Le gouverneur de la Banque centrale du Liban, Riad Salamé, a affirmé lundi que, malgré la situation délicate que connaît actuellement le Liban, où le peuple se révolte depuis près d'un mois contre la classe dirigeante sur fond de crise économique rampante, la stabilité de la livre libanaise est assurée. Il a par ailleurs souligné qu'aucune politique de ponction sur les dépôts ("haircut") ou de contrôle des capitaux ("capital control") ne sera mise en œuvre, alors que des informations circulaient dernièrement dans les médias à ce propos.
"Nous avons traversé de nombreuses périodes délicates et dans toutes les situations, nous avons préservé la stabilité de la livre libanaise", a déclaré M. Salamé lors d'une conférence de presse au siège de la BDL, citant notamment la guerre en Syrie, les sanctions imposées au Hezbollah et les problèmes internes, comme les différentes périodes de vacance présidentielle et gouvernementale. "Tous ces événements, ajoutés à la diffusion de rumeurs, intentionnelles ou non, ont provoqué la situation de crise actuelle", a-t-il indiqué. Il a précisé que "le recul des mouvements économiques et la croissance négative en 2019 ont causé une augmentation du chômage et ont fortement impacté certaines classes sociales". "Notre économie étant dollarisée, s'il n'y a plus de dollars sur le marché, cela signifie qu'il n'y a plus d'économie", a encore mis en garde le gouverneur de la BDL.
Quelques heures plus tard, l'Association des banques a indiqué, dans un communiqué, accueillir "favorablement" les annonces de Riad Salamé.
Pendant les deux premières semaines du mouvement de contestation, les banques ont fermé leurs portes. Elles avaient rouvert pour un peu plus d'une semaine avant de refermer samedi et aujourd'hui, à l'occasion de la fête de la Naissance du prophète. De quoi leur donner un peu de répit alors qu'elles doivent faire face à une crise sans précédent. En effet, les banques font l'objet d’une pression croissante de la part de leurs clients, dans un contexte de crise économique rampante et de crainte d'une pénurie du dollar américain. Pour faire face à cette situation, de nombreux établissements ont instauré des mesures restrictives, s'apparentant à un contrôle des capitaux, pour éviter une vague de retraits massifs et la fuite de capitaux hors du pays.
Et lundi, le syndicat des employés des banques du Liban a annoncé une grève générale ouverte à partir de mardi matin. Cette grève, déclarée en raison des circonstances actuelles et de la pression sur le secteur bancaire, se poursuivra "jusqu'à ce que la situation s'apaise", selon un communiqué publié par le syndicat. Dans une déclaration plus tard à la LBC, le président du syndicat a appelé tous les employés à ne pas se présenter à leurs bureaux, mettant en garde les directions des établissements bancaires contre toute pression effectuée dans ce but.
La stabilité de la livre assurée
Commentant cette crise, M. Salamé a indiqué que pour limiter les conséquences négatives de l'arrêt des rentrées en dollars sur le marché libanais, la BDL a suggéré aux banques une série de mesures, qui devraient être adoptées et mises en œuvre lors d'une réunion des différents acteurs du secteur.
"Aujourd'hui, nous sommes devant une nouvelle phase", a-t-il annoncé, soulignant que malgré les difficultés, "la stabilité du taux de change de la livre est assurée". Il a expliqué dans ce contexte que si les taux de change sont plus élevés chez les agents de change qu'à la BDL, où les taux sont fixes, c'est parce que les changeurs fixent leur prix en fonction de l'offre et de la demande. "Ce phénomène" d'augmentation des taux et de restriction de l'accès au dollar "s'apaisera lorsque la situation s'apaisera dans le pays", a estimé M. Salamé.
"Pas de ponction sur les dépôts"
Revenant sur les mesures suggérées par la BDL, le gouverneur a assuré que les dépôts effectués dans les différentes banques du pays resteraient protégés et qu'il n'y aurait "pas de politique de ponction sur les dépôts ("haircut"), notamment parce que la BDL n'a pas les prérogatives de mettre en place une telle mesure".
Sur le plan du contrôle des capitaux ("capital control") pour lequel le Liban n'a pas de politique unifiée, M. Salamé a souligné que cette question "n'est pas actuellement en discussion parce qu'elle n'entre pas dans les prérogatives de la BDL, qui de toute façon ne souhaite pas l'instauration de ce genre de mesures".
Concernant les transferts effectués vers l'étranger, limités voire interdits ces derniers jours dans les différentes banques, Riad Salamé a souligné que cette question "doit être réglée entre les banques et leurs clients", mais que dans les circonstances actuelles, il préconise que ces transferts ne doivent être effectués qu'en cas de nécessité. Il a encore appelé à une baisse des taux d'intérêt "afin de protéger les intérêts des banques et des différents secteurs". Sur ce point, il a annoncé avoir demandé aux banques d'organiser des réunions avec les associations de commerçants et d'industriels libanais afin d'assurer que les remboursements des prêts contractés soient assurés.
"Les fonds de toutes les banques ne sont pas placés à la BDL. Les banques disposent également de fonds placés à l'étranger, auprès de l'Etat ou dans le secteur privé", a-t-il ajouté. Il a affirmé que la Banque centrale a les moyens (via des fonds dans des devises étrangères, différents investissements ou des bons du Trésor), de jouer un rôle de financement des secteurs privé et public. M. Salamé a également indiqué, en réponse à une question, que les réserves de la BDL, excluant l'or, s'élèvent à près de 38 milliards de dollars, notamment en eurobonds et investissements, et à 30 milliards de dollars en argent liquide.
"Le Liban à un tournant de son histoire"
"Nous assurons le financement du pays afin d'assurer qu'il se maintienne, mais ce n'est pas nous qui effectuons les dépenses des fonds publics. Ces dépenses sont liées au budget de l'Etat", a encore souligné M. Salamé.
Et le gouverneur d'ajouter que "le Liban est à un tournant de son histoire et nous espérons que des réformes seront effectuées concernant les services de base offerts aux citoyens", indiquant souhaiter "une reprise de l'activité du secteur privé et une reprise de la coopération entre les secteurs privé et public".
Répondant, à la fin de son intervention, à la question d'un journaliste qui lui demandait s'il mettait en œuvre "la politique américaine" de pression sur le Liban, M. Salamé a souligné n'appliquer que les politiques "qui rendent service au pays". Et de poursuivre : "L'intérêt du Liban est la base de mon action et la BDL fait tout pour protéger le pays de la situation compliquée qui sévit dans la région".
Photo Ani
Les manifestants devant la BDL peu convaincus
Si Riad Salamé s'est exprimé à plusieurs reprises dans la presse étrangère, depuis le début du mouvement de contestation le 17 octobre, c'est la première fois qu'il s'adresse directement aux Libanais. M. Salamé fait partie des cibles privilégiées des contestataires, qui l'accusent d'avoir couvert la corruption des dirigeants et critiquent ses politiques financières et monétaires.
Déjà avant la conférence de presse du gouverneur, des dizaines de protestataires se sont rassemblés devant la Banque du Liban à Beyrouth pour dénoncer la politique financière adoptée et qui a mené selon eux à la crise économique qui secoue le pays. A la suite de la conférence de presse, des tensions étaient perceptibles parmi les manifestants, visiblement peu convaincus par le discours de M. Salamé. Nombre d'entre eux ont hurlé des slogans appelant à la chute du "règne des banques" et à la démission du gouverneur. Les contestataires ont fermé la route devant l'institution.
Pour "discuter de solutions" à cette crise, une réunion a eu lieu samedi au palais présidentiel, à laquelle étaient notamment présents M. Salamé, le président de l'Association des banques Salim Sfeir, et le ministre des Finances Ali Hassan Khalil. A l'issue de cette réunion, M. Sfeir avait appelé les Libanais à "ne pas paniquer", affirmant que "l'argent des dépositaires est préservé" et que ce qui se passe "n'est pas lié à une question de solvabilité". Il avait annoncé que le gouverneur de la BDL avait été chargé de "prendre les mesures nécessaires pour maintenir la sécurité monétaire, la stabilité économique et la sécurité du système bancaire, conformément au Code de la monnaie et du crédit, et de proposer les mesures nécessaires pour des solutions pratiques en cas de besoin".
Lire aussi
Seules au front, les banques engagées dans une course contre la montre
Nouvelles fermetures de stations-service dans l'attente d'un "dénouement" de la crise des carburants
Il fait partie du scandale. C'est pas à lui de nous dire ce qu'il pense qu'on a envie d'entendre .
18 h 40, le 11 novembre 2019