Notre pays, notre économie passent actuellement par une période hautement critique, caractérisée tout à la fois par une contraction de l’activité et de l’exportation des entreprises, une explosion du déficit public et de la dette souveraine et une érosion des flux de capitaux entrants, corollaire du contexte politique et social local et régional et de la baisse de confiance des déposants. Ces tensions, conjuguées aux effets de la contestation en cours, ont fini par se répercuter sur le plan monétaire et financier avec notamment l’instauration de mesures informelles mais très restrictives sur la circulation des devises et des capitaux, qui accentuent considérablement la pression sur les entreprises et agents économiques.
Face à ces enjeux considérables, il est donc urgent de trouver une stratégie constructive et créative pour réduire les charges de l’État sur la nation, protéger la parité de la monnaie nationale et injecter rapidement les liquidités dans l’économie pour la sauver de l’asphyxie.
Coûts
Il est largement admis qu’une monnaie a trois fonctions : médium d’échange, étalon monétaire et réserve de valeur. La première fonction permet aux agents économiques d’échanger à moindre coût puisqu’ils peuvent, dans chacun de leurs échanges, transiter par un bien universel ; la deuxième facilite la comparaison de la valeur des biens ; la troisième enfin donne latitude aux agents de différer leur consommation en épargnant.
Le Liban est un pays à économie hautement « dollarisée » et notre politique monétaire a été, depuis de nombreuses années, de maintenir une parité stable avec cette devise. Cet objectif, tout à fait justifié puisqu’il protège des personnes ayant des revenus futurs en livres libanaises, est cependant difficilement compatible avec une insuffisante discipline budgétaire. En effet, sachant que l’État, dépensant plus qu’il ne reçoit, aura tendance à dévaluer pour combler son déficit, tout épargnant en livres voudra une prime de risque additionnelle. De son côté, la Banque centrale, pour éviter des fluctuations erratiques de la valeur de la monnaie, est obligée de conserver des réserves de change importantes qui, autrement, auraient pu être investies dans l’économie nationale, alors qu’elles sont présentement placées, en majorité, dans des économies occidentales. Nous estimons les coûts et les manques à gagner, pour l’économie nationale, à plusieurs dizaines de milliards de dollars depuis 30 ans. Il serait inutile et peu productif de regarder en arrière et de se lamenter, mais une chose est sûre, il nous sera impossible de poursuivre cette politique monétaire faute de moyens et de changements majeurs dans l’environnement régional. En effet, une dévaluation impliquerait une inflation des prix à la consommation et réduirait le niveau de vie d’un grand nombre de ménages. Quant à des fluctuations erratiques, elles obligeraient à de très gros efforts des agents économiques pour s’y ajuster. Nous devons donc essayer d’être plus créatifs en trouvant un moyen pour, d’une part, garantir la parité monétaire avec le dollar, et d’autre part réduire le coût de sa stabilité.
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Emprunter exclusivement en devises
Une solution viable serait que l’État n’emprunte plus en monnaie locale mais exclusivement en devises. De ce fait, les banques n’auront plus d’incitation à collecter des dépôts en livres libanaises. Et, dans la pratique, la troisième fonction de la monnaie, la réserve de valeur, aura quasiment disparu.
Les conséquences d’une telle mesure seraient considérables. En effet, cela permettrait d’éliminer la spéculation sur la livre libanaise qui, en période de confiance, assure au spéculateur des gains conséquents aux frais du Trésor, et dans les périodes de méfiance, oblige la Banque centrale à dépenser une partie de ses réserves pour éviter l’effondrement de la livre. Dans la crise actuelle, cela libérerait les réserves en devises et en or. Ces dernières pourront être nanties pour emprunter un montant presque équivalent. Surtout, en éliminant l’incertitude, cela réduirait les coûts transactionnels que les acteurs prennent en compte lorsqu’ils font des transactions en livres libanaises. Enfin, cela obligerait nos gouvernements à être plus disciplinés en matière de dépenses et à suivre les normes internationales de gouvernance puisqu’ils n’auront plus la facilité de la planche à billets.
À ceux qui objecteraient que la Banque centrale perdrait la possibilité d’une politique monétaire interne, il convient de signaler que la BDL a déjà une politique monétaire en devises étrangères. Elle fixe en effet pour les banques libanaises le niveau de réserves obligatoires, les taux directeurs et l’offre de crédits, toutes devises confondues. Et à ceux qui regretteraient que la Banque centrale perde le droit de seigneuriage, il faut signaler que la Banque centrale le conserverait tout entier pour la monnaie fiduciaire et, grâce aux réserves obligatoires, pour la monnaie scripturale également. De la sorte, la BDL aurait les mêmes avantages que les autres banques centrales sans en supporter les inconvénients.
La transition ne pourrait être immédiate et sans doute faudrait-il l’étaler sur quelques années, mais cela dégagerait immédiatement quelques milliards de dollars de liquidités, fort utiles dans le contexte actuel, et qui atteindraient vraisemblablement, selon nos estimations, plus de dix milliards au bout de 5 ans.
Au moment où les économies mondiales sont en plein chantier de restructuration, où les marchés baignent dans des zones de libre-échange, où les monnaies multinationales ont franchi plusieurs étapes structurelles, il est peut-être temps de réfléchir à ce qui est réellement utile dans notre monnaie nationale et ainsi réduire l’une de ses fonctions et, par conséquent, le coût exorbitant du maintien de sa stabilité et cela sans préjudice pour les personnes les plus fragiles, notamment les retraités vivant de leur rente en monnaie locale.
Riad OBEGI, Président-directeur général de la banque BEMO.
Fouad ZMOKHOL, Président du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprise libanais dans le monde (RDCL-World).
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LA LIBRE EXPRESSION
09 h 39, le 17 novembre 2019