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La Consolidation de la paix au Liban - Août 2019

Transformations de femmes en temps de conflit

En général, le conflit est défini comme un affrontement réel entre deux parties ou plus, chacune d’elles étant convaincue que ses objectifs ne s’harmonisent pas avec ceux des autres, ou alors que ses ressources sont insuffisantes par rapport à celles des autres. De même, chacune des parties en conflit est convaincue que ce sont les autres qui l’empêchent d’atteindre ses objectifs, surtout si elle ne connaît pas ces mêmes autres, ou si elle a d’eux une image différente de la réalité dans de nombreux aspects de la vie. En réalité, dans la plupart des cas, l’image que l’on s’est forgée est plus forte dans nos esprits que celle qui est réelle et que l’on voit pourtant tous les jours.

C’est ainsi le cas des réfugiés syriens dont la plus grande partie sont des femmes et des enfants (78 %). Depuis le début, on a pris comme modèle de ces réfugiés, les images de femmes pieds nus, poussiéreuses et pleurnichant de temps à autre. On les a aussi réduites à des ouvrières agricoles analphabètes, des professionnelles du sexe ou s’alignant dans de longues files d’attente pour recevoir des aides, malgré que beaucoup de Libanais voient régulièrement d’autres images de femmes syriennes réfugiées. Seulement nos téléphones portables, les écrans télé et les bulletins d’informations sont plus forts que la réalité que nous vivons.

Nous n’abordons pas ce sujet pour nous contenter de raconter des faits, mais plutôt pour étudier le message ainsi adressé au spectateur libanais : « Regardez ces femmes comme elles sont pauvres. Elles ont d’autres habitudes que les nôtres, un mode de vie totalement différent, une autre culture. Elles sont venues partager avec nous nos ressources déjà maigres ». L’individu syrien au Liban est ainsi resté cet inconnu caché derrière cette image, devenant potentiellement un sujet de conflit grave qui peut éclater au grand jour à tout instant et se transformer en affrontement violent.

Et parce que les femmes sont habituellement plus enclines à résoudre instinctivement les problèmes et à accepter des acquis provisoires pour atteindre leur objectif ultime, à savoir protéger leurs familles dont elles se sentent entièrement responsables, elles ont commencé, individuellement ou par groupes à travailler spontanément dans les municipalités. Elles ont ainsi agi par instinct et elles ont devancé les initiatives des associations de femmes qui voulaient les aider à trouver du travail et à définir leurs priorités. C’est pourquoi, pendant que les associations cherchaient à leur fournir des aides ou un appui moral dans le meilleur des cas, ces femmes, elles, ont commencé à chercher à apprendre des métiers et à trouver des emplois, surmontant ainsi la peine et la poussière de cette longue marche de l’exil. Une année après l’autre, les associations de femmes syriennes et libanaises sont sorties petit à petit de leur cocon pour s’impliquer dans les collectivités locales, contribuant de ce fait à atteindre des objectifs de développement stratégique sur le long terme.

Depuis 2017, les Syriennes participent dans les rues de Beyrouth, avec d’autres groupes et associations féminines libanaises et palestiniennes, ainsi que des groupes de travailleuses domestiques, à la commémoration de la Journée internationale de la femme. Bon nombre d’entre elles ont même fait à cette occasion des déclarations à la presse, soucieuses de s’exprimer dans les médias au sujet de la situation en Syrie et de leur condition de réfugiées. En donnant leur avis, ces femmes n’ont pas réclamé des aides, mais la justice sociale pour toutes, sous le slogan suivant : nos causes sont multiples, mais notre lutte est unique. Ces apparitions dans les médias n’ont pas seulement changé la perception de la réfugiée syrienne chez les autres participantes aux activités de la Journée internationale de la femme. Elles ont aussi modifié la dynamique de la relation entre les groupes de la société d’accueil et les réfugiées elles-mêmes, sur les deux plans réel et moral. C’est ainsi que l’on a pu voir des Libanaises solidaires des réfugiées syriennes et défendant leurs droits en dépit de la dureté palpable de la rue beyrouthine.

Nous avons ainsi découvert avec elles, dans le cadre de l’association « Femmes Maintenant pour le Développement » qui a organisé cette participation, que la construction de la paix commence dans la rue, dans les ruelles étroites et jusque dans les maisons en dépit de la différence des causes et des objectifs.

Dans un autre programme lancé par la même association portant sur les activités théâtrales, des Syriennes sont ainsi montées sur les planches dans la pièce « Voile blanc ». Cette pièce s’inscrivait dans le cadre de la campagne organisée par l’association « Abaad » en faveur de l’abolition de l’article 215 du Code pénal qui annule la peine prononcée contre un violeur s’il consent à épouser sa victime. Les Syriennes se sont ainsi adressées à un large public, montrant que les expériences des femmes face à la violence et à la discrimination sont les mêmes. Elles ont aussi participé à une autre pièce intitulée « Syrienne », dans laquelle elles ont évoqué l’expérience de la fuite et de l’exil, de la disparition des proches, réclamant la justice sociale pour toutes les femmes. Au vu et au su de tous les spectateurs, ces femmes ont dit qu’elles luttent pour pouvoir survivre à la violence, au lieu de se contenter d’en être les victimes. Elles ont montré qu’elles étaient en mesure de réagir et de profiter de leur expérience pour surmonter les difficultés.

Au départ, le fait pour ces femmes de se rendre dans les centres d’aide psychologique, de réhabilitation et de formation était un acte spontané, une sorte d’instinct de survie pour modifier l’image que la société avait d’elles et pour tenter de s’en sortir. Aujourd’hui, elles s’y rendent dans un acte totalement conscient, parce qu’elles comprennent désormais profondément l’importance de leur rôle dans la construction de la paix civile. Elles savent désormais que pour construire la paix, il faut définir les causes de l’injustice qui les frappe et qui frappe aussi les Libanaises et toutes les femmes marginalisées et privées de leurs droits présentes sur le sol libanais. Elles ont compris qu’elles doivent faire face à cette injustice en étudiant et en suivant des formations qui leur permettront de trouver du travail et donc de préserver leur dignité.

Aujourd’hui, lorsqu’elles parlent du Liban, les Syriennes peuvent affronter et dépasser l’image du Libanais raciste qui leur vient d’abord à l’esprit. Cela, grâce aux militantes libanaises pour les droits des hommes et des femmes et à cause de l’action de tous ceux et celles présents sur le sol libanais qui ont aidé et contribué dans ce domaine. Elles sont même arrivées à la conclusion suivante : il y a deux Liban, un otage du gouvernement et de ses tiraillements politiques et un autre formé de ce peuple solidaire, enthousiaste, décidé à défendre son droit et les droits des hommes et des femmes en général à une vie digne.


* Responsable du programme de participation à l’association « Femmes Maintenant pour le Développement ».


Les articles, enquêtes, entrevues et autres, rapportés dans ce supplément n’expriment pas nécessairement l’avis du Programme des Nations Unies pour le développement, ni celui de L'Orient-Le Jour, et ne reflètent pas le point de vue du Pnud ou de L'Orient-Le Jour. Les auteurs des articles assument seuls la responsabilité de la teneur de leur contribution.




C’est ainsi le cas des réfugiés syriens dont la plus grande partie sont des femmes et des enfants (78 %). Depuis le début, on a pris comme modèle de ces réfugiés, les images de femmes pieds nus, poussiéreuses et pleurnichant de temps à autre. On les a aussi réduites à des ouvrières agricoles analphabètes, des professionnelles du sexe ou s’alignant dans de longues files d’attente...

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