Comment les Arabo-Américains sont-ils représentés dans le monde du showbiz ? C’est une question à laquelle plusieurs chercheurs tentent de répondre en démontrant qu’à la télévision tout comme au cinéma, les acteurs d’origine arabe ont souvent le « mauvais rôle ». Dans ce contexte, il est intéressant de revenir sur la longue carrière d’une figure historique incontournable du cinéma hollywoodien.
Mohammad Hassan Yachteen ou Frank Lackteen (il a lui-même changé son nom) a joué dans plusieurs films. Il a eu une longue et riche carrière artistique. Cinquante ans après sa mort, que peut-on apprendre du tout premier acteur qui a voulu délibérément être le méchant à l’écran ?
Du bandit au voleur
Né en 1895 à Kab Élias, il a émigré avec des membres de sa famille qui cherchaient à améliorer leur situation économique et voulaient démarrer une nouvelle vie aux États-Unis. Comme une majorité des migrants originaires de la même région libanaise de cette époque, les Yachteen se sont installés à Lawrence dans l’État du Massachusetts.
Avec ses deux frères, Mohammad était le plus jeune garçon et a travaillé dans divers domaines avant de devenir acteur. L’opportunité s’est présentée lorsqu’il a visité l’un de ses frères qui résidait alors à Montréal. À 17 ans, il fait ainsi sa première apparition dans un film de Frank Crane. L’expérience lui plaît. Il décide de persévérer dans cette voie à son retour aux États-Unis, d’abord à New York, ensuite en Californie.
Mohammad (ou Franck) comprend que sa couleur de peau, ses traits de visage, ses gestes et son accent peuvent lui servir dans ce métier. Il saura alors les utiliser tout au long de son parcours pour jouer des rôles différents : bandit, renégat ou voleur ; Indien, Mexicain ou Chinois. Toutes les communautés y passent, surtout celle des Indiens d’Amérique, qu’il incarnera à diverses occasions.
La carrière de Lackteen était certes florissante durant la période du cinéma silencieux, qui s’est étendue de 1911 à 1927 à Hollywood. Mais elle ne s’est pas arrêtée à cette date et a duré durant cinq décennies, de 1917 jusqu’en 1968. Au total, il aurait interprété 500 rôles. Parmi ses apparitions les plus notables, citons Hawk of the Hills, l’un des rares films silencieux à être préservés par l’Academy Film Archive. Il joue alors l’un des Indiens d’Amérique. On le retrouve aussi dans d’autres films comme The Pony Express en 1925, The Three Musketeers en 1935 et tant d’autres films. Omar Mouallem, chercheur et écrivain (son livre Praying to the West devrait être publié l’année prochaine par la maison d’édition Simon & Schuster au Canada) connaît bien Franck Lackteen qu’il présente comme l’un de ses « ancêtres ».
Un homme méconnu
Le plus intrigant dans l’histoire de cet acteur, c’est qu’un être de ce calibre n’a pas eu la reconnaissance qu’il méritait, ni à Hollywood ni au sein de sa propre communauté arabo-américaine. Dans un entretien qu’il a accordé à L’Orient-Le Jour, Omar Mouallem avance plusieurs raisons à cela. « Je pense que les Arabes ne se rendaient pas compte de sa véritable identité, explique-t-il. L’acteur ne faisait pas en effet partie du cercle arabo-américain ni de l’Association syro-libanaise. Mohammad le musulman avait en effet choisi de se convertir à la religion presbytérienne, et il s’est américanisé. Il a été marié deux fois, et dans les deux cas, à des personnes hors de sa communauté. » Et pourtant, au sein de son pays d’accueil, il est aussi passé inaperçu. « Les Américains ne lui ont consacré aucune biographie. Ils ne lui ont rendu aucun hommage », constate-t-il.
Toutefois, les choses commencent à bouger depuis que Omar Mouallem a commencé à fouiller dans le passé de l’acteur. À Lawrence par exemple, la ville où il avait démarré sa vie américaine, une journée lui sera dorénavant consacrée. Ses films seront projetés, sa vie artistique sera explorée. Mohammad Yachteen aurait-il apprécié ce regain d’intérêt ? « Sans doute, note le chercheur. Mais je pense qu’il a toujours été dans un mode de survie. Comme tout émigré, il se sentait tout le temps redevable à son nouveau pays. »
Cela dit, le plus vilain des vilains à l’écran, qui avait un grand cœur dans la vraie vie, aurait sans doute apprécié ce succès tardif.
Cette page est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban. E-mail : monde@rjliban.com – www.rjliban.com
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