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Liban - Ressources hydrauliques

Le « barrage percé » de Brissa au cœur d’un débat au Parlement

Un prêt de huit millions de dollars pour réparer cette structure défectueuse à Denniyé a été approuvé, mais les contestations des députés ont débouché sur la nécessité d’ouvrir une enquête.

Le barrage de Brissa au cours de sa construction. Photo d’archives/Naïm Assafiri

Le « barrage percé ». C’est parce qu’il n’a jamais été en mesure, depuis son inauguration en 2001, de stocker efficacement de l’eau que le barrage de Brissa, sur les hauteurs de Denniyé (Liban-Nord), a été affublé de ce surnom. Hier, c’est ce surnom qu’a employé le député Hassan Fadlallah du Hezbollah alors que ce barrage était au cœur d’un débat houleux au Parlement. Les députés discutaient d’un point en rapport avec un prêt de huit millions de dollars de la Caisse koweïtienne pour le développement économique arabe, dont six millions seront destinés à réparer les défauts de ce barrage, et les deux millions restants visant à compléter un projet du ministère de l’Énergie et de l’Eau sur les canalisations reliées au barrage. Un prêt à taux d’intérêt de l’ordre de 2 % qui avait déjà été approuvé en Conseil des ministres, a précisé le Premier ministre Saad Hariri, au cours de la séance. C’est donc le député Fadlallah qui a lancé le débat, en mettant l’accent sur les défauts d’ingénierie qui ont rendu ce barrage inapte à stocker convenablement de l’eau : il a rappelé que le barrage avait coûté à l’origine 10 millions de dollars, avant que 20 millions supplémentaires n’y soient injectés en 2003 pour tenter – en vain – de réparer le fond de la structure. L’argent destiné à le réparer ne sera dépensé à bon escient que si la population pouvait en profiter, a-t-il souligné, demandant qu’une enquête soit ouverte.

La ministre de l’Énergie Nada Boustani a cité les réponses qui lui avaient été données par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), la partie responsable à la base de l’adjudication des études et du projet de construction : cet organisme, selon elle, assure que le problème est lié à la nature de la roche à cet endroit.

Une réponse qui interroge quant au sérieux des études préalables réalisées...

Quoi qu’il en soit, autant la ministre que le courant du Futur (que préside M. Hariri) et les autres parties en présence ont accepté l’idée de l’ouverture d’une enquête, qui a été confiée au ministre de la Justice Albert Serhane, avec un délai d’un mois. Dans ce contexte, la députée Paula Yacoubian, issue de la société civile, a, pour sa part, exposé une vision très différente de la gestion des ressources hydrauliques, critiquant le recours systématique aux barrages sur une terre principalement karstique, donc par essence perméable. Elle a dénoncé le fait que les études du CDR n’aient pas pris en compte la nature du sol avant la construction d’un tel projet à Brissa, mettant en exergue l’importance des nappes phréatiques, principale richesse hydrologique du pays.


(Lire aussi : Barrage de Bisri : halte au « pire scandale écologique du Moyen-Orient ! »)

Jamais plus de 200 000 mètres cubes d’eau

Ce qu’il faut retenir de la discussion autour de ce point dans cette séance parlementaire, c’est que le prêt a été accepté, donc le projet de réparation peut être lancé, mais qu’une enquête sera ouverte en parallèle. Et cela convient parfaitement à Sami Fatfat, député de Denniyé (courant du Futur). « Ce qui m’importe, c’est que ce budget soit alloué à cette région qui en a pleinement besoin, et que ce barrage puisse devenir fonctionnel, dit-il à L’Orient-Le Jour. Qu’une enquête soit ouverte en parallèle afin de déterminer les responsabilités dans ce dossier ne me dérange pas, tant que le projet est mis en place. »

Ayant suivi ce dossier depuis plusieurs années, même avant son élection au Parlement, le jeune député déplore que « ce barrage n’ait jamais stocké plus de 200 000 mètres cubes d’eau, et ce même au plus fort de la saison ». « J’étais souvent désolé de voir ce barrage à peine au quart plein, alors que d’autres structures étaient bien plus réussies dans d’autres régions, poursuit-il. L’infiltration de l’eau est bien trop importante à Brissa. »

Quelles garanties a-t-il que cette réparation du barrage sera efficace alors qu’il est dysfonctionnel depuis si longtemps ? « Le CDR assure que les garanties existent, puisque de tels travaux ont déjà été effectués ailleurs avec succès, dit M. Fatfat. Il s’agira d’installer une membrane protectrice. Les détails de ce projet m’ont été communiqués par le CDR il y a six mois. » Le député pense que la prochaine étape sera un nouvel appel d’offres pour ces travaux.


(Lire aussi : Un hydrogéologue répond au CDR : Pourquoi stocker de l’eau superficielle sur un réservoir d’eau propre ?)


« Inutile d’essayer de rendre ce barrage étanche »

Si le député Sami Fatfat assure que des garanties lui ont été données par les autorités compétentes, pour l’hydrogéologue Samir Zaatiti, qui suit de près le dossier des barrages, aucune garantie ne peut être donnée quand les projets vont à l’encontre de la nature. « Le problème de base est dans le choix du site, qui est un milieu karstique où la roche est naturellement fissurée, explique-t-il à L’OLJ. Dans le cas de Brissa, une roche volcanique, le basalte, s’est infiltrée dans certains fissures, se solidifiant avec le temps. »

Comment stocker de l’eau dans un endroit où la roche est si fracturée, se demande dès lors l’expert ? « Suivant des informations sûres, il n’y a jamais eu d’étude géologique à proprement parler à Brissa, affirme l’expert. Or, vu la nature géologique du lieu, tout effort visant à rendre ce barrage étanche est inutile. En effet, ces roches datant du Jurassique, qui se sont formées il y a 50 à 60 millions d’années, sont exposées aux intempéries et à l’enneigement depuis tout ce temps, et elles sont perméables à l’eau. Or il y a une grande différence entre recouvrir de béton une roche dure et en faire de même pour une roche fissurée et calcaire. Dans le premier cas, le béton peut tenir, mais, dans le second, il se distend en raison des fractures et se fissure lui-même, d’où la difficulté d’assurer son étanchéité. »

Les « garanties » qui sont données actuellement pour la réparation de ce barrage n’en sont donc pas, selon Samir Zaatiti, qui rappelle que de multiples tentatives de placer des membranes protectrices ont déjà échoué par le passé, d’après des informations qu’il qualifie de « très crédibles ». « Vu la nature de la roche, il est inutile d’essayer de rendre ce barrage étanche », insiste-t-il. Il fait le parallèle avec le barrage en construction à Balaa (Batroun), où les difficultés de combler les cratères sont évidentes, selon lui. Il cite également le cas du barrage de Bisri (Jezzine), qui fait polémique avant même que sa construction ne commence. « Bisri est ce qu’on appelle une vallée d’effondrement, c’est-à-dire qu’il y a des vides sous le sol et la roche y est tout aussi fracturée qu’à Brissa, affirme l’hydrogéologue. Ce sont les conclusions tirées par un comité de géologues français depuis des décennies déjà. Un barrage à cet endroit pourrait avoir des conséquences tout aussi dramatiques qu’à Brissa. »

La malheureuse expérience à Denniyé tend dès lors à montrer que même les grands projets ne sont pas nécessairement accompagnés des études qui devraient être faites. Injecter de l’argent dans des barrages non étudiés ne finirait-il pas comme l’eau qu’on essaie de stocker dans Brissa ?


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Le « barrage percé ». C’est parce qu’il n’a jamais été en mesure, depuis son inauguration en 2001, de stocker efficacement de l’eau que le barrage de Brissa, sur les hauteurs de Denniyé (Liban-Nord), a été affublé de ce surnom. Hier, c’est ce surnom qu’a employé le député Hassan Fadlallah du Hezbollah alors que ce barrage était au cœur d’un débat houleux au...

commentaires (2)

"...huit millions de dollars pour réparer cette structure défectueuse à Denniyé..." Combien, de cette somme, ira dans les poches de ces incapables insatiables, et... reste-t-il un espoir que quelque chose fonctionne normalement chez nous ? Irène Saïd

Irene Said

16 h 47, le 25 septembre 2019

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Commentaires (2)

  • "...huit millions de dollars pour réparer cette structure défectueuse à Denniyé..." Combien, de cette somme, ira dans les poches de ces incapables insatiables, et... reste-t-il un espoir que quelque chose fonctionne normalement chez nous ? Irène Saïd

    Irene Said

    16 h 47, le 25 septembre 2019

  • Après Brissa attendons voir si Bissri sera un jour lui aussi un barrage percé . Triste pays .

    Antoine Sabbagha

    09 h 58, le 25 septembre 2019

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