C’est un niet ferme et unanime qu’ont opposé hier les différentes composantes du mouvement de contestation à l’appel du Premier ministre désigné Hassane Diab, qui a souhaité les rencontrer.
Alors que ce dernier avait annoncé qu’il recevrait dans la journée de dimanche des représentants de la contestation, seuls quelques rares individus qui ne sont vraisemblablement pas liés au mouvement populaire se sont présentés à son domicile à Tallet el-Khayat. Parmi eux, un journaliste, Mohammad Noun, et un ancien étudiant de M. Diab, un professeur à l’AUB, qui affirme l’avoir lui-même contacté pour venir le féliciter.
De Beyrouth jusqu’au Liban-Sud, en passant par la Békaa et le Liban-Nord, une seule et même réaction : aucun groupe ni représentant du mouvement de contestation ne souhaitent s’entretenir avec une personnalité dont le mode de désignation en coulisses par une partie politique, perçue comme étant celle du 8 Mars, est largement critiquée. M. Diab, qui a été ministre de l’Éducation au sein du gouvernement présidé par Nagib Mikati (2011-2014) est considéré par la rue comme faisant partie de la classe politique conventionnelle et ne répond donc pas aux aspirations de changement exprimées par les protestataires.
Depuis le début du mouvement, ces derniers réclament le renouvellement des élites politiques et souhaitent voir intégrer au pouvoir de nouvelles figures indépendantes, intègres et compétentes.
Selon des sources concordantes, un certain nombre d’activistes ont été contactés samedi soir pour être conviés à rencontrer le Premier ministre désigné à son domicile. L’argument avancé par M. Diab pour justifier son appel est de prendre connaissance des revendications des contestataires et de les informer de son plan de travail.
Plusieurs groupes issus du mouvement de révolte ont tenu une série de réunions samedi dans leurs régions respectives pour en débattre avant de trancher et de communiquer entre eux leur décision.
Avocate et activiste, Mayssa Mansour, qui a pris part aux discussions qui ont lieu au centre-ville, dénonce le « piège du vote utile » que le pouvoir cherche à tendre aux protestataires et « les manœuvres » visant à gagner le soutien de la rue au gouvernement que M. Diab essaye de former. « Nos revendications sont déjà connues et nous n’accepterons en aucun cas de cautionner un gouvernement monochrome », dit Mme Mansour.
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Polarisation
Proposé par Baabda et par Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre, M. Diab, dont la désignation a été consacrée par 69 voix principalement puisées auprès des groupes parlementaires du 8 Mars, est largement perçu comme étant le candidat de ce camp.
« C’est à nos yeux une manière de raviver la polarisation vivement stigmatisée depuis le début du mouvement populaire », commente pour L’Orient-Le Jour Halimé Kaakour, une autre activiste. « L’une des revendications principales de la rue est l’unification des Libanais, et non leur fractionnement autour des lignes de clivage 8 et 14 Mars », ajoute-t-elle.
C’est dans le même ordre que Beyrouth Madinati a justifié hier son refus de coopérer avec M. Diab, dont la désignation a « attisé de nouveau le sentiment sectaire dans les rangs des sympathisants de certaines formations politiques », précise le groupe en allusion à la colère exprimée dans les quartiers sunnites qui sont loyaux envers le courant du Futur.
« Hassane Diab a été désigné de la part de ceux qui ont réprimé la révolution à l’aide de certains services de sécurité et les voyous du pouvoir », dénonce encore Beyrouth Madinati dans un communiqué acerbe.
Même son de cloche du côté des contestataires de Saïda, qui ont organisé entre eux des débats avant de convenir d’une position unifiée.
Ahmad Cheaïb, un des militants impliqués dans la contestation à Saïda, a expliqué dans un communiqué avoir été contacté par la présidence du Conseil samedi soir, afin de fixer l’heure d’un entretien de 30 minutes avec Hassane Diab, mais affirmé avoir refusé d’honorer ce rendez-vous, accusant l’ancien ministre Diab de montrer qu’il reçoit des représentants de la contestation afin de se donner « une légitimité fictive ».
« Les révolutionnaires de Saïda affirment qu’ils refusent de prendre part à la valse des relations publiques (orchestrées par M. Diab ) et de contribuer à redorer l’image du Premier ministre désigné », poursuit le communiqué. Les contestataires accusent également le pouvoir d’œuvrer à infiltrer les rangs du mouvement de révolte et à le dompter. Ils rappellent à qui veut l’entendre que les doléances de la rue sont désormais connues.
« Celui qui cherche à gagner une légitimité auprès du mouvement populaire n’atteindra cet objectif qu’une fois nos revendications satisfaites », poursuit le texte.
Le mouvement de contestation réclame notamment la désignation d’un Premier ministre indépendant, un gouvernement de sauvetage formé de spécialistes choisi en dehors de la classe politique conventionnelle et doté de pouvoirs exceptionnels, l’habilitant à définir un plan de sauvetage économique, l’adoption d’une loi garantissant l’indépendance de la justice, la restitution des fonds publics pillés et la prise de sanctions contre les corrompus.
Les militaires à la retraite, très impliqués dans de nombreuses activités du mouvement de révolte, ont souligné, quant à eux, dans un communiqué que « le dialogue n’est pas nécessaire parce que les revendications politiques, économiques et sociales de la contestation ont déjà été annoncées et soutenues par les formations politiques ».
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Faut faire la différence entre quitus et quittance mes chers amis !!
21 h 04, le 23 décembre 2019