Le président américain, Donald Trump, hier à Washington. AFP
« Il faut parler doucement et avoir un gros bâton », conseillait le président américain Theodore Roosevelt à l’aube du XXe siècle. Son lointain successeur dans les rangs républicains, Donald Trump, a jusqu’ici géré toutes les crises internationales en faisant l’exact contraire : parler fort sans que jamais le geste ne soit joint à la parole.
Ce décalage entre la rhétorique et les actions du président, qui se traduit concrètement par ses menaces récurrentes de recourir à la force et sa volonté de ne pas entraîner son pays dans un nouveau conflit, a conduit le président américain dans une impasse face à l’Iran.
Il aura fallu moins de 24 heures à Washington pour accuser l’Iran d’être à l’origine des attaques de samedi dernier contre les sites pétroliers en Arabie saoudite. Presque une semaine après, pourtant, les États-Unis semblent encore ne pas savoir comment répondre à cette attaque. Le président américain est comme paralysé par l’incohérence de sa propre politique. Il ne veut pas mener de frappes de représailles contre la République islamique pour ne pas se laisser attirer dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Il ne peut pas, dans le même temps, ne pas répondre à ce qui peut être considéré comme un test iranien.
« Il a le choix entre la mauvaise option et la pire », résume à L’Orient-Le Jour Aaron David Miller, ancien conseiller et négociateur auprès de différentes administrations américaines. Donald Trump est coincé dans son propre piège, celui-là même qu’il a tissé depuis son arrivée au pouvoir.
L’histoire s’est jouée en trois actes. Le premier débute pendant la campagne présidentielle de 2016 et prend réellement forme à partir de la première visite à l’étranger du nouveau président américain, Donald Trump, à Riyad en mai 2017. En échange de « milliards » de pétrodollars, le milliardaire américain vend un rêve aux pays sunnites du Golfe et dans le même temps à Israël : celui de torpiller le rapprochement diplomatique entre Washington et Téhéran, amorcé par son prédécesseur, Barack Obama, et de désigner à nouveau l’Iran comme la principale menace « déstabilisatrice au Moyen-Orient ». Sous le parapluie militaire américain, se dessine alors une nouvelle alliance régionale entre les monarchies sunnites du Golfe et Israël dont l’objectif commun est de mettre à bas la République islamique.
Tant Benjamin Netanyahu que les nouveaux hommes forts du Golfe, Mohammad ben Salmane, le prince héritier d’Arabie saoudite, et Mohammad ben Zayed, le puissant prince héritier d’Abou Dhabi, semblent miser toutes leurs cartes sur le locataire de la Maison-Blanche, persuadés que l’heure de leur revanche contre l’Iran a enfin sonné. Donald Trump, le candidat qui avait fait de l’America First sa religion en matière de diplomatie, était-il idéologiquement convaincu par la formation de ce front anti-iranien ? En 2012, il multipliait les tweets incendiaires contre Barack Obama, dénonçant une volonté supposée de celui-ci de mener une guerre contre l’Iran à des fins électoralistes. Quelques années plus tard, il condamnait fermement l’accord sur le nucléaire signé entre l’Iran et les 5 +1 (États-Unis, Chine, France, Royaume-Uni, Russie, Allemagne) en juillet 2015. Faut-il y voir un simple revirement d’opportuniste constatant que le sujet iranien fait consensus au sein de l’establishment républicain ?
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Genou à terre puis motif d’espoir
Le deuxième acte commence en mai 2018, au moment où Donald Trump décide officiellement de « déchirer » l’accord nucléaire signé avec l’Iran. Malgré le volontarisme diplomatique des Européens, et particulièrement du président français Emmanuel Macron, le locataire du bureau Ovale décide de retirer les États-Unis de l’accord et de réintroduire les sanctions économiques américaines contre l’Iran. C’est le début de la stratégie de « pression maximale » qui doit aboutir à étouffer l’économie iranienne. Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, dresse une liste de douze conditions pour que les États-Unis signent un nouvel accord avec l’Iran, que l’on peut résumer ainsi : Téhéran doit renoncer à toute ambition nucléaire, à toute sa politique balistique et surtout à toute ambition de domination régionale. La reddition ou la mort. Les États-Unis ne laissent aucune possibilité de négociation à l’Iran. « Les Américains sont persuadés que leur politique va mettre l’Iran à genoux », confiait à l’époque une source diplomatique occidentale à L’OLJ.
Les Iraniens vont effectivement poser le premier genou à terre. La pression américaine va faire très mal à une économie déjà structurellement très affaiblie. Selon le Fonds monétaire international, le pays est entré en récession en 2018, tandis qu’une baisse de 3,6 % du PIB iranien était prévue depuis le début de l’année 2019. Les entreprises occidentales renoncent à s’installer en Iran. L’exportation du pétrole devient quasiment impossible, du fait des sanctions américaines, et est quatre fois plus réduite en à peine un an. Les denrées alimentaires de base se raréfient ou deviennent hors de prix. Le peuple gronde. Le régime fait le dos rond en attendant que la tempête passe, misant sur une non-réélection du président américain. Ce dernier, sans le vouloir, va leur donner par deux fois un grand motif d’espoir. En leur offrant, déjà, le spectacle de sa grande réconciliation avec la Corée du Nord de Kim Jong-un qu’il promettait pourtant de « détruire totalement », à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies quelques mois plus tôt, sans que celle-ci ne fasse entre-temps la moindre concession. Le régime iranien a pu en conclure que le président américain était plus intéressé par la diplomatie spectacle que par le fait d’en finir avec ce qui avait été jadis appelé « l’axe de la terreur ». En leur livrant, ensuite, la Syrie sur un plateau en décembre 2018, en annonçant le retrait des troupes américaines de l’Est syrien. Si, en raison de la pression du Pentagone et des alliés européens, ce retrait n’est toujours pas effectif, la décision du président témoignait de sa volonté de se désengager encore un peu plus du Moyen-Orient, y compris dans le cœur de la zone d’influence iranienne, à savoir la frontière syro-irakienne. Les dirigeants iraniens comprennent alors sûrement que « le chien qui aboie ne mord pas ».
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Tensions maximales
Le troisième acte a commencé il y a quelques mois. « Les Iraniens ne vont pas se laisser faire sans réagir », nous avait alors confié une source diplomatique occidentale. En réponse à la pression maximale, le régime va mettre en place une stratégie de tensions maximales, qui vise à démontrer aux Américains que leur politique contre l’Iran aura un coût élevé pour tout le monde. Le 20 juin, les Iraniens détruisent un drone américain. Donald Trump ne réagit pas. Pire : il annonce que des frappes étaient prévues, mais qu’il les a lui-même annulées. « Trump n’aime pas prendre de risque quand il s’agit d’user de la force militaire. C’est le problème auquel il fait face avec l’Iran », explique Aaron Miller. Les Iraniens ont réussi leur test et peuvent continuer de faire monter la pression. « Pour les Iraniens, Donald Trump ne veut pas la guerre, et ses réticences jusque-là le confirment », soutient à L’OLJ Ali Fathollah-Nejad, chercheur invité au Brookings Doha Center.
Au début de l’été 2019, des pétroliers sont visés par des attaques attribuées aux gardiens de la révolution, tandis que d’autres navires sont saisis par Téhéran. Le spectre d’une fermeture par les Iraniens du détroit d’Ormuz, par lequel transite un tiers du commerce mondial d’or noir, fait craindre une escalade militaire. Dans le détroit d’Ormuz, un commando et un hélicoptère arraisonnent et immobilisent un pétrolier britannique, sous prétexte d’une collision entre ce dernier et un bateau de pêche iranien. Réponse de Donald Trump : il limoge son conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, le faucon le plus anti-iranien de son administration. Le président américain se montre en parallèle ouvert à une prochaine rencontre avec son homologue iranien Hassan Rohani « sans conditions préalables ». Quelques jours plus tard, l’Arabie saoudite est touchée par une attaque aux allures de déclaration de guerre. L’Iran a compris son adversaire mieux que celui-ci ne le comprend.
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commentaires (8)
Les ambitions et prétendions iraniennes sur "le golfe" qu'iĺs appellent d' ailleurs "Khalige Fars" ...Golfe persique...sont une vieille affaire...il fut un temps , du temps du Chah, ou les prétentions étaient telles avec Kuwait et Bahreïn, que ceux qui se rendaient dans ces "zones" ne pouvaient rentrer en Iran Situation similaire entre Israël et la majorité des pays arabes..aujourd'hui Non seulement les mollahs, mais une majorité dans la bourgeoisie iranienne ..snobaient "ces pêcheurs de perles , devenus multi milliardaires..." On conçoit que les Émirats se gardent à carreau... Il n'est pas sur que " l'oncle américain viendrait pour les défendre "
Chammas frederico
15 h 21, le 21 septembre 2019