Libanais d’origine, français et canadien d’adoption, hétéroclite de formation à l’instar de plusieurs jeunes nés dans les années 80, Vladimir Antaki a roulé sa bosse comme il a pu, avec toujours au cœur cette obsession de partager ce que ses rétines ont retenu durant ses nombreux déplacements.
« Je suis issu, comme beaucoup de Libanais, d’une famille protectrice, soucieuse d’une éducation où la limite entre les activités permises et celles proscrites était très claire. La seule chose que j’avais le droit de faire de manière illimitée était de me rendre dans les salles de cinéma. J’adore les films », explique le photographe dont l’amour pour l’image a sans doute été formaté par cette activité fondamentalement visuelle. Lorsque est venu le temps de choisir son cursus académique, « les filières créatives n’étaient pas une option », précise celui qui finira par intégrer une école de commerce à Paris. « Mais j’ai abandonné ce cursus au bout de six mois et lors de la rentrée qui a suivi, je me suis inscrit à la Sorbonne pour y suivre des cours d’esthétique de l’art et du cinéma durant deux ans », souligne Vladimir Antaki. Sauf qu’un mois avant la date de l’obtention de son diplôme, les grèves estudiantines faisaient rage dans les différentes villes françaises. Le photographe en devenir s’impatiente et ira découvrir le Canada, muni d’un appareil photo argentique acheté quelques semaines plus tôt. Lorsqu’il fait développer sa première pellicule, elle s’avère voilée. « Je manquais clairement de technique », avoue-t-il. Après avoir passé son été à prendre des photos, il fallait rassurer les parents quant à ses projets. Le photographe suivra donc des cours du soir pour maîtriser les techniques labos de la photographie. « À cette époque, je n’avais pas de vie sociale. Mes journées étaient partagées entre mes cours du soir et des photos prises continuellement. Tout était nouveau… J’avais envie de documenter ma réalité », résume-t-il.
Une affaire de carte de visite
Vladimir Antaki reprend la fac et poursuit des études d’art visuel et médiatique. Il sort de sa tanière, commence à faire des rencontres. Quelque temps plus tard, il a la chance de travailler sur un projet au cours duquel il rencontre une styliste qui lui présentera des artistes « cool kids » montréalais. Le photographe avoue qu’à l’époque il manquait d’assurance en ses capacités. À tout hasard, il décide de créer sa première carte de visite. Sans ligne directrice et ne sachant pas quoi faire, il détoure son visage dans une des photos de lui prise par un ami. La photo est montée sur une carte en forme de Polaroid, la carte de visite fait un tabac. Les gens posent avec et la partagent sur les réseaux sociaux. « Ça allait des “cool kids de Montréal” à Lady Gaga en passant par Juliette Binoche. » Le phénomène est viral.
Mais il ne croit pas trop au hasard et découvrira, de fait, une photo de sa mère prise en 1978, soit 30 ans plus tôt, dans laquelle elle tient un Polaroid dans sa main. Son obsession des dates vient de là, de cette conviction que les événements sont une succession logique de signes et de coïncidences fortuites, voire voulues. Il fonde le collectif Artistic Agitators, une sorte de plate-forme à travers laquelle il met en contact les clients avec les artistes « qui sont faits pour un job particulier. J’étais honnête. Je ne vendais pas du rêve aux clients… Ils venaient me voir parce qu’ils savaient que j’étais crédible. Je me suis dit que si je ne savais pas faire quelque chose, je ferai en sorte de m’y atteler, et de trouver un moyen de le faire ». Le photographe commence à prendre confiance en lui. « Je me battais pour réussir quelle que soit la complexité du projet mandaté », indique-t-il.
Les « guardians » : célébration d’un réseau de prophètes anonymes
Un de ses projets le mènera à New York. Dans le métro, il tombe sur un kiosque et son propriétaire. Il immortalisera la scène et ce sera le premier cliché d’une longue série qui le mènera, 7 ans durant, de l’Amérique du Nord au Liban en passant par plusieurs villes européennes. Il prendra en photo des hommes et des femmes dans leur élément. Il documentera leurs histoires; des années de savoir-faire, d’expertise, de métiers qui tomberont sans doute dans l’oubli d’ici peu. Il prend en photo ces prêtres et prêtresses, gardiens de leurs temples respectifs. Que ce soit des brocanteurs, des disquaires, des garagistes, des vendeurs de cigarettes, ou encore les propriétaires d’échoppes de reliques religieuses, de kiosques à bonbons et snacks en tout genre, Vladimir Antaki veut célébrer « les gardiens de traditions, d’un savoir-faire presque décalé, de passions. Ces gens-là sont en train de disparaître et tout le monde s’en fout », déplore-t-il. Avec l’aide de Glenn Castanheira, responsable de la société de développement du Boulevard Saint-Laurent à Montréal, les photos de certains « guardians » iront orner les vitrines d’un des boulevards canadiens les plus fréquentés.
L’objectif du livre The Guardians paru aux éditions Kehrer est « de prendre conscience de cet aspect sacré en voie de disparition », souligne le photographe qui signera son livre au Royal Monceau et au Festival Paris Photo les 8 et 9 novembre prochain respectivement. Il participera également à la Biennale des photographes du monde arabe contemporain à l’Institut du monde arabe jusqu’au 24 novembre prochain.
*À la librairie Papercup à Mar Mikhaël le 24 octobre à 18h. Une discussion avec le photographe Patrick Baz suivra la signature.
6 mai 1980
Naissance à Riyad.
11 août 2003
Quitte Paris pour s’installer à Montréal.
4 juin 2008
Crée sa première carte de visite; un tournant dans sa carrière d’artiste visuel.
31 octobre 2010
Mort soudaine de sa mère.
5 mai 2014
Présente son portfolio à Toronto au moment même où les vues de son profil sur le site Behance explosent.
21 octobre 2014
Première installation urbaine des « gardiens » sur les vitrines du Boulevard Saint-Laurent.
24 octobre 2018
Rencontre avec une femme qui va le « reconnecter avec lui-même et avec Paris ».
18 avril 2019
Sortie officielle du livre « The Guardians ».
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