notamment par le groupe Debbané-Saïkali, d’Ixsir, la cave vinicole de Batroun fondée en 2008. Ixsir, selon le Commerce du Levant, est numéro 3 sur le marché local avec une production d’un peu moins de 500 000 bouteilles annuelles. M. Ghosn est également associé au groupe Saradar dans des projets immobiliers notamment, dont le projet Cedrar. Développé par Carlos Ghosn, Mario Saradar et Sandra Abou Nader, le projet, rappelait Le Commerce du Levant en 2017, proposait alors la vente de 13 parcelles d’environ 2 000 m2 chacune et 47 chalets, et prévoyait la construction d’un hôtel, d’un spa et des restaurants dans la région des Cèdres, au Liban-nord.
"A un moment, Carlos Ghosn a voulu investir dans le vin, un produit qualitatif ayant une histoire millénaire au Liban. Quand il a eu vent de notre projet, il nous a contactés. Nos valeurs et objectifs s’alignaient, alors nous avons fondé Ixsir", explique à L'Orient-Le Jour Etienne Debbané, PDG d’Ixsir. Selon lui, la priorité de M. Ghosn était de faire de la qualité, "un produit dont il serait fier et qui serait exportable. Sa priorité était de faire un bon vin". Pour le PDG d’Ixsir, les investissements de M. Ghosn au Liban traduisent aussi son attachement à un pays dans lequel il a passé ses années fondatrices, celles au cours desquelles les amitiés fortes se forgent. "Je pense qu’il avait dans l’idée de finir sa vie au Liban", ajoute-t-il. En ce qui concerne l’homme d’affaires, M. Debbané souligne son côté "visionnaire" et le fait qu’il ait toujours été disponible pour Ixsir, "du temps pris sur ses loisirs bien sûr". Il disait aussi, se souvient M. Debbané, que son rôle était de décompléxifier les problèmes : 'Les directeurs complexifient tout, moi je dois démêler l’écheveau et poser les priorités', disait-il".
En 2017, à l'occasion de l'émission par LibanPost d'un timbre à son effigie, Carlos Ghosn avait d'ailleurs indiqué à L'Orient-Le Jour que ses investissements au Liban étaient "sa façon de préserver ce lien avec le pays" et, au-delà des "opportunités de business", une manière "d'aider le Liban en contribuant à son développement économique".
En octobre 2018, lors d'une d’une causerie-débat organisée dans le cadre des travaux de la conférence internationale sur la gouvernance mondiale (World Policy Conference, WPC) à Rabat à l’initiative de l’Institut français des relations internationales (IFRI), M. Ghosn était revenu sur l'importance de ses racines libanaises à ses yeux. "J’ai eu la chance d’être confronté à trois cultures, avait-il relevé. Je suis né au Brésil, j’ai fait mes études scolaires au Liban et j’ai suivi une formation universitaire en France. L’éducation que j’ai reçue au Liban a incontestablement eu un impact positif sur ma carrière".
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui attendent de voir comment M. Ghosn va écrire le nouveau chapitre, libanais donc, de sa vie.
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14 h 18, le 02 janvier 2020