À la fête de l’Adha, on sacrifie les moutons, mais aussi le patrimoine. Dans la nuit de dimanche 11 août à lundi, un vieux bâtiment (lot numéro 575) situé dans le secteur de Ibrine, à Achrafieh, a été démoli. Il datait de la fin du mandat français. Selon une source du ministère de la Culture, la décision de délivrer le permis de démolition a été prise par le mohafez de Beyrouth, Ziyad Chbib, sans l’approbation des services de la Direction générale des antiquités (DGA).
Le bureau de communication du ministre de la Culture Mohammad Daoud s’est empressé d’informer que « cette action vise à accélérer l’érosion du patrimoine architectural », ajoutant que « la destruction du bâtiment n’aurait pas pu avoir lieu sans les mesures prises par un fonctionnaire de l’administration ». Sans nommer explicitement le mohafez de Beyrouth, le communiqué indique que le ministre Daoud a demandé l’ouverture d’une enquête, promettant que le propriétaire du bien démoli et les personnes impliquées devront répondre devant la justice et en assumer les conséquences.
Toujours selon le communiqué, le ministre Daoud avait explicitement demandé de geler le permis de démolir en attendant d’examiner l’intégralité du dossier. Mais il semble que « le fonctionnaire concerné » a profité du week-end de la fête pour faire tomber le couperet, sous le faux prétexte que l’état de la construction est susceptible de compromettre la sécurité publique. Alors que c’est au ministère de la Culture, « seule autorité compétente », que revient le pouvoir de donner l’autorisation.
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Dernière ligne de défense
Mohammad Daoud a adressé une lettre au ministère de l’Intérieur lui demandant d’informer tous les départements concernés, y compris la police judiciaire, de l’interdiction de toute démolition de bâtiments avant l’obtention d’un accord direct de son ministère, et ce pour éviter que ne se répète le précédent du lot 1231. En effet, ce lot placé sur la liste des bâtiments à préserver par l’ancien ministre de la Culture Rony Araïji (décret n°116/2016) a été abrogé par son successeur, le ministre Ghattas Khoury, accordant ainsi au propriétaire foncier, un homme d’affaires irakien, l’autorisation de démolir. Selon une source proche de la DGA, le ministre Daoud a demandé au mohafez de geler le permis de démolition, mais il semble que celui-ci « s’était engagé à le délivrer et affirme ne plus pouvoir reculer ».
L’Orient-Le Jour a tenté une dizaine de fois d’entrer en contact avec M. Chbib, mais il était constamment injoignable.
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Pour rappel, le lot 1231, situé face au restaurant l’Entrecôte, à l’angle des deux rues Monnot et Abdel Wahab, à Achrafieh, est connu sous le nom de Bloc Dergham. C’est un complexe de trois immeubles, dont deux datant du mandat français et le troisième remontant à une époque antérieure. Le décret Araïji s’était appuyé sur des critères sérieux pour inscrire les constructions sur la liste du patrimoine. Mais les architectes commissionnés par le ministre Ghattas Khoury ont considéré qu’elles ne présentent aucun intérêt architectural et que leurs fondations branlantes constituent un danger public.
« Il ne faut pas ménager les efforts pour sauvegarder le patrimoine culturel. Cet héritage est une responsabilité nationale. Elle incombe à chacun et à tous, affirme pour sa part le directeur général des antiquités Sarkis el-Khoury. Les responsables ont pour devoir politique de nous armer d’une loi pour préserver les bâtiments tout en offrant des mesures compensatoires aux propriétaires concernés, comme transférer à autrui le coefficient d’exploitation de son terrain. La loi, adoptée en Conseil des ministres le 12 octobre 2017, est notre dernière ligne de défense. Or, elle attend toujours d’être débattue au Parlement. » Et Sarkis el-Khoury de conclure : « S’en prendre au patrimoine revient à détruire l’âme du pays. »
Pour mémoire
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commentaires (13)
Il faudrait sanctionner le proprietaire du bien-fonds en lui interdisant l'octroie d'un permis de construction.
Sabbagha Michele
15 h 23, le 16 août 2019