Deux déjeuners samedi et dimanche à Laqlouq ont semé la confusion dans certains esprits et ont constitué un sujet en or pour les médias. Le député Chamel Roukoz a reçu à sa table deux jours de suite une soixantaine d’invités à chaque fois, dont une grande partie forme ce qu’on appelle « l’opposition aouniste ». De là à en conclure que le général Roukoz, qui est plus ou moins en retrait du bloc du Liban fort présidé par Gebran Bassil, a l’intention de regrouper tous les opposants à ce dernier dans un groupe rival, il n’y a qu’un pas que beaucoup ont franchi. La nouvelle est de taille, tant le CPL et son chef jouent un rôle important sur la scène politique et tant ses nombreux adversaires souhaitent le voir diminué et lâché par les siens.
Brusquement et à la faveur de deux déjeuners, le général député Chamel Roukoz est donc devenu au cœur d’une actualité dont il se serait passé. Avec son calme habituel, il rejette tout ce qui se dit sur son intention de former un groupe rival au CPL ou sur son hostilité à l’égard du ministre des Affaires étrangères. Il précise qu’il a rencontré tous ces anciens compagnons lors des funérailles du militant Antoine Khoury Harb, et naturellement, ils ont éprouvé le besoin de se retrouver, autour d’une table. C’est ce qui s’est passé, même s’il y avait aussi d’autres invités qui ne font pas partie de ce qu’on appelle « l’opposition au CPL ».
En bon militaire, Chamel Roukoz suit la ligne qu’il s’est tracée depuis le début, lorsqu’il a ôté l’uniforme militaire pour entrer dans le monde de la politique. Il n’est pas question pour lui d’être dans la réaction, ou le défi. « Mon seul souci est de préserver la base aouniste, qui est plus large qu’un parti », dit-il. Selon lui, lorsque le courant aouniste a commencé à émerger sur la scène libanaise, à la fin des années 80 et au début des années 90, il regroupait des gens venus d’horizons tout à fait différents, qui étaient tous unis dans un même élan, autour de l’armée, et pour la lutte en faveur de la souveraineté, de l’indépendance et de la liberté. C’est dans cet esprit qu’avait été créé à l’époque le groupe d’« Ansar al-jaych » (partisans de l’armée) formé de jeunes enthousiastes, soucieux de se battre pour défendre leur pays, sans toutefois entrer dans la structure militaire. Beaucoup de ceux-là ne sont pas aujourd’hui au CPL, pour de multiples raisons. Certains ne se retrouvent pas dans une structure partisane et estiment que le Courant est bien trop large pour être limité à un parti. D’autres ont des problèmes personnels avec le commandement et d’autres encore ne trouvent pas leur place au sein du parti. Pour toutes ces raisons, le général Roukoz estime qu’il serait dommage de ne pas profiter de leur enthousiasme, de leur engagement et de leur dévouement. Les deux déjeuners de Laqlouq, le week-end dernier, ne seront donc pas les seules rencontres. Il y en aura d’autres, et Chamel Roukoz s’étonne lorsqu’on lui pose la question : « Sont-ils des repris de justice, pour que je ne les reçoive pas ou que je ne m’entretienne pas avec eux ? Ce sont des compagnons de lutte et ce qui nous unit est indestructible. »
(Lire aussi : Que veut donc Chamel Roukoz ?)
Selon lui, ce qu’on appelle le phénomène aouniste ne peut donc pas être limité à un parti, et il est ainsi normal que certains ne trouvent pas leur place au sein du CPL. Lui-même n’en est pas membre, mais cela ne signifie pas qu’il est dans un camp opposé. Simplement, il conçoit différemment la poursuite du combat dans le cadre de la ligne tracée par le chef historique Michel Aoun. Il n’hésite d’ailleurs pas à se démarquer lorsqu’il est d’un avis différent ou lorsqu’il juge bon de prendre des positions qui ne sont pas celles du CPL. Dans l’affaire de Qabr Chmoun, par exemple, il n’a pas caché sa conviction qu’il s’agissait de protestations spontanées (de la part des partisans joumblattistes), non d’une embuscade, et il a immédiatement préconisé une solution en trois volets, sécuritaire, judiciaire et politique. Un peu avant cette affaire, lors des débats sur la loi du budget, il s’était violemment opposé à ce que les indemnités des militaires à la retraite soient touchées, tout comme il refusait que l’on touche aux salaires et facilités des magistrats. Car, selon lui, la justice et les forces armées sont essentielles dans la lutte contre la corruption, qui est l’un des principaux maux qui frappent et minent le Liban. Le général Roukoz précise : « Je ne pouvais pas supporter que les militaires soient injustement traités. Certes, je sais qu’il peut y avoir parmi eux des personnes corrompues, qui sont d’ailleurs couvertes par les politiciens, mais ils devraient être punis dans le cadre d’un processus interne. »
Peu loquace, le général Roukoz n’en prend pas moins au sérieux son travail de député. Il peaufine ses dossiers et ne veut pas prendre le risque de faire des faux pas. Il considère que sa principale mission est de préserver le vaste mouvement lancé par le général Aoun, qui prend ses racines dans l’appui à l’armée. « Je suis convaincu que dans ce vaste mouvement, il y a de la place pour tout le monde », dit-il. Il ajoute aussi qu’il ne cherche pas à rivaliser avec le CPL, mais à le compléter. « S’il y a des lacunes dans le parti, faut-il laisser les sympathisants rentrer chez eux et renoncer au militantisme ? Pour moi, se retirer et rester à l’écart n’est pas la solution. » Il critique ceux qui voient dans son action une volonté de doubler le CPL ou de saboter son travail. Il affirme que ce n’est absolument pas son objectif. Il veut simplement travailler à sa manière pour préserver l’esprit et l’élan aounistes qui rassemblent des gens d’horizons divers. « Ma vision porte sur 300 000 sympathisants, non sur 30 000 partisans ! » dit-il.
Chamel Roukoz affirme qu’il n’a pas sondé le chef de l’État avant de songer à rassembler les anciens militants, tout comme il ajoute qu’il n’y a aucune rupture entre lui et le chef du CPL. « Mon action n’est pas dirigée contre lui, ni contre personne. Je cherche à rassembler ceux qui ne se voient pas dans le parti. Ma démarche ne s’arrêtera pas là. Je mise sur tous ceux qui se sont battus et qui aujourd’hui ont peur pour leur histoire, leur passé et leur combat. Je ne veux pas qu’ils rentrent à la maison car je pense qu’ensemble, nous avons encore beaucoup à donner. »
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commentaires (7)
Quelle immense chance pour nous de pouvoir compter sur ces surdoués qui pigent absolument tout et qui surnagent grâce à leurs immenses connaissances ! Que deviendrait le Liban sans eux ? Irène Saïd
Irene Said
11 h 37, le 07 septembre 2019