Dans le centre-ville de Beyrouth, place des Martyrs, les manifestants affichent, en ce jeudi, des mines déconfites. Le discours tant attendu du président Michel Aoun n’a pas répondu aux attentes des centaines de milliers de femmes, d’hommes et de jeunes qui protestent depuis le 17 octobre. Attroupés sur l’esplanade de la mosquée al-Amine, où le discours du chef de l’État était retransmis à 13h30 via des haut-parleurs, les protestataires reprennent leurs slogans sitôt le discours terminé. « Révolution », « Le peuple a faim à cause de vous », crient-ils à l’unisson. « Tout ce discours n’est que mensonges. Michel Aoun et ses alliés ne veulent simplement pas quitter le pouvoir », lance Sawsan, 56 ans, très remontée contre le chef de l’État. « Je suis là depuis huit jours et je ne partirai pas avant que le gouvernement ne démissionne », ajoute-t-elle.
Michel, 39 ans, qui soutient les manifestations depuis le départ, estime que le président est dans un état de « déni total » et qu’il tente de s’approprier le mouvement populaire. « À la fin des années 90, il y a eu des manifestations populaires à Cuba contre Fidel Castro. Ce dernier est alors descendu en tête des manifestations en disant : “Le peuple fait la révolution, je fais la révolution avec mon peuple.” » Une histoire qu’il considère comme une métaphore du déni total. « M. Aoun fait la même chose, il essaie de prétendre que c’est lui le père de la révolution alors que la révolution est contre lui et son gendre (le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil) », analyse Michel.
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« Ce n’est pas le moment de discuter, affirme à L’Orient-Le Jour Malek Kibrit, du parti Sabaa, qui fait partie du collectif des associations de la société civile. M. Aoun nous demande de lui dire ce que nous voulons, mais on ne va pas discuter avec quelqu’un qui a perdu toute légitimité à nos yeux. Le gouvernement et le mandat Aoun sont tombés dimanche dernier, lorsque les gens ont manifesté de manière massive. Mais si le président nous fait des propositions, on écoutera », souligne l’activiste.
« En principe, quand quelqu’un perd, ce n’est pas lui qui pose les conditions. On lui a dit qu’on voulait qu’il s’en aille, ajoute-t-il. Il vaut mieux que Michel Aoun démissionne, qu’il aille se reposer chez lui, qu’il passe du temps en famille, qu’il passe le reste de ses jours dans le calme. On le remercie pour tout ce qu’il a donné ces dernières années, il est temps qu’il se repose maintenant », lance M. Kibrit.
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« Nous restons ici »
Non loin de la mosquée al-Amine, un groupe d’hommes commentent le discours du président, visiblement déçus. « Il a peur que le pays s’effondre ? Je pense que c’est déjà fait », lance un jeune. Ghada, la cinquantaine, a quant à elle les larmes aux yeux et la gorge serrée. « Ce n’est pas possible de se jeter des fleurs comme il l’a fait. Il aurait mieux fait de ne pas parler. On nous prend pour des idiots », s’indigne-t-elle. « Nous restons ici, nous ne partirons pas. Nous allons descendre ici tous les jours », affirme la manifestante.
Dans l’après-midi, le caractère pacifique des protestations a été perturbé par des échauffourées violentes entre des manifestants et des partisans du Hezbollah. Descendus à Riad el-Solh et place des Martyrs, plusieurs fidèles au parti chiite ont défendu le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, ce qui a tendu l’ambiance. Ces heurts ont nécessité une intervention des forces de sécurité qui ont tiré en l’air pour disperser les manifestants. De nombreuses personnes ont été blessées.
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Dans plusieurs régions du pays, les réactions sont tout autant violentes. À Zouk, les manifestants étaient déçus. « Il n’a rien dit d’important. C’est comme s’il n’avait pas parlé », déclare un jeune. « C’est seulement maintenant qu’il nous écoute ? C’est trop tard, nous ne bougerons pas », ajoute-t-il, commentant le souhait exprimé par le chef de l’État de rencontrer une délégation des manifestants. « Il ne s’adresse pas à nous, mais aux membres de son parti. Nous n’allons pas bouger, mais c’est assez déprimant, ce sentiment que personne ne nous écoute », renchérit une femme. « C’est un discours qui n’a aucun sens. Il insulte l’intelligence des Libanais. Il n’a rien fait depuis une semaine pour regagner la confiance du peuple », ajoute une autre manifestante.
À Tripoli, les protestataires massés sur la place al-Nour ont dénoncé le fait qu’il ne se soit même pas adressé directement au peuple libanais et que son discours ait été enregistré à l’avance. « Kellon yaani Kellon », « le peuple veut la chute du régime », ont-ils scandé en chœur.
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commentaires (5)
Difficile et utopique , tu n'as pas vu la nouvelle génération ? Qu'ils commencent d'abord par ne plus jeter leurs poubelles sur les chaussées publiques et dans la nature, qu'il commencent à conduire de façon réfléchie , qu'ils commencent à ne pas souiller leurs plages , a faire la queue etc etc ... ils sont tous corruptibles , les plus petits autant que les plus grands , et on me parle de révolution ! Ce n'est pas un gouvernement qui changera ça . Soyons réalistes , personne n'aura la baguette magique
Chucri Abboud
13 h 42, le 25 octobre 2019