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La plus belle des réponses

La révolution en son 43e jour se heurte-t-elle aux limites de son projet ? À quoi s’attendaient les quelques jeunes qui, un certain 17 octobre, avaient déboulé place des Martyrs pour exprimer leur ras-le-bol de la corruption et de l’amateurisme du pouvoir ? À rien, sans doute. Juste faire entendre leur colère. Leurs slogans appelant à la chute du régime et le cri « révolution » ressemblaient davantage à la matière verbale mi-frondeuse, mi-stérile que produisent les foules désespérées ici ou là à travers le monde. Mais voici que… d’autres arrivent, et d’autres encore, comme obéissant à une pulsion irrépressible. Crier ce cri, le crier haut et fort et tout à coup croire à l’impossible. Le malaise couve depuis trop longtemps et le déni qui lui fait face a atteint la limite du supportable. L’étincelle donc, et ce feu de joie.

Dans les sphères du pouvoir, il y a quelques semaines, on observait encore le phénomène sans plus d’inquiétude qu’un chat regardant s’agiter quelques souris : au fond, il n’y pas de mal à ce que les gens se défoulent, ça permet d’éluder les scandales, gagner du temps. On fait semblant de les comprendre : ils veulent du pain, on réfléchit à une recette de biscuit. On s’en met plein les mirettes en même temps qu’on s’effarouche : Révolution de clowns et de pervers ! Ils paralysent les institutions, bloquent les routes ! Quelle aubaine, on va pouvoir leur faire endosser la crise, et les banques vont en profiter pour fermer les guichets et se refaire une petite santé. Sauf qu’à la faveur de la nuit, autour de la statue des Martyrs, au milieu de la foule euphorique, sous les tentes de fortune, les idées fusent et s’entrechoquent à la manière d’un feu d’artifice. Derrière ses dehors bon enfant, la « révolution » est éminemment intellectuelle et abrite bien plus de cerveaux que la moyenne de la classe politique. Face à l’hypocrite bien-pensance et à la probe componction de celle-ci, explose une jeunesse brillante dont la parole, longtemps confisquée et neutralisée par l’État, retrouve enfin sa place sur les places. Une nouvelle forme de consultation voit le jour. Elle part d’une rencontre, ici ou là, et circule sur les réseaux comme une traînée de poudre. Elle circule de ville en ville et rallie de plus en plus d’adhérents. Qui commande la révolution ? Tous ! Car sans l’assentiment de tous ceux qui y participent, il ne se passerait rien.

Éminemment perturbant pour l’ordre établi est ce phénomène qui révèle un peuple libre, qui ose exiger la séparation du privé et du public, de la religion et de l’État ; un peuple qui réclame une justice et une gouvernance indépendantes et intègres, et demande à mettre le nez dans les finances de ses dirigeants. Un peuple surtout qui réussit à abattre les barrières qui transformaient chaque quartier en bastion et chaque région en chasse gardée. Dans un pays où le pouvoir est littéralement affalé sur les clivages confessionnels et communautaires, perdre cette carte est pour chaque chef de file perdre son unique fonds de commerce. Après avoir, des décennies durant, vendu à leurs électeurs, avec le soutien d’un certain clergé, la perlimpinpin de leurs droits communautaires avec le privilège de brosser leur veston, ils voient tout à coup les vieilles formules leur tomber de la bouche. Pris en tenailles entre les diktats de ses partenaires régionaux et les exigences de cette force émergente dont il n’a pas le mode d’emploi, chaque cacique envoie, dans une tentative désespérée de reprendre la main, les plus démunis de ses affidés vibrionner en conquérants dans des régions mal remises des anciens conflits. Quitte à réveiller les blessures, les phobies et les haines enfouies. Quitte à user l’armée et les forces de l’ordre dans des confrontations aussi inutiles que contre nature. Une telle malfaisance donne froid dans le dos. En face, les rebelles s’accrochent au principe de non-violence. Sont-ils dans l’impasse ? Hier, au croisement des anciens quartiers ennemis de Chiyah et Aïn el-Remmaneh, entourant le sit-in des mères pour la paix, les jeunes, bras dessus, bras dessous, leur donnaient la plus belle réponse. Résolus à abandonner la pression par le blocage des routes, ces mêmes rebelles savent précisément, pour leur part, à qui ils ont affaire. Ils savent que quand le Liban n’est pas occupé, il est possédé. Ils savent enfin que chaque jour sera désormais le 17 octobre.

La révolution en son 43e jour se heurte-t-elle aux limites de son projet ? À quoi s’attendaient les quelques jeunes qui, un certain 17 octobre, avaient déboulé place des Martyrs pour exprimer leur ras-le-bol de la corruption et de l’amateurisme du pouvoir ? À rien, sans doute. Juste faire entendre leur colère. Leurs slogans appelant à la chute du régime et le cri...

commentaires (2)

""On fait semblant de les comprendre : ils veulent du pain, on réfléchit à une recette de biscuit."" On fait semblant pour qu’ils n’aient à se plaindre. Des rustines, mais la roue n’avance plus. La confiance est une question très grave. A qui on l’accorde ? Déjà cette classe politique est non mal aimée mais détestée. La confiance ne connaît pas une deuxième chance.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

10 h 01, le 28 novembre 2019

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Commentaires (2)

  • ""On fait semblant de les comprendre : ils veulent du pain, on réfléchit à une recette de biscuit."" On fait semblant pour qu’ils n’aient à se plaindre. Des rustines, mais la roue n’avance plus. La confiance est une question très grave. A qui on l’accorde ? Déjà cette classe politique est non mal aimée mais détestée. La confiance ne connaît pas une deuxième chance.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 01, le 28 novembre 2019

  • BRAVO ,les mères ,femmes ,filles! c'est bien grace à vous que la paix sociale sera installée ;tenez bon!J.P

    Petmezakis Jacqueline

    09 h 17, le 28 novembre 2019

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