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À La Une - Irak

A Bagdad, le campement autogéré de Tahrir est devenu un "mini-Etat"

Les manifestants assurent que leur "mini-Etat" repose sur la non-violence, mais ils ont noué une alliance avec un autre Etat dans l'Etat, le bras armé du mouvement de Moqtada Sadr, les brigades de la Paix.

Une foule d'Irakiens sur la place Tahrir, le 10 décembre 2019 à Bagdad. AFP / SABAH ARAR

Ils ont leurs "garde-frontières", leurs agents d'entretien, leurs hôpitaux: dans le "mini-Etat" qui s'est monté sur la place Tahrir de Bagdad en révolte, chacun a désormais son rôle, avec répartition des tâches et horaires de rotation.

"En deux mois, on a réalisé ce que l'Etat n'a pas fait en 16 ans", s'enthousiasme Haydar Chaker, un ouvrier du bâtiment venu de la province de Babylone, au sud de Bagdad. Avec des amis, après le pèlerinage chiite de l'Arbaïn, il a simplement replié sa tente et ses équipements de cuisine, qu'il réserve habituellement aux pèlerins se dirigeant vers la ville sainte de Kerbala, et a pris la route de Bagdad. Là, il a remonté sa tente et y distribue depuis, chaque jour, trois repas à des centaines de manifestants, cuisinés à partir des dons qu'il reçoit. Tous les matins, il discute avec les personnes installées dans les tentes alentours. Une fois les sacs de riz, de sucre, de farine et autres condiments comptés, chaque tente a sa tâche: plats, desserts, thé, café, sandwiches...


AFP / SABAH ARAR


Au fil d'une contestation qui veut mettre à bas le système politique et avec lui tous ses politiciens, le campement autogéré de Tahrir est devenue une fourmilière qui, malgré les coupures d'électricité fréquentes en Irak, ne s'arrête jamais de bruisser.



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La guerre, une habitude
Dès son entrée, Abou al-Hassan monte la garde. Avec des dizaines d'autres, il tient ce qu'ils appellent les "filtres", des barrages faits parfois de bric et de broc où de jeunes hommes et de jeunes femmes fouillent les manifestants qui affluent.

"Nous les Irakiens, depuis tout petit, on côtoie des militaires donc on a acquis des réflexes", assure ce trentenaire, barbe noire et treillis couleur camouflage, qui depuis sa naissance n'a quasiment connu que la guerre dans son pays. "On n'a pas besoin de formation pour détecter les saboteurs et les éloigner, pour qu'ils ne souillent pas la réputation de toute la société et pour pouvoir renforcer notre Etat", affirme-t-il, le regard toujours alerte, de droite à gauche.

Un "Etat" qui a vacillé vendredi soir sous les tirs ininterrompus pendant des heures d'hommes qui n'ont toujours pas été identifiés par le pouvoir --ce sont des miliciens pour les manifestants-- et qui ont attaqué un parking à étages que les protestataires occupaient. Après cette tuerie qui a fait 24 morts, de nouveaux check-points improvisés ont vu le jour sur Tahrir, et le "restaurant turc", cet immeuble de 18 étages qui surplombe la place, a été fermé par les manifestants.

Déjà infiltrés par de nombreux policiers du renseignement et à la merci d'hommes armés qui ont pu traverser les barrages de la police et de l'armée dans Bagdad sans être inquiétés avant la tuerie de vendredi, les manifestants assurent que leur "mini-Etat" repose sur la non-violence.

Mais, dans un pays où les factions armées pro-Iran n'ont cessé de faire grandir leur influence et leurs arsenaux de guerre, les manifestants ont noué une alliance avec un autre Etat dans l'Etat, le bras armé du mouvement du leader chiite Moqtada Sadr, les brigades de la Paix. Ses "casquettes bleues", les combattants non armés, se sont déjà interposées pour les protéger.



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"Mon arme? Un pinceau"
Vendredi soir, à Tahrir, Ahmed al-Harithi et ses confrères médecins ou infirmiers n'ont pas cessé de travailler. Pour s'éclairer, ils ont pu compter sur les branchements des manifestants sur les lignes haute tension de la municipalité. Et sur les petits générateurs achetés pour faire l'appoint quand l'électricité est coupée, plusieurs heures par jour en Irak. Dès octobre, ce gynécologue-obstétricien a "abandonné son travail", d'abord pour manifester puis pour soigner les blessés sur l'emblématique place de la deuxième capitale arabe la plus peuplée. Là, au fur et à mesure, il a appris à se coordonner avec les ambulanciers et les conducteurs de tuk-tuk.

Car, rapidement, dit le docteur Harithi, "le syndicat des médecins et celui des pharmaciens se sont organisés sur Tahrir" et ont fini par créer une sorte de "mini-ministère de la Santé". C'est cette coordination qui gère l'approvisionnement avec les cellules de "soutien logistique" qui stockent médicaments, sérums et autres bandages donnés ou achetés au rabais auprès de pharmaciens sympathisants de la cause.

Devant les hôpitaux de campagne, entre tuk-tuk zigzaguant au milieu des grappes de manifestants, des dizaines de jeunes --pour beaucoup des filles-- balaient toute la journée la rue. Tahrir, jurent tous les manifestants, n'a jamais été si propre, comparé au temps où les employés municipaux s'en occupaient.

Houda Amer, elle, ne va plus en classe depuis des semaines. Cette institutrice repeint aujourd'hui au rouleau trottoir et rambardes sur Tahrir. "Mon arme, c'est mon pinceau", lance-t-elle en souriant. "Notre révolution ne veut pas tout détruire", dit-elle. Ici, "on est tous là pour construire notre nation".



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