Le président Michel Aoun a réaffirmé que le Liban ne peut pas attendre une solution politique en Syrie pour clôturer le dossier des réfugiés, reprenant ainsi, dans une interview accordée à L’Orient-Le Jour, ce qu’il avait dit mercredi dans son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, à savoir que Beyrouth pourrait, « pour résoudre le problème des réfugiés syriens, encourager le processus de retour, en accord avec l’État syrien », parce qu’il considère que les puissances internationales ne facilitent pas ce retour afin de pouvoir exploiter ce dossier dans le cadre des négociations pour une solution politique en Syrie. L’entretien s’est déroulé à l’hôtel Plaza, à New York.
Question : Le Liban, qui est déjà affecté par les pressions et les sanctions américaines contre le Hezbollah, peut-il se permettre d’aller à contre-courant de la politique internationale et engager des négociations avec le régime syrien ?
Réponse : Les délégués des puissances internationales viennent au Liban en nous félicitant d’avoir accueilli et bien traité les réfugiés syriens, mais que font-ils réellement ? Rien, alors que nous vivons une crise économique et financière terrible. Nous sommes donc en train d’engager beaucoup de frais à cause de leur présence. Notre infrastructure n’est pas préparée pour recevoir un si grand nombre de réfugiés, en plus du nombre de Palestiniens établis au Liban, soit 50 % de la population en tout. Tout le monde lie le problème des réfugiés à une solution politique (en Syrie) alors que les expériences du même genre ne sont pas encourageantes. Chypre attend depuis 1974 une solution politique et la Palestine depuis 71 ans. Ce n’est donc pas possible d’attendre une solution politique en Syrie. Que voulez-vous que l’on fasse ?
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Comment entendez-vous donc régler cette question ?
Je reçois presque chaque jour des émissaires, des ambassadeurs et des responsables des États-Unis, de France et de tous les pays occidentaux. Ils ont tous une même réponse : il faut attendre une solution politique. Donc ces gens-là ne sont pas sérieux parce qu’ils connaissent très bien les conséquences de cette « invasion ». Ces déplacés ne sont pas des réfugiés politiques mais sécuritaires. Maintenant qu’il n’y a plus de combats en Syrie – les combats se déroulent actuellement à Idleb, au nord de la Syrie – ces réfugiés qui peuvent donc retourner dans leur pays prétendent qu’ils vont être maltraités par le président Bachar el-Assad. Ce qui n’est pas vrai puisque, jusqu’à maintenant, 300 070 sont rentrés chez eux.
Pourquoi n’avez-vous toujours pas organisé une réunion-débat autour d’une stratégie nationale de défense, surtout que vous vous étiez engagé à le faire avant les législatives. Une telle démarche ne serait-elle pas en mesure de rassurer la communauté internationale ?
Non, parce que cela ne peut pas rassurer les Libanais. Sur quels facteurs pourrais-je baser mon étude de la stratégie de défense du pays ? Contre les Russes qui sont en Syrie ? Ou bien contre la Syrie ? Ou contre qui ? Il ne reste qu’Israël. Le monde occidental acceptera-t-il que ce soit une stratégie contre Israël ?
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Quid du discours du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait affirmé que son parti « ne garderait pas les bras croisés si jamais l’Iran était attaqué » ? Mercredi, le secrétaire général de l’ONU a insisté sur la mise en application de la 1701 lors de son entretien avec vous. Comment expliquez-vous dans ce contexte la distanciation que vous prônez, alors que le Hezbollah fait la pluie et le beau temps dans le pays ?
Les chiites et le Hezbollah forment le tiers de la population libanaise. Ce sont des personnes qui ont combattu depuis 1985 l’occupation israélienne et il y a eu depuis des accrochages sur nos frontières. Donc vous savez, ils ne sont jamais rassurés. Israël a attaqué le Liban plusieurs fois, démolissant chaque fois une partie du pays. En 1993, c’était un règlement de comptes ; en 1996, c’était les Raisins de la colère et cela a continué jusqu’au retrait israélien en 2000 ; en juillet 2006, c’était de nouveau la guerre, qui a abouti à une cessation des hostilités avec la mise en place de la résolution 1701 au Conseil de sécurité.
Vous approuvez donc tout ce que fait le Hezbollah au Liban ?
Non ce n’est pas ça. Ce n’est pas le Hezbollah qui a attaqué Israël ; c’est Israël qui a attaqué (le Liban). Je ne veux pas défendre le Hezbollah. Je veux juste vous informer de ce qui se passe à la frontière libano-israélienne. Donc, on traite avec un peuple qui a toujours peur d’Israël et il n’est pas sûr d’être défendu.
Mais nous avons une armée pour défendre le pays.
Une armée seule n’est pas suffisante jusqu’à maintenant.
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La crise économique
Le Liban se trouve dans une impasse économique très grave. Quelles sont les mesures que vous entendez mettre rapidement en place pour débloquer la crise ?
Il faut réaliser des réformes et élaborer un budget adapté à la situation économique.
On a perdu beaucoup de temps depuis la conférence de Paris.
Vous savez que le Liban est en régression depuis 1990 et qu’il y a eu un cumul de défections dans la direction du pays. Nous allons mettre en place un budget associé à une politique d’austérité et à de nombreuses réformes pour passer d’une économie de rente à une économie réelle de production.
Le Liban pourrait-il accéder à une meilleure gouvernance en luttant contre la corruption et le vol ?
Nous avons commencé par épurer l’administration en mettant en place une loi électorale qui a permis l’accession au Parlement de députés représentatifs de la nation. Je pense qu’en politique, cela a avancé parce que nous ne pouvons pas combattre la corruption avec de mauvais outils.
En quoi consiste aujourd’hui votre plan d’action ?
À assurer la sécurité et la représentativité politique. Nous avons commencé à épurer les forces de sécurité, le corps judiciaire et les grandes institutions.
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Le financement de « l’Académie »
Comment comptez-vous pourvoir au financement de « l’Académie de l’homme pour la rencontre et le dialogue » ?
Des partenaires partageront avec nous les frais de la construction. Le Liban a offert le terrain. Ils nous aideront aussi à organiser les cours dans cette académie, qui est un projet très vaste. Une étude du coût est en train d’être établie. Elle sera financée grâce aux conventions bilatérales que nous avons signées avec nos partenaires, soit les 178 pays qui ont sponsorisé la création de l’Académie.
Votre présence à l’ONU a-t-elle été prometteuse ? Quels sont les assurances et les encouragements que vous avez entendus des leaders et homologues internationaux, sachant que vous n’avez pas eu l’occasion de rencontrer le président américain Donald Trump, en marge de l’Assemblée générale ?
Je connais les limites des intérêts. Ce que je tire de ce voyage, c’est que je suis venu brosser un tableau de la situation au Liban. Tel est le message que j’envoie périodiquement à la communauté internationale. Viendra un jour où je serai obligé de travailler tout seul pour ne pas laisser tomber mon pays.
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commentaires (16)
"Ce n'est pas le Hezbollah qui a attaqué Israél, c'est Israél qui a attaqué (le Liban)." Michel Aoun. Israél a attaqué le Hezbollah qui avait enlevé des soldats israéliens à l'intérieur du territoire israélien. Israél a attaqué le Hezbollah sur le territoire libanais afin de récupérer ses soldats, Israél n'a aucune raison ni volonté d'attaquer l'Etat libanais. C'est la seule vérité.
Un Libanais
20 h 58, le 28 septembre 2019