Des militants du mouvement Amal en discussion animée avec les mères venues des quartiers de Aïn el-Remmaneh et Chiyah, et défilant sur l’ancienne ligne de démarcation. Patrick Baz/AFP
À Aïn el-Remmaneh, Sannine est un nom bien connu, presque une institution. Cela tient moins à la qualité des pistaches et des amandes qui y sont vendues qu’au fait que cette épicerie est située en haut de la rue Maroun, où la guerre civile a commencé le 13 avril 1975. C’est d’ailleurs sur ce carrefour qu’a été établi le tout premier barrage de la guerre, à 100 mètres à peine de la rue Assaad el-Assaad qui sépare les quartiers chrétien de Aïn el-Remmaneh et musulman de Chiyah.
Ce n’est donc pas un hasard si les mères de ces deux quartiers voisins se sont donné rendez-vous en ce lieu symbolique hier après-midi. Le communiqué officiel, non signé mais initié par des femmes engagées pour les droits civils, avait pour mot d’ordre de dénoncer les tentatives d’intimidation et de division et de délivrer un message pacifique après les incidents de la veille.
Dans la soirée de mardi, des jeunes des deux quartiers se sont brièvement affrontés à coups de pierres et de cocktails Molotov. L’armée est très vite intervenue pour séparer les belligérants, mais cela a suffi à raviver de part et d’autre de douloureux souvenirs.
La chronologie des événements étant difficile à établir, chacun se renvoie la balle. « Tout le monde est sur les nerfs depuis des semaines et encore plus depuis trois jours, les rumeurs circulent dans tous les sens, c’était évident que ça allait éclater », note Élie, qui a récemment ouvert une épicerie à Aïn el-Remmaneh. À ses yeux, les incidents de la veille n’ont rien à voir avec la révolution, cette mobilisation populaire qui traverse le Liban depuis le 17 octobre, ou la politique, mais relèvent d’une logique de communauté et d’une rivalité de quartiers. « Dans les années 1990 et 2000, c’était beaucoup plus fréquent et plus violent », relativise celui qui, dans sa jeunesse, au cours d’un affrontement de ce type, s’est pris une pierre sur le crâne qui lui a valu quatorze points de suture. Côté musulman, plusieurs jeunes employés d’un garage cherchent, eux aussi, à se montrer rassurants : « C’était juste un petit clash et ça n’a duré que 10 minutes. Il ne faut pas y donner trop d’importance, c’est déjà du passé. »
(Lire aussi : À Tripoli aussi, les femmes ont manifesté)
« La violence ne mène à rien »
Hier, profitant d’une brève et heureuse éclaircie, quelques centaines de personnes ont pris part au rassemblement. Parmi elles, une grande majorité de femmes, certaines de Aïn el-Remmaneh, d’autres de Chiyah, la plupart venues d’autres quartiers de Beyrouth, mais aussi quelques hommes, pour une fois en retrait. De nombreux journalistes, locaux et étrangers, étaient également présents pour couvrir l’événement. Zeina, mère et grand-mère, se réjouissait de l’initiative : « Ceux qui se sont battus sont des jeunes qui n’ont pas connu la guerre, notre rôle est de leur rappeler que la violence ne mène jamais à rien. » « Si nous sommes toutes dans la rue, c’est aussi pour qu’ils comprennent que ceux qu’ils pensent être leurs ennemis ont une mère qui ressemble à la leur. S’ils pensent à ça, ils réfléchiront peut-être à deux fois avant de frapper », poursuivait-elle. Drapeaux libanais en nombre, roses blanches tendues vers le ciel, slogans fédérateurs, il n’était question que d’unité et de réconciliation hier. « Nous sommes les mères de ce pays », « Pas de balles mais des fleurs », « Nous sommes pacifiques, la guerre civile est finie », ou encore « Musulmans, chrétiens, nous ne voulons pas de confessionnalisme », ont scandé les manifestants qui, sous escorte policière, ont traversé le carrefour et se sont rendus du côté musulman du boulevard où, depuis les balcons, les habitants de Chiyah les ont applaudis en leur jetant du riz.
« C’est beau, c’est ça qu’on aime voir, un Liban uni. On en a assez de la guerre et des divisions. Il y a une semaine, j’étais déprimée par les tensions, aujourd’hui, je retrouve le sourire », s’enthousiasmait une jeune mère de famille. « J’ai vécu toute ma vie à Aïn el-Remmaneh et je n’ai jamais osé franchir le boulevard, c’est une grande première pour moi », confiait pour sa part, avec une émotion palpable, une dame d’une soixantaine d’années. Myriam, une autre manifestante, se montrait plus nuancée : « C’est très bien qu’il y ait des actions de ce type, le symbole est beau mais il y a un petit côté vieillot. J’ai l’impression d’être revenue avant la révolution, comme si on pouvait seulement dire des choses consensuelles sans oser porter des revendications vraiment politiques. C’est peut-être une étape nécessaire... »
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ce que femme veut, Dieu le veut
Jack Gardner
11 h 11, le 28 novembre 2019