Rationaliser le choix des options stratégiques en matière de gestion des déchets est devenu une affaire extrêmement ardue dans un contexte où ce sujet soulève davantage les passions et les convoitises que la réflexion mûre. Le défi n’a pas découragé un comité d’experts sur l’environnement issu d’une collaboration entre le journal an-Nahar et l’AUB qui souffle sa première bougie. Une conférence tenue hier dans les locaux du journal a permis d’énumérer les critères suivant lesquels on peut opérer des choix plus judicieux concernant les technologies les plus adaptées à un système de gestion des déchets donné. Parce que la gestion des déchets n’est pas que le choix d’une technologie, mais la mise en place d’un système à même de résoudre le problème à tous les niveaux de la chaîne.
Mais de quoi s’agit-il au juste et quels sont ces critères à prendre en compte ? Najat Aoun Saliba, experte en pollution de l’air et directrice du centre de conservation de la nature de l’AUB, a pris le public pas à pas dans les méandres des fondements d’une gestion saine des déchets ménagers. « Certains affirment que la responsabilité des déchets incombe aux personnes qui les génèrent, d’autres aux politiques ou aux municipalités, a-t-elle dit. Or c’est un ensemble de facteurs qui doit être pris en compte dans l’élaboration des plans. » Constatant le sinistre historique du chaos au Liban, la chercheuse a affirmé qu’« il est temps de passer de la gestion des crises à une gestion des déchets digne de ce nom ».
(Pour mémoire : Déchets : les ONG se mobilisent contre la « feuille de route vers l’abîme »)
Et pour cela, une démarche scientifique est inévitable. Une première étape consiste, selon elle, à identifier les acteurs concernés par cette question, qui sont très divers puisqu’ils vont de la politique et la justice aux secteurs public et privé, en passant par les municipalités, jusqu’au consommateur. Ce qui explique que les domaines à prendre en compte sont aussi variés : les aspects techniques et environnementaux peuvent paraître évidents, mais ils ne sauraient être séparés du politique et du financier/économique, tout comme des contraintes culturelles et sociales. Les derniers ratages en matière de gestion des déchets au Liban-Nord par exemple, dus aux oppositions systématiques de la population aux sites des décharges, ne sont-ils pas une illustration du ravage des solutions partielles ?
Enfin, la pyramide de gestion des déchets, qui fait la part belle à la réduction, la réutilisation, le tri, la récupération… avant d’arriver au traitement et à la solution définitive (enfouissement, incinération…), est primordiale.
Partant de ces facteurs, poursuit Najat Aoun Saliba, chaque scénario présente des caractéristiques qui le rendent plus ou moins adapté suivant les critères pris en compte : ainsi, une solution uniquement basée sur des décharges avec récupération de gaz nécessitera beaucoup plus de volume (en mètres carrés) qu’une solution basée sur l’incinération, mais celle-ci sera plus gourmande en énergie consumée et en investissement initial… Les deux étant plus polluantes que d’autres options. Des scénarios impliquant d’autres techniques comme le compostage ou la digestion anaérobique (sans oxygène), avec davantage d’élaboration comme le tri à la source, varient eux aussi suivant ces critères.
(Lire aussi : Devant le ministère de l’Environnement, des ONG disent « non » aux incinérateurs)
Une application comme « outil »
Le choix de l’option la plus adaptée est donc une question d’équilibre… qu’une application ingénieuse mise en place par un jeune chercheur du centre de conservation de la nature de l’AUB, Anwar Chami, rend plus accessible. Une application qu’il est possible de consulter sur le site suivant: http://anwargalshami.shinyapps.io/moda.
L’application permet à l’utilisateur – décideur, municipalité… – d’introduire directement les données dont il dispose et de choisir le degré d’importance de chacun des critères par rapport au projet qu’il compte mettre en place : volume, coût, risque de pollution, énergie dépensée… Le jeune chercheur, tout comme Mouïn Hamzé, secrétaire général du Conseil national de la recherche scientifique, également membre du comité, insiste sur le fait qu’il s’agit d’un « outil » censé aider à identifier les solutions adaptées pour contribuer à une décision qui repose sur une myriade de repères, dont certains assez brumeux comme les intérêts des uns et des autres, ou l’acceptation populaire.
La conférence d’hier s’est déroulée en présence du président de la commission parlementaire de l’Environnement, Marwan Hamadé, du président de l’AUB, Fadlo Khuri, de la directrice d’an-Nahar Nayla Tuéni, et de plusieurs représentants de ministères et de municipalités. M. Khuri et Mme Tuéni ont insisté sur la vocation de ce partenariat qui est d’occasionner un changement vers une réforme de la société. Un partenariat qui a donné naissance à plusieurs comités, sur l’environnement, l’éducation, la culture et la loi.
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commentaires (5)
Cette application indique-t-elle à l’utilisateur (décideur, municipalité) combien il peut se mettre dans la poche au passage pour chaque étape? Non? Alors ça ne marchera pas au Liban...
Gros Gnon
02 h 07, le 06 septembre 2019