Moins connus que les tumeurs mammaires et pulmonaires – qui restent les plus fréquentes au Liban avec celles de la vessie, du côlon et de la prostate –, les cancers de la tête et du cou n’en restent pas moins importants. Appelés également cancers ORL, ils touchent plus de 350 personnes par an au Liban, selon le Registre national du cancer 2015. En cause ? Principalement le tabac et l’excès d’alcool. Malheureusement, ces cancers continuent à être identifiés à un stade avancé ; pourtant la prévention est possible. Le point avec le Dr Rami Saadé, ORL et chirurgien des cancers de la tête et du cou.
Que sont les cancers de la tête et du cou ?
Il ne s’agit pas d’un seul type de cancer, mais d’une multitude de tumeurs qui touchent la peau, les glandes salivaires, la thyroïde, la cavité orale (langue, palais, gencives et autres), l’oropharynx (amygdales, base de la langue), le larynx (cordes vocales), l’hypopharynx, le nasopharynx (cavité creuse au fond du nez), la cavité nasale, les sinus, la base du crâne, les ganglions lymphatiques, les vaisseaux sanguins, les nerfs crâniens, etc.
Les cancers ORL les plus communs sont des carcinomes épidermoïdes (provenant des cellules qui bordent les voies aérodigestives). D’un point de vue clinique, bien que ces cancers représentent des tuméfactions histologiques identiques (c’est-à-dire en rapport avec la structure des tissus vivants), leur comportement reste unique et singulier, même s’ils sont situés dans un même organe. Ainsi, le pronostic d’un cancer du bout de la langue est différent de celui de la base de la langue. Il en est de même de la prise en charge et du traitement à fournir.
Quelle est la spécificité de ces cancers ?
Contrairement aux autres formes de cancer, ceux ORL se situent dans une région très compacte et très délicate. De ce fait, aussi petits soient-ils, ils peuvent avoir des conséquences très lourdes pour le patient, notamment aux niveaux de la déglutition, de l’articulation et de la voix. Ils peuvent affecter aussi l’odorat, le goût, l’ouïe et, par extension, parfois même la vue. Le traitement pourrait aussi avoir de lourdes conséquences.
Il y a quelques années encore, notre seul souci était de sauver la vie du patient, mais en achevant d’excellents résultats et en améliorant les taux de survie, la qualité de vie du malade est devenue le nouveau défi à relever. Il s’agit d’ailleurs d’un aspect très pris en compte dans les conseils multidisciplinaires tenus pour décider du traitement, sans compromettre évidemment le but principal qui reste celui de guérir le patient.
Quelles sont les causes de ces cancers ?
Dans la majorité des cas, ils sont soit sporadiques, dans le sens où une mutation cellulaire survient entraînant la pathologie, ou dus à des facteurs externes, essentiellement le tabagisme, mais aussi l’exposition à des irradiations nucléaires, au soleil, aux poussières de bois ou à la peinture. Au Liban, le tabagisme reste encore trop élevé et, malheureusement, les jeunes sont de plus en plus nombreux à consommer la cigarette, mais aussi le narguilé. Les effets néfastes de cette tendance sur la santé vont se ressentir encore plus à l’avenir, d’autant que le tabagisme est responsable de la majorité des cancers du larynx. Le risque augmente avec le nombre de cigarettes fumées par jour et la durée du tabagisme. De plus, le tabac combiné à une consommation excessive d’alcool a un effet synergique, dans le sens où les effets funestes sur la santé sont décuplés.
Depuis quelques années, on constate des cas de cancer de la langue qui surviennent chez des personnes jeunes qui n’ont jamais fumé et qui boivent occasionnellement. On en ignore encore la cause, mais les recherches effectuées dans ce sens font état d’un possible état d’inflammation.
Par ailleurs, on commence à détecter au Liban des cancers de l’oropharynx (région postérieure de la bouche qui inclut les amygdales, le palais, la luette et la base de la langue) causés par le virus du papillome humain (VPH ou HPV). Cette forme de cancer est liée aux habitudes sexuelles (sexe oral). Les facteurs prédisposants et en cause sont liés aux relations à haut risque, c’est-à-dire les relations non protégées, les partenaires multiples et les pratiques homosexuelles. Des efforts pour étendre la vaccination contre le VPH aux garçons dans la phase de la préadolescence sont actuellement en cours.
Qu’est-ce qui doit alerter ?
Selon la localisation de la tumeur, les symptômes peuvent différer. Toutefois, si on constate une nouvelle masse au niveau du cou, de la joue ou de la langue, il faut consulter un spécialiste sans tarder. Un avis médical doit également être recherché en cas d’un ulcère sur la cavité orale qui ne guérit pas, d’un changement de voix qui dure, d’une difficulté à avaler, de saignements répétés du nez ou d’une obstruction nasale qui se prolonge. Ces symptômes, accompagnés d’une douleur, sont un indicateur d’un éventuel cancer.
Il est donc important de ne pas négliger ces signes parce que plus le diagnostic se fait tôt, plus le traitement est facile. De même, les chances de guérison augmentent.
En quoi consiste le traitement ?
Le traitement a trois objectifs. Il s’agit d’éradiquer la tumeur et donc de sécuriser la vie du patient, de restaurer les fonctions essentielles, comme la déglutition et la voix, et enfin de garder un effet cosmétique. Pour cela, nous collaborons beaucoup avec les spécialistes en chirurgie plastique et reconstructrice.
Le traitement repose sur trois modalités, la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie. Dans la majorité des cas, la chirurgie reste le traitement de choix des cancers ORL. Elle consiste à réséquer complètement la tumeur avec une marge saine des tissus qui l’entourent. De plus en plus, nous avons recours aux nouvelles technologies, comme la robotique et l’endoscopie, d’autant qu’elles sont mini-invasives.
La radiothérapie est une modalité de traitement qui peut suffire, à elle seule, à traiter de nombreuses formes de ces cancers, d’autant qu’elle a un taux de contrôle oncologique égal à celui de la chirurgie. On a également recours à la radiothérapie, en adjuvant, après une chirurgie. Il est à noter qu’il existe de nouvelles machines qui permettent de mieux préserver les tissus sains qui entourent le site de la tumeur, ce qui a un impact moins important sur la qualité de vie des patients, en comparaison à la radiothérapie conventionnelle.
En ce qui concerne la chimiothérapie, elle a un rôle d’agent sensibilisateur à la radiothérapie, puisqu’elle la rend plus efficace. On y a aussi recours avant la chirurgie ou la radiothérapie pour réduire le volume de la tumeur et diminuer les chances de métastases.
Quid de l’immunothérapie ?
C’est le traitement émergent phare et très prometteur des prochaines années. Il est reconnu comme la quatrième modalité de traitement. L’immunothérapie consiste à cibler des molécules qui moduleraient les réponses du système immunitaire de façon à ce qu’il reprenne la reconnaissance des cellules cancéreuses et réenclenche une cascade visant à les détruire. L’immunothérapie commence à être appliquée pour traiter plusieurs cas de cancers ORL localisés, qui sont à un stade avancé, ou pour des récidives. Les études menées sur cette modalité de traitement se poursuivent pour élargir son spectre d’application, même en première ligne.
Quel est le risque de récidive ?
La majorité des récidives surviennent dans la première année qui suit la fin du traitement. Toutefois, le risque persiste dans un pourcentage moindre au cours des cinq années suivantes. Au-delà de cette période, le taux d’une récidive ou d’un second cancer est identique à celui observé chez n’importe quelle autre personne, à condition que les facteurs de risque soient éliminés et contrôlés, notamment le tabagisme.
Un suivi post-traitement est-il nécessaire ?
Tous les cancers ORL requièrent un suivi strict sur cinq ans. Le calendrier de surveillance de routine inclut des examens cliniques, des imageries et des bilans sanguins réguliers. Dans certains cas, le patient a besoin d’un suivi orthophonique pour réhabiliter la voix, la déglutition et l’articulation.
Dans quelle mesure peut-on assurer une bonne qualité de vie au patient ?
Cela dépend du cas. La qualité de vie du patient est un ressenti très subjectif et sujet a de diverses variables. Fonctionnellement et esthétiquement, on ne peut pas promettre au patient de redevenir comme il était avant la maladie. Toutefois, on peut restaurer certaines fonctions, comme la déglutition ou le recouvrement de la voix, et avoir de très bons résultats. En général, on dit aux patients qu’on va atteindre une nouvelle normale.
Comment se présente la situation au Liban ?
Cinquante pour cent des cancers ORL sont diagnostiqués aux stades 2 et 3 de la maladie, et 25 % des cas à un stade avancé. Dans la région de la tête et du cou, la localisation de la tumeur joue un rôle important dans le diagnostic de la maladie. Ainsi, une lésion sur la corde vocale, aussi petite soit-elle, va entraîner un changement immédiat de la voix. Si la personne concernée pense à rechercher un avis médical, elle peut guérir complètement. Par contre, une tumeur du nasopharynx peut ne se révéler qu’à un stade avancé.
Qu’en est-il de la détection précoce ?
Dans certains cas, de nouvelles technologies d’autofluorescence existent pour déceler les lésions précancéreuses des muqueuses, mais dans leur majorité, les cancers ORL ne peuvent être anticipés. La seule prévention possible à ce jour consiste à être bien informé des signes et des symptômes potentiellement alarmants, les reconnaître et agir rapidement. Par ailleurs, il faut surtout éviter les risques connus de ces cancers, à savoir le tabac, une consommation excessive d’alcool, une exposition excessive au soleil, les cabines de bronzage et les radiations.
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