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À La Une - Irak

Photos intimes volées, les Irakiennes seules face aux maîtres-chanteurs du net

En Irak, le "revenge porn" --ou pornodivulgation-- prospère sur un terreau, fertile selon victimes, militants et avocats, celui d'une société conservatrice, de réseaux sociaux devenus plateforme de rencontre, de victimes peu au fait des outils de protection en ligne et d'un arsenal législatif bien faible.

Des manifestantes irakiennes anti-pouvoir posent pour une photo en-dessous d'un graffiti, le 20 novembre 2019 à Bagdad. Photo AFP / SABAH ARAR

"J'ai tes enregistrements et tes photos, je les envoie à ton père?" : en lisant ce message envoyé depuis un compte anonyme sur Instagram, Hala a senti son sang se glacer. Et comme elle, de nombreuses Irakiennes ont été piégées par hackers et amoureux éconduits.

Cette vingtenaire a ensuite reçu une salve de menaces similaires sur tous ses comptes en ligne: Facebook, Snapchat... accompagnés de photos intimes qu'elle avait envoyées elle-même à un amoureux avant qu'un pirate ne les récupère. "Des messages réclamaient de l'argent, d'autres des relations sexuelles même par téléphone, certains visaient seulement à me harceler sans raison", raconte à l'AFP la jeune femme qui témoigne sous un prénom d'emprunt.

En Irak, le "revenge porn" --ou pornodivulgation-- prospère sur un terreau, fertile selon victimes, militants et avocats, celui d'une société conservatrice, de réseaux sociaux devenus plateforme de rencontre, de victimes peu au fait des outils de protection en ligne et d'un arsenal législatif bien faible. Et ses conséquences peuvent être dévastatrices. Au mieux, la réputation d'une famille toute entière ruinée, au pire une condamnation à mort au nom des "crimes d'honneur".

L'année dernière, une jeune blogueuse et influenceuse très suivie sur les réseaux sociaux, Tara Fares, a été tuée par balles à Bagdad, et beaucoup estiment qu'on a pu ainsi vouloir lui faire payer l'affichage d'un mode de vie jugé trop libre.

Hala, elle, a préféré fuir l'Irak. Mais même à l'étranger où elle vit désormais, elle dit "toujours recevoir des menaces" car "ces gens n'oublient pas".

Pour la militante contre les violences faites aux femmes Roussoul Kamel, Facebook et Instagram sont devenues des plateformes de rencontre dans un pays où la non-mixité règne.


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Publication gênante

Et, faute d'éducation sexuelle, c'est aussi vers les réseaux sociaux que les jeunes femmes se tournent pour poser des questions sur leurs corps dans des groupes exclusivement féminins, mais pas à l'abri des attaques en ligne.

Or dans une société conservatrice comme l'est l'Irak, une photo prise sans voile, cheveux découverts, peut déjà être considérée comme intime et sa publication gênante. Pourtant leur utilisation à des fins crapuleuse ne cesse d'augmenter, assure Mme Kamel. Plusieurs cas ont été rapportés à l'AFP. Une victime a payé 200 dollars par mois pendant quatre ans à un ancien petit ami qui la menaçait de rendre publiques les photos intimes qu'elle lui avait envoyées, selon une de ses collègues.

Une autre a été forcée de vendre son téléphone et tous ses bijoux pour payer le pirate qui la faisait chanter, tandis qu'un amant virtuel en a menacé une troisième d'envoyer ses photos à son mari si elle ne se soumettait pas à des rapports sexuels avec lui.

"Le chantage en ligne rassemble l'ensemble des violences qui peuvent être faites aux femmes : sexuelles, psychologiques et économiques", affirme Mme Kamel.

Selon une enquête IPSOS MORI réalisée en 2017 pour Amnesty International dans huit pays (Danemark, Italie, Nouvelle-Zélande, Pologne, Espagne, Suède, Royaume-Uni et Etats-Unis), 23% des femmes y avaient subi des violences de tout genre sur internet, avec de fortes conséquences psychologiques : baisse de l'estime de soi ou perte de confiance en soi pour 61% des femmes concernées, stress, angoisse et crises de panique pour 55% d'entre elles.

Pour l'avocate Marwa Abdulridha, qui en trois ans a déjà reçu dans son cabinet des dizaines de victimes, le chantage sur internet se développe en l'"absence de moyen dissuasif" dans un Irak où entrer dans un commissariat pour ce genre d'affaires est tabou. Les agresseurs, eux, peuvent parfois se prévaloir de la protection de leurs tribus, toute-puissantes en Irak. "L'idée d'en parler devant un tribunal est un épouvantail et c'est à cause de cela que la plupart des victimes ne portent pas plainte", explique cette avocate de Bagdad à l'AFP.


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'C'est quoi ce Facebook?'

Quand par chance elle arrive au juge, la victime fait souvent face au mur de l'ignorance, affirme Me Abdulridha qui affirme avoir "vu des juges demander : 'c'est quoi ce Facebook?'". Le ministère de l'Intérieur, lui, indique avoir ouvert trois dossiers le mois dernier, sous des accusations allant de la "menace criminelle" à l'"escroquerie".

Au sein de la police, toutefois, une section a fait le choix d'une approche différente pour inciter les victimes à parler. Dans les commissariats où ses agents --et agentes-- sont déployés, "les officiers ont pour priorité l'anonymat des victimes", explique leur patron, le général Ghalib Atiya. "Nous menons l'affaire comme elles l'entendent, en les emmenant au tribunal ou pas", selon le choix des victimes. Et ses unités se targuent d'être même plus efficaces que la justice : à Mossoul, dans le nord du pays, elles affirment avoir mis un point final à trois affaires en une semaine, en passant par des médiations locales pour aboutir à une réconciliation.

Malgré tout, pour le général Atiya, le phénomène "atteint un niveau dangereux" alors que les femmes représentent 60 à 70% des victimes de chantage en ligne, principalement à Bagdad et dans le sud tribal du pays.

Me Abdulridha, elle, pense qu'il faut plutôt agir pour changer les mentalités. Elle plaide pour que les médias ne classent plus ces cas dans les affaires à scandales et que l'information s'améliore sur les moyens de faire face au piratage. Sans cela, prévient-elle, "une fille peut être tuée en une fraction de seconde".


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