À l’heure où l’administration Trump semble plus que jamais déterminée à resserrer l’étau sur l’Iran en lui infligeant des sanctions sévères qui n’épargneraient pas ses satellites locaux et régionaux, le Liban déploie des efforts pour affirmer son attachement à la politique de distanciation par rapport aux conflits des axes, à laquelle le gouvernement reste attaché.
C’est sous cet angle qu’il convient d’analyser les propos tenus par le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil aux États-Unis. En dépit de sa qualité de chef du Courant patriotique libre – allié de longue date du Hezbollah –, le chef de la diplomatie n’a pas manqué de faire savoir que le gouvernement libanais n’approuve pas les récents propos du secrétaire général du parti chiite Hassan Nasrallah, qui dans son discours à l’occasion de la commémoration de la Achoura avait affirmé en substance que sa formation ne restera pas les bras croisés si l’Iran était attaqué.
Dans une interview accordée lundi soir à la LBCI, Gebran Bassil avait déclaré sans détour : « En tant que gouvernement, nous ne sommes pas d’accord avec les propos de Nasrallah sur l’Iran. Nous sommes clairs à ce sujet et il le sait. » Et le ministre des AE de renchérir : « Nous ne voulons pas que le Liban soit aligné sur un axe quelconque, iranien ou autre. Au ministère des Affaires étrangères, nous appliquons la politique de distanciation ». Il devait rebondir en affirmant dans une autre déclaration à la presse : « Je ne peux pas condamner l’attaque perpétrée contre (le géant pétrolier saoudien) Aramco (et dont l’Iran est tenu pour responsable), sans stigmatiser les bombardements (saoudiens) contre des hôpitaux au Yémen », a-t-il dit.
Lors d’une conversation à bâtons rompus avec les journalistes accompagnant le président de la République Michel Aoun à New York, M. Bassil a pris soin de préciser que cette position « reflète concrètement la politique de distanciation que le Liban respecte ». « Je me suis inspiré de Donald Trump, qui dans son discours à l’Assemblée générale de l’ONU a exhorté les États à agir conformément aux intérêts de leurs peuples », a-t-il indiqué.
Cette position, M. Bassil l’avait développée dans un entretien accordé un peu plus tôt à la chaîne britannique BBC. « Nous avons une politique de distanciation indépendante qui garantit nos intérêts », a-t-il lancé, affirmant que le Liban n’est pas d’accord avec les accusations de « terrorisme » lancées par Washington contre le Hezbollah. « C’est un parti présent au gouvernement, doté de quatorze députés, et qui représente une bonne part de la population libanaise. Nous ne pouvons donc accepter qu’il soit considéré comme terroriste », a-t-il expliqué tout en insistant, en revanche, sur « les bons rapports entre le Liban et Washington ». Et de préciser que les États-Unis fournissent des aides à l’armée libanaise, en dépit de ce désaccord au sujet des sanctions.
(Lire aussi : « Les sanctions US frapperont aussi les alliés du Hezbollah »)
Rassurer le Hezbollah
À travers ce genre de propos, M. Bassil, qui avait été dans le passé critiqué pour avoir exprimé à certaines occasions des points de vue qui ne reflétaient pas ceux du gouvernement, s’est réapproprié son rôle de ministre des Affaires étrangères. Il n’en reste pas moins qu’il a tenu à rassurer son grand allié traditionnel, en reprenant à son compte la position du chef de l’État concernant le droit du Liban à l’autodéfense face à l’État hébreu.
Gebran Bassil a donc reconnu, quoique implicitement, le droit du Hezbollah à défendre le Liban face aux agressions israéliennes. « Nous respectons notre droit à nous défendre face aux attaques israéliennes », a-t-il souligné lors d’une rencontre organisée au club de l’université de Harvard à New York, appelant à « convaincre Tel-Aviv de mettre un terme à ses agressions contre le Liban ».
Quoi qu’il en soit et bien au-delà de cette position traditionnelle du chef du CPL, ce sont surtout ses propos sur la distanciation qui sont notables. Et pour cause : il s’agit de la toute première réaction officielle au discours de Hassan Nasrallah à l’occasion de la Achoura. Réuni à deux reprises depuis le 10 septembre, le Conseil des ministres avait complètement occulté la question, préférant accorder la priorité à l’économie, conformément à la volonté du Premier ministre Saad Hariri.
C’est d’ailleurs sous ce même angle que les milieux de la Maison du Centre abordent les déclarations du chef de la diplomatie à New York. Joint par L’Orient-Le Jour, un proche de Saad Hariri se félicite du discours du ministre et affirme que le gouvernement « n’approuve pas, effectivement, les propos de Hassan Nasrallah, mais que, pour le moment, la priorité est bien évidemment d’ordre économique », précise-t-il.
Dans les milieux du Premier ministre, certains avis sont néanmoins plus nuancés. Ainsi, Moustapha Allouche, membre du bureau politique du Futur, estime que « les propos de M. Bassil ne sont qu’un discours de circonstance dicté par sa présence à New York, à l’heure où l’administration Trump entend infliger des sanctions aux alliés du Hezbollah ». « S’il était sérieux, le ministre des Affaires étrangères aurait dû tenir ce même discours en Conseil des ministres devant les représentants du Hezbollah », ajoute l’ancien député de Tripoli.
Quant au parti chiite, il reste rassuré du maintien de l’alliance solide avec le ministre des Affaires étrangères et son parti et minimise la dimension politique de ses prises de position à New York. Citées par l’agence locale al-Markaziya, des sources proches du Hezbollah assurent que « les déclarations de Gebran Bassil, notamment en ce qui concerne la distanciation, ne sont pas de nature à perturber les rapports entre les deux formations ». « Ce genre de déclaration est normal et s’inscrit dans le cadre de son rôle de ministre des Affaires étrangères », ajoute-t-on dans les mêmes milieux.
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Une déclaration caméléonienne loin du Liban débitée selon ceux à qui elle est destinée... Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà... Il est préférable qu'il change de métier, le Liban éternel de 1920 doit être loin de ce climat conflictuel et de guerre permanents.
16 h 11, le 25 septembre 2019