À Bar Élias, dans la Békaa, on compte plus de 600 cas de cancer sur 12 185 habitants. À Haouch Rafiqa, dans la Békaa-Nord, on constate plus de 60 cas sur 1 704 habitants. Et à Temnine el-Tahta, dans la région de Baalbeck, plus de 40 cas sur 3 863 âmes. Ces cas ont été répertoriés par l’Office national du Litani (ONL) qui tire la sonnette d’alarme sur son site, en quelques phrases, carte géographique à l’appui.
Selon l’institution, les cas de cancer dans ces villages situés sur les rives du Litani (non loin de sa source nord) dépassent de loin le taux moyen de cancer à l’échelle nationale qui est de 242,8 cas pour 100 000 habitants (certains avancent le chiffre de 300 cas pour 100 000 habitants). Il atteint le taux de 4 924 pour 100 000 habitants à Bar Élias, de 3 521 pour 100 000 habitants à Haouch Rafiqa et de 1 035 pour 100 000 habitants à Temnine.
« Dans ces trois régions, révèle l’institution, le fleuve présente un taux de pollution particulièrement élevé. Il est souillé par les eaux usées ménagères et industrielles. » L’ONL fait le lien entre les taux de pollution élevés et les taux inquiétants de cancer. Si l’information a fait l’effet d’une bombe, l’ONL ne donne toutefois aucun détail sur les modalités d’enquête.
(Pour mémoire : Cancer au Liban : les chiffres de l’OMS, une arithmétique morbide à examiner avec précaution)
Eaux polluées
Le directeur de l’ONL, Sami Alawiyé, explique que le point de départ de l’étude « repose sur le constat » que le nombre de cas de cancer est en augmentation à Bar Élias, depuis 2014. « Cette évolution, explique-t-il à L’Orient-Le Jour, accompagne le taux de pollution du Litani, en augmentation aussi depuis 2012. L’objectif de notre étude est de récolter des données locales, à partir d’un travail de terrain qui couvre plusieurs villages, et de comparer ces données à la moyenne nationale. »
« Nos équipes se sont rendues sur le terrain durant près de huit mois. Nous avons analysé les échantillons d’eau potable. Nous avons aussi recensé les cas de cancer. Dans ce seul village (Bar Élias), il y en a plus de 600 », observe-t-il.
Le directeur constate que les terres agricoles de Bar Élias, Haouch Rafiqa et Temnine sont irriguées avec les eaux usées et polluées du Litani. « Non seulement les réfugiés syriens vivent sur les rives de ces fleuves et y jettent leurs eaux sales et leurs déjections, mais des matières toxiques émanent des décharges sauvages d’ordures ménagères, sans compter que les usines sont d’importants pollueurs des fleuves car elles y déversent leurs déchets industriels », parmi lesquels des matières chimiques et des métaux lourds, comme le dioxane, l’arsenic, le nitrate et des résidus de désinfectants. C’est là une importante source de pollution de l’eau potable et des nappes phréatiques.
« Nous sommes forcés de faire le lien entre la pollution des ressources d’eau et les cas de cancer », insiste M Alawiyé, qui précise que les chiffres des villages de Qaraoun, Marj, Mansourah, Ghaza, Haouch Harimé, Raouda, Delhamiyé et Ferzol sont également consternants. « Nous affirmons donc que la pollution du Litani ou de ses affluents qui traversent ces régions est une des causes essentielles de cancer, parmi d’autres tels le tabagisme ou l’hérédité », conclut-il.
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Le tabagisme, première cause de cancer
La mise en garde de l’ONL n’est pourtant pas du goût du ministère de la Santé, qui par la voix de son directeur général, le docteur Walid Ammar, affirme n’avoir rien eu à voir avec cette étude et n’avoir pas pris connaissance de ses conclusions.
« De quelles maladies cancéreuses parle l’institution ? Dans quels hôpitaux sont répartis et soignés les malades ? » s’interroge le Dr Ammar en réponse aux questions de L’OLJ. « Il est de plus difficile de lier le cancer des habitants des régions traversées par le Litani à la seule pollution du fleuve », affirme-t-il, tout en reconnaissant que la pollution du Litani « contribue » à la hausse des taux de cancer.
M. Ammar observe en revanche que « tous les consommateurs des fruits et légumes provenant de la Békaa sont concernés par les modalités d’irrigation des produits agricoles », ajoutant : « Tout le pays doit donc être touché. » Le responsable regrette que « l’étude réalisée par l’ONL minimise l’importance du problème à l’échelle nationale ».
« Nul besoin d’une étude pour démontrer que le Litani est pollué », note le Dr Ammar. Et de reconnaître qu’une recherche a déjà fait état « d’une augmentation de 4 % » du nombre de nouveaux cas de cancer chaque année au Liban, le taux le plus élevé dans la région.
Selon le Registre national du ministère de la Santé, près de 13 000 nouveaux cas ont été diagnostiqués en 2015. Le praticien souligne dans ce cadre que « les causes sont multiples, liées principalement au tabagisme », mais aussi à la pollution environnementale, à la sédentarité, à la mauvaise alimentation, à l’usage nocif de l’alcool, sans oublier les facteurs héréditaires, comme le décrit l’étude réalisée par le ministère.
En 60 ans, le taux de cancer a triplé au Liban
Également contacté par L’OLJ, le Dr Salim Adib, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’Université américaine de Beyrouth, estime pour sa part que les cartes géographiques publiées par l’ONL ne peuvent résumer le problème. « Elles peuvent certes entraîner des suspicions, mais pas de conclusions », martèle-t-il. Le médecin se demande « de quels cancers on parle, quels intervalles de temps on évoque, qui sont les personnes atteintes, quel est leur âge ».
Le Dr Adib explique aussi que « nombre de cancers ne sont pas liés à la pollution, comme le cancer du sein ou du colon », sans oublier que « le cancer est une maladie gériatrique ».
« En revanche, le tabagisme et certaines formes de pollution peuvent être des causes de cancer prématuré », ajoute-t-il, évoquant le « caractère complexe » de la question. D’où la nécessité de « mener une enquête de porte à porte dans les régions concernées, afin de les comparer à l’indice national ».
Il n’en reste pas moins que le taux de cancer au Liban est particulièrement alarmant. « En 60 ans, le cancer a triplé d’incidence », déplore le praticien, reprenant les statistiques du ministère de la Santé. Dans les années soixante, il était de 100 cas sur 100 000 habitants. Il dépasse aujourd’hui les 300 cas sur 100 000. Pire encore, le Dr Adib reconnaît quand même que « les produits chimiques et les métaux lourds déversés dans les fleuves accroissent à long terme les risques de cancer », faisant du pays du Cèdre où règne la corruption et la négligence étatiques « un pays toxique ».
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Récemment une usine de traitement des eaux usées a été inauguré à Zahle : https://www.lorientlejour.com/article/1179815/une-nouvelle-usine-de-traitement-des-eaux-usees-a-zahle-pour-reduire-la-pollution.html Reste encore à savoir si la nouvelle usine fonctionne bien, et si ca aide. C'est facile de polluer le fleuve, mais compliqué à bien nettoyer les déchets et de traiter (par tous les villages) les eaux qu'on verse dans le fleuve, pourtant c'est important de le faire.
19 h 43, le 10 septembre 2019