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Lifestyle - Beyrouth Insight

Ali Jaber, un homme de télé qui crève l’écran

Rencontre, autour d’un narghilé, avec le directeur du groupe MBC, également figure incontournable de la télévision depuis sa participation en tant que membre du jury à l’émission « Arabs Got Talent », qui envisage le journalisme comme des histoires qu’on raconte et consacre tout un pan de sa carrière à la transmission...

Ali Jaber, figure incontournable de la télévision. Photo MBC Group

Homme de rituels, Ali Jaber donne rendez-vous dans ce café du centre-ville de Beyrouth qui, en ce samedi matin, reflète dans ses larges baies vitrées les fantômes d’une ville vide et vidée. D’ailleurs, si le directeur du groupe télé MBC ne réside plus qu’épisodiquement au Liban – quand il n’est pas en déplacement ou retenu par ses fonctions à Dubaï –, c’est qu’il supporte mal, l’avoue-t-il lui-même, d’être tenu en laisse par le désir d’appartenance à un pays « qui le rend si mal à son peuple qui vit et est souvent mort pour lui ». Ne pas croire pour autant que l’on a affaire à un « regretteur  » amer du passé ou un cynique rencogné dans sa mélancolie. Au contraire, et en dépit du jet lag qui lui ennuage les yeux azur, il suffira d’une simple interrogation sur son enfance pour que Ali Jaber, à l’image des hakawatis qui avaient l’habitude de se réunir dans ce genre de café, se mette à dérouler avec bonheur la bobine de son histoire…


Au cœur de l’action

Une vie d’aventures, d’amours, d’enfants (Malek et Mouin), de ruptures et puis d’écriture (au sein du New York Times, du Times et de l’agence de presse allemande DPA), de journalisme télé (à la tête de la Future TV, du groupe Dubai Media Incorporated et de MBC depuis 2011), de transmission (il a monté le département de communication de l’Université américaine de Dubaï), de coups de sang et de coups de chance, dont il dit : « Je n’ai rien planifié. Le fil des choses nous entraîne d’une opportunité à l’autre, avec des hauts et des bas, et c’est à travers ces hasards qu’on finit par se construire. » Pourtant, s’il se réjouit que la chance lui ait souvent donné rendez-vous, Ali Jaber n’a pas hésité à lui-même brusquer le destin qu’on pensait lui avoir tracé. De fait, sur les pas de ses deux grands-pères écrivains, Mohammad Ali Houmani et Mohammad Jaber el-Safa, ce fils de commerçant de postes de télévision (sic !) choisit, après un master en relations publiques à la Syracuse University aux États-Unis, de se dédier à une carrière de journalisme. Un virage qui « avait fâché mon père, qui avait d’autres ambitions pour moi au départ. Sa perception des choses a toutefois changé quand, du jour au lendemain, dans le cadre de mon travail de journaliste, j’avais le Premier ministre au bout du fil », rit-il. Mais bien avant cela, cet ex-volontaire à la Croix-Rouge libanaise se souvient avoir toujours eu le journalisme dans la peau, lui qui, comme tous les grands reporters de ce monde, a toujours préféré marcher au cœur des volcans de la vie plutôt que de se contenter des cocons du quotidien. Et qui, au retentissement d’une explosion dans un coin de la ville, s’empressait « sans réfléchir » de tout quitter, accourir sur le terrain, aider les victimes, quitte à mettre sa vie en danger. « Un jour, lors de mes études en gestion à l’AUB, un attentat avait eu lieu pas loin de la rue Bliss. Une fois à l’abri, notre professeure avait compté les élèves pour s’assurer que tout le monde était en sécurité. J’avais disparu. Et ce n’est qu’en rentrant chez elle qu’elle a découvert, aux nouvelles télévisées, que j’avais pris la fuite pour aller aider les blessés. » Et de poursuivre : « J’ai été blessé à quatre reprises pendant la guerre, mais cela ne m’a jamais empêché de vouloir à tout prix être au cœur de l’action, accourir à l’aide, lorsqu’un attentat ou une explosion secouait la ville. C’était plus fort que moi, il fallait que j’agisse. » Ce n’est pas un hasard donc si, une fois rentré à Beyrouth en 1988, il intègre d’abord l’agence de presse allemande, avant que sa signature ne se placarde en une du New York Times, quand il est le premier journaliste à rapporter l’attentat contre le président René Moawad.


Raconter des histoires

De fil en aiguille, à l’issue d’un entretien avec Rafic Hariri en 1992, ce dernier lui propose de mettre en place la Future TV dont il tiendra les rênes jusqu’en 2003, dépoussiérant la télévision libanaise, « en introduisant les premiers véritables plateaux de nouvelles, une matinale et une transmission sur 24 heures ». Ses idées innovatrices de « télé addict », son œil-scalpel de journaliste mêlés à sa poigne de fer et sa manière de comprendre les besoins de son époque « où l’information est accessible en un clic, où ce qui compte donc le plus est le storytelling, rendre une information et en faire une histoire », confie-t-il, sont autant de cordes à son arc qui lui valent ensuite un poste à la tête des sept chaînes du groupe Dubai Media Incorporated qu’il occupera entre 2008 et 2011, avant de caracoler à la tête du groupe MBC qu’il cornaque jusqu’à ce jour.

En plus de s’y façonner une aura de respectabilité, Ali Jaber joue un rôle déterminant en pilotant ce lourd paquebot au milieu de la tempête technologique qui menace le domaine de la télévision. Avec un réalisme jamais teinté de stoïcisme, il détaille ces changements cruciaux : « Il y a eu une transition entre avant, où les chaînes décidaient pour le spectateur quand et quoi regarder, et maintenant. Aujourd’hui, le modèle fait que c’est l’audience qui est reine, avec le streaming et le replay. Il conviendrait mieux de réfléchir à du contenu télévisé plutôt qu’à la télévision. Et c’est quand même fabuleux de se dire qu’on peut désormais avoir accès à la télé à partir de n’importe où et de n’importe quel appareil. Cela ouvre un champ infini de possibilités pour nous. » À propos de possibilités, cet éternel gourmand d’émotions nouvelles qui a « l’ennui facile » n’en finit pas de surprendre son entourage et de se déconcerter lui-même, d’abord lorsqu’il décide de passer, en 2011, de l’ombre à la lumière en rejoignant le jury d’Arabs Got Talent. En six saisons, buzzer sous la main, il devient ainsi cette figure incontournable de la télévision moyen-orientale, faux jumeau de Simon Cowell (de Britain’s Got Talent) qui bouscule puis caresse dans le sens du poil, botte du cul, puis console les apprentis artistes révélés par le programme. À l’écran, on le découvre en fait tel qu’il est hors écran, ours au cœur marshmallow, comique mais jamais cynique, critique mais seulement dans le constructif, père strict doublé d’un papa gâteau. Et surtout – avant tout – passeur de flambeau qui, à l’instar de son poste de dean de la Mohammad Bin Rashid School of Communications à l’American University de Dubaï, prévoit de se consacrer bientôt à une carrière dans l’enseignement car, précise-t-il, « on vit dans une région du monde où 75 % de la population est jeune, c’est notre plus grande ressource naturelle, d’autant plus cruciale que l’avenir est entre leurs mains. La responsabilité de notre génération est de prendre soin de cette tranche de la population ». La relève, on l’espère, est donc assurée.


Dans Le Commerce du Levant

Le Libanais Ali Jaber à la tête des chaînes du groupe MBC

Homme de rituels, Ali Jaber donne rendez-vous dans ce café du centre-ville de Beyrouth qui, en ce samedi matin, reflète dans ses larges baies vitrées les fantômes d’une ville vide et vidée. D’ailleurs, si le directeur du groupe télé MBC ne réside plus qu’épisodiquement au Liban – quand il n’est pas en déplacement ou retenu par ses fonctions à Dubaï –, c’est qu’il...

commentaires (2)

Un homme brillant et charismatique.

Tina Chamoun

13 h 59, le 29 août 2019

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Commentaires (2)

  • Un homme brillant et charismatique.

    Tina Chamoun

    13 h 59, le 29 août 2019

  • Très enchanté de faire sa connaissance !

    FRIK-A-FRAK

    11 h 14, le 29 août 2019

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