D’où viennent les millions de Rifaat el-Assad ? Le tribunal correctionnel de Paris, qui juge l’oncle du président syrien, a laborieusement tenté de déterminer hier quel argent lui a permis de se bâtir en France un patrimoine immobilier estimé à 90 millions d’euros. À la barre, le directeur d’enquête dans cette affaire de « biens mal acquis » fait le récit de ses investigations, débutées en 2013 et portant sur des accusations de blanchiment depuis 1984. À 82 ans, Rifaat el-Assad, résident britannique, s’est fait excuser pour raisons médicales. Ses cinq avocats ferraillent avec l’officier des douanes judiciaires, cité par le parquet national financier : eux considèrent qu’il échoue à prouver que l’argent provient de détournements de fonds publics syriens, lui répond que leur explication d’une aide saoudienne ne suffit pas.
Rifaat el-Assad, ancien pilier du régime du Damas, fut contraint à l’exil en 1984 après un coup d’État manqué contre son frère Hafez. Lui qui n’avait « aucune richesse » en Syrie partit « sans un sou » avec sa famille et 200 fidèles, rappelle l’enquêteur. Il amassa alors en Europe un empire immobilier qui éveillera tardivement les soupçons, évalué aujourd’hui à 800 millions d’euros entre Espagne, France et Grande-Bretagne.
En France, ses biens – hôtels particuliers, château, haras, appartements – sont détenus par des sociétés nichées un temps à Curaçao, Panama ou au Liechtenstein et détenues par ses proches, mais c’est bien lui qui est aux manettes, insiste le témoin : « Il sait tout de tout. »
L’enquêteur balaie, comme pendant l’enquête, l’argument d’une aide financière apportée par le roi saoudien Abdallah à Rifaat el-Assad, des années 1980 à sa mort en 2015. Parmi les preuves avancées par la défense, il ne retient qu’un chèque de 10 millions de dollars versés en 1984, très « insuffisant ».
Le tribunal en vient à la thèse de l’accusation, celle de détournements de fonds publics syriens, et notamment d’un exil négocié avec Hafez el-Assad et financé par Damas. « Avez-vous identifié un flux financier documenté d’origine syrienne? » demande Benjamin Grundler, l’un des avocats de Rifaat el-Assad. « Venant directement de Syrie, certes, non », convient l’enquêteur. Il rappelle toutefois qu’un document bancaire suisse fait état d’« importantes sommes » reçues « directement de la Banque centrale syrienne » dans les années 1980.
(Pour mémoire : Corruption : sur la piste de la fortune de Rifaat el-Assad)
Invité par Mitterrand
La lutte antiblanchiment était inexistante dans les années 1980 et les investigations en Syrie sont impossibles : 35 ans plus tard, le dossier est mince. Principal témoin de l’accusation, l’ancien ministre des Affaires étrangères Abdel Halim Khaddam a affirmé que Rifaat el-Assad était « parti avec beaucoup d’argent » donné par Damas : 200 millions de dollars maquillés dans le budget en « frais de la présidence », 100 autres en « importations libyennes ». La défense s’attelle à ternir la crédibilité de M. Khaddam, qui voue « une véritable haine » au prévenu. « À aucun moment vous n’avez pensé que vous avez pu être manipulé par un opposant historique à Rifaat el-Assad ? » interroge Me Grundler. L’enquêteur évoque de fortes hausses des frais de la présidence et des importations libyennes en 1984 rendant « plausibles » les accusations de M. Khaddam. La défense lui reproche de ne pas avoir recherché d’autres explications à ces hausses, par exemple l’intégration des « Brigades de défense » de Rifaat el-Assad dans les frais de la présidence avant leur suppression, ou l’effondrement des importations de pétrole iranien. L’enquêteur accuse les avocats de présenter les chiffres qui les arrangent. Quant à l’aide du roi Abdallah, la défense veut savoir si l’enquêteur a interrogé des témoins en dehors des cercles politiques syriens. « Non. » Les avocats brandissent en retour plusieurs attestations évoquant un soutien financier de Abdallah. Le flou règne jusqu’aux raisons de l’installation de Rifaat el-Assad en France après son exil. L’ancien président français François Mitterrand « l’a invité », déclare l’enquêteur. « Il a probablement été un intermédiaire dans la libération des otages au Liban. Et peut-être qu’il a permis à la France de vendre des armes à l’Arabie saoudite, suppose-t-il. En tout cas, François Mitterrand a vu un intérêt à avoir Rifaat el-Assad en France. » Le procès se poursuit jusqu’au 18 décembre.
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