Ni Saddam Hussein ni George H. W. Bush (père) et ses alliés arabes et internationaux ne la voulaient, cette guerre dévastatrice dite « guerre du Golfe ». Jusqu’à la dernière semaine, à la mi-janvier 1991, beaucoup étaient encore persuadés que Saddam Hussein allait retirer ses troupes du Koweït et éviter les foudres de la coalition liguée contre lui derrière les Américains. Le négociateur russe Evgueny Primakov avait même pensé avoir convaincu le dictateur irakien de revenir aux frontières d’avant le 2 août 1990. Et pourtant, la guerre du Golfe a bien eu lieu. Seul François Mitterrand l’avait vu clairement, qui exprimait ainsi son inquiétude le 6 septembre : « Nous sommes entrés dans une logique de guerre et il faut tout faire pour en sortir. »
« Tout faire pour en sortir »
La logique de guerre entre l’Iran et les États-Unis, inexorable, s’est enclenchée au lendemain de la victoire de Donald Trump. Une grande responsabilité en incombe à Barack Obama, qui avait laissé s’étendre l’influence iranienne au prix de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien de juillet 2015 (JCPOA en anglais). Même si l’accord est défendable sur le principe, l’extension malsaine et démesurée du pouvoir régional de Téhéran s’est avérée un enjeu bien plus grave que l’objet du JCPOA.
La projection par la force de la sphère d’influence iranienne, dénoncée dès ses premières manifestations au Liban, au moment de l’occupation militaire de Beyrouth par les milices chiites en 2008 – suite à la guerre de 2006, que le gouvernement ne voulait pas –, s’est poursuivie en Syrie en 2012, lorsque les Iraniens ont pour la première fois surmonté leur traumatisme de la guerre Iran-Irak en envoyant des combattants pour soutenir le dictateur syrien ; en Irak, où une politique sectaire entreprise par le Premier ministre de l’époque Nouri al-Maliki avec le soutien de Téhéran a créé les conditions propices à l’avènement de Daech ; au Yémen en 2014, où les houthis, avec l’appui de Téhéran, avaient violemment balayé un dialogue national ayant permis de tourner la page de la dictature Saleh. En échange du JCPOA, Obama a donné aux Iraniens le loisir de consolider leur empire proto-chiite en contrôlant cinq capitales moyen-orientales, dans une extension sans précédent depuis l’Antiquité.
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Avec les républicains au pouvoir aux États-Unis, la logique de guerre s’est installée rapidement. Dès février 2017, Trump tweetait que « l’Iran est formellement mis en demeure pour avoir lancé un missile balistique ». En mai 2018, les États-Unis se retiraient de l’accord de Vienne. L’étau des sanctions, rétablies progressivement à partir d’août 2018, s’est depuis resserré, et l’Iran n’arrive plus à exporter qu’une partie infinitésimale de son pétrole. Il faut se rappeler que Pearl Harbor était la réponse du Japon impérial au blocus pétrolier imposé par les États-Unis en Asie du Sud-Est.
Et pourtant, il est probable que ni le gouvernement iranien ni le président américain ne veulent la guerre. Le monde s’accroche à une rencontre entre Trump et Hassan Rohani, mais le guide suprême Ali Khamenei a interdit toute négociation avec les Américains si les sanctions ne sont pas levées. Le langage du guide et celui de ses alliés en Iran, au Liban, au Yémen et en Irak sont devenus plus frondeurs. Avec l’attaque de samedi dernier contre Aramco et les arraisonnements de tankers menés depuis cet été par les deux parties, l’escalade n’est plus verbale. La logique de guerre durcit de jour en jour.
Dans sa conférence de presse du 6 septembre 1990, Mitterrand évoquait une sortie de cette logique « dans le respect du droit ». Le droit, encore moins la diplomatie, n’avait pas réussi à offrir les éléments suffisants pour empêcher la guerre du Golfe. Les deux sont en retraite nette depuis. Ni la diplomatie ni le droit ne sont capables de résoudre un problème aussi fuyant tant les parties principales – l’Iran, les États-Unis, l’Arabie saoudite et Israël – sont à couteaux tirés.
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Stratégie de la non-violence
Restent deux petits espoirs d’action auxquels s’accrocher, si ténus soient-ils. Le premier, au Liban : si l’on ne peut, depuis au moins 2006, empêcher le Hezbollah de prendre l’initiative d’une guerre avec Israël, il reste possible toutefois de faire contrepoids à sa tentative d’engager le pays tout entier dans une guerre qu’il aura décidée tout seul. Alors que son secrétaire général Hassan Nasrallah a annoncé qu’il se chargerait des représailles contre Israël si l’Iran était attaqué, nous pouvons anticiper ce risque en refusant de couvrir une autre violation ruineuse de notre Constitution et de notre territoire, en insistant ouvertement sur le fait que le reste du pays, comme en 2006, ne l’a pas autorisé à nous y engager. Nous devons également prendre position sur le nouvel acte d’accusation émis par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), qui ouvre trois nouvelles affaires devant cette instance sur les assassinats de nos concitoyens. Il est impossible d’ignorer les conclusions du TSL cette semaine sur le rôle actif des cadres du parti de Dieu dans ces « crimes connexes » à l’assassinat de Rafic Hariri. C’est à notre Premier ministre qu’il incombe de lever le silence : il faut encourager Saad Hariri à sortir de la politique de l’autruche et à engager le pays dans un débat sérieux sur la guerre et sur les conclusions du TSL. Dans notre Constitution, le Premier ministre est incontournable s’il le veut.
Le second espoir vient des développements au sud. L’Israël que nous connaissons n’est pas un enfant de chœur. Mais son visage pourrait fondamentalement changer à la suite des élections de mardi, qui ont vu une forte participation de l’électorat arabe (à plus de 60 %) et donné la troisième place à la « Liste unie » menée par Ayman Odeh. On ignore encore si les tractations en cours peuvent aboutir, pour la première fois dans l’histoire, à un véritable gouvernement national qui comprendrait des ministres arabes. Mais les résultats de mardi semblent d’ores et déjà annoncer que la logique de l’égalité, comme l’avait prédit Tocqueville en 1835, est également inexorable.
La guerre avec Israël n’a plus aucun sens. Lutter militairement à partir de Gaza ou du Liban-Sud ne sert qu’à détruire le potentiel formidable des Palestiniens de la « Liste unie ». Seule une stratégie de non-violence est possible. Basée sur la nouvelle donne créée par les Palestiniens d’Israël, elle a déjà montré son efficacité. Nous autres Arabes de l’autre côté de la frontière devons nous engager à ses côtés, pour un avenir non violent qu’Arabes et Israéliens sont maintenant enfin capables de réaliser.
Par Chibli Mallat
Avocat international et professeur présidentiel de droit, émérite, à l’Université d’Utah.
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commentaires (6)
Très intéressant. Il faut se rappeler que la guerre est nécessaire pour Israël. Ceux qui en ont envie et qui cours vers cette guerre ne font qu'entrer dans le jeu d'échecs Israélien que les dirigeants d'Israël maitrise bien.
Wlek Sanferlou
03 h 33, le 22 septembre 2019