« Laisse-nous tranquille », est-il écrit dans des termes plus crus, sur cette bannière tendue hier soir dans le centre-ville de Beyrouth, et représentant Jeffrey Feltman, ancien ambassadeur des États-Unis au Liban. Mohammad Azakir/Reuters
Après la cérémonie officielle tendue de la fête de l’Indépendance, qui s’était déroulée vendredi au ministère de la Défense à Yarzé, les indicateurs de la crise ont viré au rouge. Et ce alors que le mouvement de contestation semblerait opter pour l'escalade, cette semaine.
Pour l’heure, aucun progrès en direction de la formation du gouvernement n’a été enregistré, la date des consultations parlementaires contraignantes n’ayant toujours pas été fixée par Baabda, alors que la démission de Saad Hariri remonte au 29 octobre.
La tension entre le président de la République et le tandem chiite, d’une part, et le Premier ministre démissionnaire, de l’autre, semble à son paroxysme, aucun des deux camps ne souhaitant se départir de ses positions tranchées sur la forme que devrait prendre le futur gouvernement. Saad Hariri maintient pour l’heure son exigence d’un cabinet indépendant épuré des figures politiques, une formule rejetée par le Courant patriotique libre, le Hezbollah et Amal qui insistent à injecter une dose de représentation politique dans le futur gouvernement, tout en consentant à la participation de technocrates, voire de représentants du mouvement de révolte.
C’est désormais sur une intervention internationale de la part des pays amis du Liban – que récuse vivement la rue depuis le début du mouvement de protestation – que tablent les protagonistes. C’est dans ce contexte qu’est attendu aujourd’hui le directeur général pour les Affaires politiques au ministère britannique des Affaires étrangères, Richard Moore. La mission de l’émissaire britannique intervient après des contacts entre les partenaires occidentaux du Liban, qui œuvrent depuis plus d’une semaine en direction de la formation d’un nouveau gouvernement dans les plus brefs délais. La Grande-Bretagne avait pris part à la réunion tripartite qui s’était tenue mardi dernier à Paris avec le directeur du département Moyen-Orient et Afrique du Nord au Quai d’Orsay, Christophe Farnaud, et le sous-secrétaire d’État américain aux Affaires du Proche-Orient, David Schenker. Une réunion au cours de laquelle la question de la crise libanaise avait été, entre autres, abordée. Selon une source informée, les trois responsables devraient se réunir de nouveau le 1er décembre prochain en principe.
Moscou reçoit un émissaire de Hariri
Le représentant spécial du président russe pour le Moyen-Orient et l’Afrique et vice-ministre des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a par ailleurs reçu, vendredi à Moscou, Georges Chaabane, conseiller du Premier ministre sortant Saad Hariri pour les affaires russes. Dans un communiqué publié à l’issue de la rencontre, Moscou a exprimé l’espoir « que les efforts déployés par les responsables libanais permettront la formation d’un nouveau gouvernement capable de trouver des solutions efficaces aux problèmes difficiles et complexes de la société libanaise ». En attendant d’éventuels effets de forcing diplomatique, les compteurs au niveau des tractations ont été remis à zéro et l’intransigeance de part et d’autre est toujours de rigueur. Vendredi dernier, la réunion traditionnelle qui devait se tenir à l’issue de la cérémonie de l’indépendance entre le président Michel Aoun, le président du Parlement Nabih Berry et le chef du gouvernement sortant Saad Hariri a été annulée. Un signe patent de la détérioration des relations au sommet et de l’impasse qui persiste au niveau du choix du futur cabinet. L’ambiance glaciale qui a prévalu lors de la cérémonie officielle, au cours de laquelle M. Hariri n’a quasiment pas échangé de mots avec le président de la Chambre et le chef de l’État, ni même esquissé un sourire, ne signifie pas pour autant que les ponts sont coupés, si l’on en croit les sources de Baabda.
« En politique, il n’y a jamais de rupture définitive. La communication est toujours de mise, notamment par parties interposées », confie une source proche du chef de l’État.
On apprenait également que Baabda continue d’exprimer sa préférence pour que ce soit M. Hariri ou une personnalité qu’il nommerait qui préside le futur cabinet selon une configuration techno-politique. Mais, si cela s’avérerait impossible, M. Aoun pourrait trancher dans les jours à venir et appeler à des consultations qui pourraient aboutir à la désignation d’une autre personnalité sunnite. Une option extrême que le président cherche à éviter, conscient de l’effervescence qu’elle pourrait susciter dans certaines régions sunnites, notamment à Tripoli.
Quant au froid qui a également prévalu entre MM. Berry et Hariri, il aurait été provoqué par un message corrosif envoyé par le chef du législatif au Premier ministre démissionnaire à la veille de la cérémonie de l’indépendance. Lors d’un entretien accordé à la chaîne al-Jadeed, l’ancien député et membre du bureau politique du courant du Futur, Moustapha Allouche, a confié que M. Hariri était notamment offusqué par des propos exprimés publiquement par le président du Parlement qui avait dit que si M. Hariri était désigné de nouveau, il « le boycotterait à vie ». M. Berry, qui accuse le courant du Futur d’avoir contribué à torpiller la séance parlementaire prévue mardi dernier pour l’adoption d’une série de lois controversées censées lutter contre la corruption, n’a vraisemblablement pas pardonné ce faux pas à son chef, accusé de flirter avec le mouvement de révolte. Dans les milieux proches du Sérail où l’on observe un mutisme quasi absolu, on se contente de parler de « point mort ».
Nouvelle campagne anti-américaine du Hezbollah
Entre-temps, et poursuivant sa politique de diabolisation du mouvement de révolte dont certains acteurs ont été accusés d’être à la solde des États-Unis, le Hezbollah a lancé le week-end dernier une nouvelle campagne destinée dénoncer ce qu’il considère être une ingérence américaine dans la formation du gouvernement.
Après les propos en ce sens du secrétaire général adjoint du Hezbollah, Naïm Kassem, le ministre sortant de la Jeunesse et des Sports Mohammad Fneich a décoché ses flèches contre Washington qu’il a tenu pour responsable « en grande partie de ce qui se passe au Liban », en citant les sanctions économiques qui ont ciblé le parti chiite et la pression exercée sur le secteur bancaire libanais.
En même temps, une manifestation visiblement orchestrée par les milieux proches du Hezbollah s’est tenue hier devant l’ambassade américaine à Aoukar pour dénoncer les « ingérences étrangères ». S’exprimant au nom du mouvement de révolte, quelques dizaines de protestataires – des partisans du Parti syrien national social (PSNS), des militants palestiniens, des sympathisants du Hezbollah et des gauchistes – ont saisi l’occasion pour exprimer leur soutien à « la résistance ». Contactée, une source du mouvement de révolte du 17 octobre a tenu à souligner à L’Orient-Le Jour que l’appel à cette manifestation n’a pas été lancé par les principales composantes du mouvement.
Lire aussi
Le Hezbollah et « la patience stratégique », le décryptage de Scarlett HADDAD
À la recherche du dialogue rompu
Entre le Hezbollah et Amal, la tentation refoulée du divorce
commentaires (6)
Manifestation anti Amercaine et où la manifestation anti Iranienne?
Eleni Caridopoulou
23 h 40, le 25 novembre 2019