Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Procès

Devant la justice française, la difficile traque des millions de Rifaat el-Assad

À la barre, le directeur d’enquête dans cette affaire de « biens mal acquis » fait le récit de ses investigations, débutées en 2013 et portant sur des accusations de blanchiment depuis 1984.

Photo du frère de Hafez el-Assad, Rifaat, prise le 24 novembre 1984. Archives AFP

D’où viennent les millions de Rifaat el-Assad ? Le tribunal correctionnel de Paris, qui juge l’oncle du président syrien, a laborieusement tenté de déterminer hier quel argent lui a permis de se bâtir en France un patrimoine immobilier estimé à 90 millions d’euros. À la barre, le directeur d’enquête dans cette affaire de « biens mal acquis » fait le récit de ses investigations, débutées en 2013 et portant sur des accusations de blanchiment depuis 1984. À 82 ans, Rifaat el-Assad, résident britannique, s’est fait excuser pour raisons médicales. Ses cinq avocats ferraillent avec l’officier des douanes judiciaires, cité par le parquet national financier : eux considèrent qu’il échoue à prouver que l’argent provient de détournements de fonds publics syriens, lui répond que leur explication d’une aide saoudienne ne suffit pas.

Rifaat el-Assad, ancien pilier du régime du Damas, fut contraint à l’exil en 1984 après un coup d’État manqué contre son frère Hafez. Lui qui n’avait « aucune richesse » en Syrie partit « sans un sou » avec sa famille et 200 fidèles, rappelle l’enquêteur. Il amassa alors en Europe un empire immobilier qui éveillera tardivement les soupçons, évalué aujourd’hui à 800 millions d’euros entre Espagne, France et Grande-Bretagne.

En France, ses biens – hôtels particuliers, château, haras, appartements – sont détenus par des sociétés nichées un temps à Curaçao, Panama ou au Liechtenstein et détenues par ses proches, mais c’est bien lui qui est aux manettes, insiste le témoin : « Il sait tout de tout. »

L’enquêteur balaie, comme pendant l’enquête, l’argument d’une aide financière apportée par le roi saoudien Abdallah à Rifaat el-Assad, des années 1980 à sa mort en 2015. Parmi les preuves avancées par la défense, il ne retient qu’un chèque de 10 millions de dollars versés en 1984, très « insuffisant ».

Le tribunal en vient à la thèse de l’accusation, celle de détournements de fonds publics syriens, et notamment d’un exil négocié avec Hafez el-Assad et financé par Damas. « Avez-vous identifié un flux financier documenté d’origine syrienne? » demande Benjamin Grundler, l’un des avocats de Rifaat el-Assad. « Venant directement de Syrie, certes, non », convient l’enquêteur. Il rappelle toutefois qu’un document bancaire suisse fait état d’« importantes sommes » reçues « directement de la Banque centrale syrienne » dans les années 1980.


(Pour mémoire : Corruption : sur la piste de la fortune de Rifaat el-Assad)


Invité par Mitterrand

La lutte antiblanchiment était inexistante dans les années 1980 et les investigations en Syrie sont impossibles : 35 ans plus tard, le dossier est mince. Principal témoin de l’accusation, l’ancien ministre des Affaires étrangères Abdel Halim Khaddam a affirmé que Rifaat el-Assad était « parti avec beaucoup d’argent » donné par Damas : 200 millions de dollars maquillés dans le budget en « frais de la présidence », 100 autres en « importations libyennes ». La défense s’attelle à ternir la crédibilité de M. Khaddam, qui voue « une véritable haine » au prévenu. « À aucun moment vous n’avez pensé que vous avez pu être manipulé par un opposant historique à Rifaat el-Assad ? » interroge Me Grundler. L’enquêteur évoque de fortes hausses des frais de la présidence et des importations libyennes en 1984 rendant « plausibles » les accusations de M. Khaddam. La défense lui reproche de ne pas avoir recherché d’autres explications à ces hausses, par exemple l’intégration des « Brigades de défense » de Rifaat el-Assad dans les frais de la présidence avant leur suppression, ou l’effondrement des importations de pétrole iranien. L’enquêteur accuse les avocats de présenter les chiffres qui les arrangent. Quant à l’aide du roi Abdallah, la défense veut savoir si l’enquêteur a interrogé des témoins en dehors des cercles politiques syriens. « Non. » Les avocats brandissent en retour plusieurs attestations évoquant un soutien financier de Abdallah. Le flou règne jusqu’aux raisons de l’installation de Rifaat el-Assad en France après son exil. L’ancien président français François Mitterrand « l’a invité », déclare l’enquêteur. « Il a probablement été un intermédiaire dans la libération des otages au Liban. Et peut-être qu’il a permis à la France de vendre des armes à l’Arabie saoudite, suppose-t-il. En tout cas, François Mitterrand a vu un intérêt à avoir Rifaat el-Assad en France. » Le procès se poursuit jusqu’au 18 décembre.



Lire aussi

Quand Rifaat ne parvient pas à faire oublier Assad

Moudar el-Assad, ce cousin du président syrien libéré alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt au Liban

Des biens de la famille Assad visés par des perquisitions en Espagne

Le "Monopoly grandeur nature" de Rifaat el-Assad en France et en Espagne

D’où viennent les millions de Rifaat el-Assad ? Le tribunal correctionnel de Paris, qui juge l’oncle du président syrien, a laborieusement tenté de déterminer hier quel argent lui a permis de se bâtir en France un patrimoine immobilier estimé à 90 millions d’euros. À la barre, le directeur d’enquête dans cette affaire de « biens mal acquis » fait le récit de ses...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut