C’est la voix de la raison qu’a tenté de faire entendre le président de la République, dans l’appel au dialogue qu’il a lancé hier aux manifestants sur les places, à l’occasion du 76e anniversaire de l’indépendance. Le chef de l’État a mis au crédit du soulèvement populaire beaucoup de points positifs, allant jusqu’à affirmer qu’il trouve en lui le levier inespéré et indispensable pour enfin mener à bien la lutte contre l’hydre de la corruption (voir par ailleurs). Dans les milieux du soulèvement populaire, on a accueilli ce discours par un surcroît de mobilisation, tout en affirmant que la confiance est perdue dans l’establishment actuel.
Pourtant, concrètement, après la démission de Saad Hariri, l’anniversaire de l’indépendance ne semble s’accompagner d’aucun signe de progrès sur le plan de la formation d’un nouveau gouvernement. Alors que les banques lient l’assouplissement du contrôle relatif qu’ils imposent aux capitaux à l’existence d’un nouveau gouvernement, on continue en pratique de tourner en rond tandis que le rythme de l’économie se ralentit de plus en plus.
Des cercles politiques proches des tractations en cours, confirmés par des sources à Bkerké, croient savoir que parmi les nouveaux noms qui circulent comme chefs de gouvernement potentiels en remplacement du Premier ministre sortant, rejeté par le soulèvement populaire, figure celui de Samir el-Jisr, député membre du courant du Futur, classé comme modéré. S’y ajoute, selon d’autres sources, celui de la députée Bahia Hariri. Mais les noms seuls ne suffisent pas à rassurer, faute d’un accord sur la forme du prochain gouvernement.
Or, à ce niveau, le blocage reste total entre, d’une part, le président du Conseil sortant qui insiste sur la formation d’un cabinet de technocrates conforme aux vœux du soulèvement populaire et, d’autre part, le chef de l’État qui se fait l’écho du Hezbollah, favorable à un cabinet techno-politique qui, bien qu’étoffé de spécialistes, refléterait toujours la majorité parlementaire issue des dernières élections.
L’impasse à ce sujet étant totale, on répète par ailleurs dans le camp du tandem chiite que « ce sera Saad Hariri ou quelqu’un que choisirait Saad Hariri, mais de préférence Hariri », qui sera le prochain Premier ministre. Ce faisant, le Hezbollah exclut absolument la possibilité de former un « cabinet de confrontation », comprendre un cabinet qui reposerait sur une majorité parlementaire dont serait absent – ou exclu – le courant du Futur.
Cela dit, la crise libanaise, qui est bien engagée dans son second mois, commence à inquiéter les chancelleries occidentales. C’est ainsi qu’une réunion de concertation regroupant l’émissaire français Christophe Farnaud, qui se trouvait il y a peu au Liban, et le sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires du Proche-Orient David Shenker s’est tenue hier à Paris, en présence aussi, croit-on savoir, d’un diplomate britannique.
(Lire aussi : Tirelires et tire-au-flanc, le billet de Gaby NASR)
Le CPL à Bkerké et Aïn el-Tiné
Sur le plan local entre-temps, le Courant patriotique libre s’est activé hier en direction du siège patriarcal maronite et de la présidence de la Chambre. C’est ainsi que le ministre de la Défense Élias Bou Saab s’est entretenu avec Nabih Berry, tandis que le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, recevait le député Ibrahim Kanaan, président de la commission parlementaire des Finances.
M. Bou Saab est resté muet à sa sortie sur la nature de son entretien. Toutefois, on sait que plusieurs responsables politiques, notamment ceux issus du Hezbollah, ont critiqué l’armée et les forces de sécurité en affirmant que celles-ci n’avaient pas pris les mesures adéquates pour assurer la tenue de la séance parlementaire du 19 novembre.
Pour sa part, le président de la Chambre a adressé ses vœux aux Libanais en leur rappelant qu’ils ont « forgé leur indépendance grâce à leur unité », les invitant à préserver celle-ci et « à ne pas se laisser prendre au piège de la discorde, qui est plus amère que la mort ».
Pour sa part, M. Kanaan a affirmé à sa sortie de Bkerké que la solution à la crise qui a éclaté le 17 octobre est nécessairement « politique » et que « le dialogue et le principe de complémentarité » doivent marquer les rapports entre le soulèvement populaire et les dirigeants en place.
Dans les cercles proches du siège patriarcal, on affirmait hier soir, sur foi des dires de M. Kanaan, « qu’il y a un léger déblocage » sur le plan de la formation du nouveau gouvernement, et ce dernier a informé le patriarche de l’état de la question, tout en signalant l’existence d’une certaine tension entre les deux rues sunnite et chiite, et insisté sur l’importance « de ne pas perdre un temps précieux », comme aussi sur le fait que « pour dialoguer, il faut être deux ».
Toujours est-il que la fête de l’Indépendance n’en sera pas vraiment une cette année, le défilé militaire traditionnel ayant été remplacé, pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, par une parade ce matin au ministère de la Défense, à laquelle assisteront restrictivement les présidents Aoun, Berry et Hariri, ainsi que les chefs des divers services de sécurité. Dans certains cercles bien informés, on assure que les trois présidents mettront cette occasion à profit pour se rendre à Baabda, où la réception officielle de l’Indépendance a été annulée, et s’y concerter.
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commentaires (6)
Il faut faire venir des Libanais de l'étranger technocrates et mettre tous ces voleurs en prison
Eleni Caridopoulou
23 h 25, le 25 novembre 2019