Haydar el-Ali est aujourd’hui un des noms les plus influents dans le monde de l’activisme écologique. Et pourtant, ce qui frappe quand on rencontre cet ancien ministre sénégalais de l’Environnement d’origine libanaise, c’est son humilité, quand il écarte, avec l’humour qui le caractérise, toute référence à sa notoriété. Il apparaît comme animé d’une passion qui le consume toujours pour la protection de l’environnement, notamment marin. Fondateur de l’organisation Oceanium, Haydar el-Ali était récemment au Liban à l’occasion de la Lebanese Diaspora Energy qui se tenait à Beyrouth, ainsi que Karine Fakhoury, sa collaboratrice et fondatrice de l’association Biophilia (voir encadré).
Haydar el-Ali a eu un parcours atypique, lui qui est issu d’une famille libanaise de commerçants émigrée au Sénégal. « J’ai été moi-même marchand de meubles, mais je n’étais pas épanoui dans ce monde, raconte-t-il. Je gagnais de l’argent, et pourtant j’étouffais dans le monde des affaires. Un jour, en allant boire un café chez mon père, j’ai vu dérouler ma vie devant moi. Je ne réalisais pas que j’étais debout au milieu de la route, indifférent aux klaxons. » Déjà marié et père, à même pas trente ans, il décide alors de quitter ce domaine et erre un an en quête de solution à son malaise.
Très attiré par la mer, le jeune homme de l’époque se met à la plongée, et se découvre un don pour « écouter » l’océan. « J’ai découvert les fonds marins à une époque d’abondance, se souvient-il. Ce n’est plus le cas, j’ai vécu la transformation dans ma chair : quand j’ai vu les pêcheurs utiliser la dynamite ou les moyens industriels ravageurs, j’ai alors sorti la tête de l’eau pour leur parler. » C’est donc en constatant les problèmes écologiques que l’amoureux de la nature s’est transformé en activiste ou, pour utiliser ses propres termes, en « chevalier militant » en faveur de l’environnement.
« La politique souvent fourvoyée par la finance »
C’est dans ce contexte qu’il intègre Oceanium en 1985, une organisation créée par un professeur français en 1984 qui était à la recherche d’un chercheur passionné. Pour mieux dissuader les partisans de la désastreuse pêche à la dynamite, Haydar el-Ali commence à filmer sous l’eau, afin de leur montrer l’étendue des conséquences écologiques. Et ça a marché… La création d’aires marines protégées a suivi, puis naturellement la plantation de mangroves, « très importantes pour 30 % des poissons ». « Nous avons ainsi planté 156 millions d’arbres de mangroves jusqu’en 2010, et ce n’est pas fini », assure-t-il. La clé de leur réussite ? La mobilisation des populations dans les villages.
Sa vision de la lutte pour l’environnement a naturellement mené Haydar el-Ali vers la politique. « Je pense qu’il est nécessaire d’entrer en politique pour faire avancer les causes environnementales auxquelles on croit, affirme celui qui est toujours président du parti des Verts, considéré comme ayant fondé le mouvement écologique politique en Afrique de l’Ouest. Il faut ce cheminement politique pour sensibiliser la population et les maires à la préservation de leur environnement. »
« Pour moi, poursuit-il, l’écologie vient avant la politique, d’où le fait que je ne suis pas resté longtemps ministre ! À ce poste, j’ai empêché des projets d’exploitation de l’or dans un parc naturel, faisant fi de toutes les pressions. Je leur ai dit “Get out !”. Or je viens d’entendre que le projet a de nouveau été remis sur le tapis par des élus locaux corrompus. Pour moi, c’est la preuve que le politique peut agir si la volonté est là. Toutefois, la politique a souvent été fourvoyée par le monde de la finance qui, à travers des lobbies puissants, peut modifier les lois afin qu’elles servent ses intérêts. Alors que les écologistes purs et durs n’ont pas accès aux finances, aux médias… »
Cent millions de graines
Loin de se décourager, Haydar el-Ali évoque son plus récent projet, celui dit des « 100 millions de graines ». « Nous sommes partis du constat que les arbres sont liés à des animaux, que ces animaux mangent des graines, les libérant ensuite dans la forêt où poussent les arbres, explique-t-il. Nous allons donc planter des graines après les avoir préparées et enrichies de matières organiques, comme quand elles passent par le système digestif des animaux. Chacun des éléments ajoutés aura son rôle à jouer dans le succès de l’entreprise, une fois que la pluie tombera. »
Cette action rejoint sa propre vision de la lutte pour un meilleur environnement, celle d’un changement profond dans les comportements. « Il faut ignorer le système parce qu’en le combattant, on le nourrit, souligne-t-il. On vit autrement, c’est tout. Je vis dans un monde où je produis mon électricité et mon eau par forage, et où je cultive ce que je mange. Ce n’est pas donné à tout le monde, surtout quand on habite dans les villes. Mais se poser des questions sur ce que l’on consomme est déjà un acte hautement politique qui peut préserver l’environnement. Cette lutte doit passer par l’individu, c’est la seule solution. Si elle s’appuie sur le politique uniquement ou sur les industries, ceux-ci vont nous imposer leur propre modèle. »
« Il n’y a plus d’alternative, le monde a déjà changé, et le politique est obligé de s’intéresser à l’écologie parce que l’opinion publique l’y pousse, renchérit Karine Fakhoury. Il faut investir dans le mouvement citoyen et dans la jeunesse. »
« La forêt du Liban »… dans plusieurs pays !
Leurs parcours respectifs mènent aujourd’hui les deux écologistes à retrouver le chemin de leur patrie d’origine, le Liban, à travers Oceanium. Pour cela, ils ont tenu des réunions avec des environnementalistes à Beyrouth durant leur court séjour. Au menu, une collaboration pour un reboisement à grande échelle, dont le pays a grandement besoin !
Étant lui-même une figure atypique de la diaspora libanaise, Haydar el-Ali a prononcé un discours très remarqué à la LDE : il a proposé que les Libanais contribuent à sauver l’environnement dans le monde. Mais peut-on encore sauver l’environnement au Liban ? « Il faut une protection écologique au Liban, bien sûr, mais il convient aussi de relativiser la gravité de la situation, dit-il. Nous sommes un petit pays. Il est vrai qu’il y a beaucoup de détritus sur les plages, mais ailleurs, il y a des métaux lourds qui polluent les océans en toute discrétion, et des pesticides fabriqués par Monsanto qui déciment les abeilles. »
Pourquoi avoir lancé cet appel à la diaspora libanaise ? « Nous sommes présents dans tous les pays du monde, répond-il. Je crois que les Libanais peuvent jouer un rôle parce qu’ils sont installés partout, et qu’ils ont une relation saine avec les populations. Je leur propose une idée : créons la forêt du Liban au Sénégal, mille hectares de forêts, disséminer la culture libanaise, puis de là aller partout où les Libanais sont présents, au Brésil, au Venezuela… »
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« Solutions locales pour un désordre global », à travers Biophilia
Karine Fakhoury, complice de l’action écologique du grand environnementaliste qu’est Haydar el-Ali depuis plusieurs années, est elle-même arrivée à l’écologie assez tard, après un long cheminement dans ce qu’elle appelle « sa quête de sens ». Formée en droit, en psychothérapie et en développement personnel, elle a rencontré les traditions ancestrales spirituelles, notamment le chamanisme amérindien, ce qui a bouleversé sa vie. « Forcément, quand on parle de quête de sens, on entre dans ce qu’on appelle l’écologie, affirme-t-elle. Aux racines de l’écologie, on retrouve la notion de l’équilibre de l’être avec lui-même et avec son environnement. »
L’association Biophilia, qu’elle a fondée en France où elle a vécu depuis ses 17 ans, recherche des solutions en harmonie avec la nature. « Nous avons pensé conjuguer les critères de développement et les technologies modernes avec les savoirs ancestraux, souligne-t-elle. Après un projet qui n’a pas abouti à Madagascar, on m’a proposé de revenir vers mon pays natal, le Sénégal, et c’est là que j’ai rencontré Haydar. »
Aujourd’hui, Biophilia possède une petite vitrine à Dakar, l’une des villes les plus polluées au monde, un « centre de l’écologie de l’être », où l’on peut se nourrir d’une manière médicinale, avoir accès à une boutique solidaire qui valorise le savoir-faire traditionnel. « Il s’agit de créer une microsociété avec les bénéfices de cette boutique, souligne Karine Fakhoury. Ce lieu de vie consistera en une vingtaine de logements, un restaurant du potager à l’assiette, totalement végétalien, et une plateforme internationale d’échanges pour le développement écologique. Il en découlera une forme de tourisme éclairé. On pourra démontrer qu’avec les savoirs traditionnels du pays, on peut trouver des solutions locales pour un désordre global. »
Elle ajoute : « Ce projet a du mal à voir le jour parce que nous avons un objectif essentiel : il doit être autofinancé par ceux qui produisent sur place, nous ne voulons pas compter sur les subventions étrangères, parce que ce ne sera plus un modèle économique. »
Cette page est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban. E-mail : monde@rjliban.com – www.rjliban.com
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