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Culture - L’artiste de la semaine

Élie Kamal, libre dans sa tête

En recevant le prix pour le meilleur long-métrage de non-fiction au Festival international du film du Caire, Élie Kamal lance, à l’adresse de Beyrouth, un « Hela hela ho » tonitruant. Un cri d’engagement pour son « home » qu’il n’a jamais cessé de clamer, en toute authenticité, à travers ses différentes disciplines artistiques.

Élie Kamal, un artiste en perpétuel questionnement. Photo DR

Du garçon à tout faire à l’âge de 15 ans, sur les plateaux de tournage de l’ami de son père, propriétaire d’une boîte de production, aux commandes de la caméra et du montage, Élie Kamal aura tout fait, tout vu, tout expérimenté et tout interrogé. Son histoire avec le cinéma voire avec l’image est une longue et belle histoire d’amour. Un combat très personnel qu’il fait sien très tôt et un questionnement incessant qu’il veut partager avec tous les désireux de le partager avec lui en retour.

En effectuant ses études à l’Institut des études scéniques et audiovisuelles (Iesav), Kamal a côtoyé en parallèle le théâtre avec les metteurs en scène Roger Assaf, Jalal Khoury et Michel Jabre. Ses études terminées, il obtient une bourse à l’Insas (Institut supérieur des arts du spectacle) en Belgique, participe à un atelier de travail à Budapest dirigé par Vilmos Zsigmond, chef opérateur de Brian De Palma, où il est choisi parmi des talents émergents de la région. « Mais je n’ai jamais quitté le théâtre. J’essayais de ne pas rater une pièce comme je ne ratais pas un bon film. » Son premier court-métrage, 2 et demi, parcourt de nombreux festivals et recevra le prix de la Fédération internationale de la critique internationale, Fipresci, au Festival du film de Dubaï en 2010. Il sera suivi en 2013 par un autre court-métrage du nom de Thalg et en 2014 de Revolt Tango (titre inspiré des compositions d’Astor Piazzolla). Élie Kamal rédige des notes, met sur papier des idées, se nourrit d’inspirations diverses. C’est ainsi que Beirut Terminus voit le jour après six années de travail, de recherches et de repérages sur le terrain. Il parcourt le pays et sonde la terre. Celle où il est né et qui souffre de séismes identitaires. Entre-temps, l’artiste, libre dans sa tête, tout en poursuivant sa quête folle du concept d’« État-nation qui manque à ce pays ainsi qu’à toute la région », continue à travailler en tant que chef opérateur, en free-lance, dans le milieu de la publicité. Il crée une boîte de production, « toute petite », avec des amis et travaille sur des films qui lui plaisent et qu’il aimerait aider. L’artiste est infatigable ; en 2018, il écrit une pièce de théâtre intitulée Anti-personnel, « un sujet très personnel et qui (lui) tient à cœur ». Et de préciser : « Quand j’écris, je ne pense pas à la finalité. C’est dans le courant du travail que l’écriture prend la forme d’un film, d’une pièce ou encore d’un essai. »

Le train sifflera-t-il trois fois ?

Beirut Terminus sera ainsi cette mixture d’un tas d’influences : de films, de littérature, de musique mais aussi de vécu. « C’est le cinéma que je veux exprimer et qui révèle mon moi. Je ne réalise pas des films pour plaire aux autres. Mon souci est d’être honnête envers moi-même pour qu’un jour mon fils dise : telles étaient les idées de mon père. Un artiste a une responsabilité envers les générations futures. Et même si le film parlera à certains, à d’autres moins, il demeurera le témoin d’une période. » Se disant « fanatique du son et de la musique », Élie Kamal affirme « connaître bien (s)es outils et les asservir au film ». « Mais je suis soucieux de ne pas vouloir seulement impressionner. J’aime les mettre au service de l’histoire et de sa justesse. Par ailleurs, j’ai un grand respect pour les acteurs et actrices (dont ma femme et la plupart de mes amis) dont je connais la sensibilité. »

Quoique dépouillé de toute présence humaine – le film s’articule sur des trains (que le réalisateur a humanisés et rendus comme des êtres vivants), des insectes et des animaux–, Beirut Terminus est un voyage en images et en sons. Le metteur en scène y réalise une analyse géopolitique de la région. Parcourant ces deux lignes ferroviaires de la côte sud de la Turquie et de l’Irak jusqu’à Beyrouth et dont les traces ont tendance à s’estomper – « encore une tentative d’effacer l’histoire », dit-il –, Kamal interroge, justement, l’histoire, et invite les spectateurs à se questionner. « Je ne suis pas Nostradamus, mais je ne suis pas un étranger à cette terre – bien que je me demande tout le temps s’il faut y rester ou la quitter –, et je suis constamment à l’écoute de son pouls. C’est pourquoi je pense avoir été sensible aux changements qui s’y opéraient. »

« Qu’est-ce qu’un citoyen ? Qu’est-ce que l’appartenance à une nation ? Comment le concept d’État-nation dans lequel nous sommes tous égaux en droits et en devoirs n’existe-t-il pas chez les Arabes ? Et pourquoi privilégie-t-on la notion d’oumma qui signifie “communauté” ou “clan”? Comment a perduré cette crise d’identité et de frontières ? Comment se fait-il aussi que l’histoire libanaise dans les livres s’arrête à l’indépendance alors que ça doit être le premier chapitre ? Autant de questions soulevées dans Beirut Terminus et qui sont tellement actuelles. Je suis ravi que ce film ait touché au Caire des non-Libanais qui se sont sentis concernés par ces problèmes d’existence. »

Et Élie Kamal d’ajouter : « Ce train qui s’est arrêté à un moment de l’histoire de la région n’est pas un fait accidentel. Il est chargé d’un tas de sens. À travers un travail organique, sur la musique souvent souterraine, mécanique, sur l’image rougie par des caméras infrarouges et qui témoigne du sang versé sur toute cette terre qu’on foule, j’ai réussi à donner un coup de griffe. » Le réalisateur cherche ainsi à démystifier cette image nostalgique et romantique du train et d’un « Liban où il faisait bon vivre », une notion erronée selon lui. Ce Beirut Terminus qui vient d’être primé au Caire est le fruit de longues recherches. Il charrie avec lui moult questionnements sur le passé, le présent et l’avenir, qui filent à vive allure. Vers un nouveau Beyrouth ?

7 dates

Juillet 1987 Naissance

1990

Après de multiples déplacements au Liban, il s’installe avec sa famille dans un « semblant de maison »

2005

Pour la première fois, il partage avec une foule assemblée des idées, une vision commune d’un certain Liban

2016

Naissance de son fils Nadi, nommé d’après sa femme Nada Abou Farhat

2017

Il perd son père et côtoie ainsi la mort de près

2019

La « thaoura », qui résume tout son cheminement et son questionnement

2019

Son film « Beirut Terminus » voit le jour et se présente comme un condensé de cette révolution.



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