Rechercher
Rechercher

La Consolidation de la paix au Liban - Août 2019

La « Kandaka » libanaise

Ala’ Saleh est l’icône de la révolution soudanaise, également nommée « Kandaka » du fait qu’elle représente les courageuses Soudanaises qui ont participé au soulèvement contre l’injustice et en faveur de la démocratie. Le nom de Ala’ restera gravé dans les mémoires comme un symbole qui dépasse les frontières du Soudan. Cette icône concentre en elle le parcours de milliers de « kandakas » rebelles, militantes, grévistes de la faim, ou encore détenues. Des femmes venues de partout, engagées dans une même marche contre l’injustice, manifestant dans les rues pour revendiquer le droit à la dignité et à la paix. Mais en fin de compte, l’histoire ne leur a pas rendu justice et a occulté le rôle qu’elles ont joué dans l’édification de la paix.

© Illustration de Mona Abi Wardé

Les conclusions que l’on peut tirer de l’expérience soudanaise s’appliquent au cas libanais à différentes époques, et au rôle qu’y a joué la femme libanaise à travers son action militante.

L’activisme des femmes a commencé avec la création de l’entité libanaise dans son acception politique, soit entre la proclamation de l’indépendance et l’éclatement de la guerre civile au milieu des années 70 : durant cette période, les femmes ont participé aux actions de libération nationale. Après cela est survenue la crise ouverte, de 1975 à la date d’adoption de l’accord de Taëf : les femmes n’ont participé ni à l’élaboration de ce texte ni aux tentatives ultérieures de l’appliquer. Durant les années de guerre, beaucoup de femmes ont porté les armes et se sont impliquées dans les combats internes, alors que d’autres ont préféré adopter une approche opposée, en jouant un rôle dans la préservation de ce qui restait du tissu social libanais. D’autres encore ont assumé seules des responsabilités familiales en l’absence des hommes, occupés au combat, décédés ou disparus. Sans compter les femmes qui ont participé à la résistance contre l’occupation israélienne.

Après que la guerre eut épuisé tous les belligérants, le nouveau pacte national connu sous le nom de Document d’entente nationale (accord de Taëf) a installé une nouvelle ère fondée sur un système politique obéissant à logique du « ni vainqueur ni vaincu », qui a mis un terme à la guerre sans vraiment instaurer la paix et la stabilité jusqu’à ce jour. Une formule à laquelle n’ont pas contribué les femmes qui avaient participé à la guerre ou qui en étaient imprégnées.

Dans la période de l’après-Taëf, le pays a connu de nombreux tournants politiques, sécuritaires et militaires, notamment l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, les manifestations géantes, le retrait des troupes syriennes du Liban, la division des Libanais en deux nouveaux camps, ainsi que d’autres assassinats et incidents sécuritaires qui ont culminé le 7 mai 2008. Le compromis de Doha a permis d’éviter une nouvelle guerre, mais c’était un compromis temporaire qui n’a pas traité le fond de la crise dont souffre le système libanais. Une fois de plus, les femmes n’ont pas participé à son élaboration.

Depuis 2005, la scène politique s’est transformée dans le pays, sur fond de guerres régionales qui ont élevé encore plus les murs qui séparent les Libanais, une situation marquée par des étapes internes importantes, comme la campagne en faveur de l’abolition du système politique confessionnel en 2011, ou encore le mouvement populaire de 2015 provoqué par la crise des déchets, qui se perpétue jusqu’à ce jour, marquée par les tensions politiques et la stabilité précaire des institutions constitutionnelles. Dans cette voie vers la stabilité, les femmes ont fait preuve d’une présence timide dans la participation aux manifestations, la mobilisation médiatique, l’action légale et sociale, et l’activité politique via les partis.

L’absence des femmes sur la scène politique libanaise durant les conflits armés, les étapes qui ont suivi ou encore les périodes de stabilité précaire, est due à des causes qu’il n’est pas aisé de résumer.

De manière générale, la Constitution libanaise a dessiné les contours de la scène politique précaire d’une entité bâtarde qui a favorisé l’enracinement de l’identité confessionnelle qui divise, aux dépens de l’identité nationale qui rassemble. Cela s’est reflété dans les différents cercles politiques – partis, syndicats, mouvements sociaux – qui ont adopté une logique de mobilisation fondée sur le confessionnalisme, peu encline aux pratiques démocratiques saines. Cette réalité a défavorisé la participation des femmes dans la vie politique et a limité leur rôle dans l’édification d’une entité démocratique et dans la contribution à une paix durable.

Il faut souligner également l’interaction entre les espaces publics et privés : les femmes, en effet, continuent d’assumer la principale responsabilité dans l’éducation des enfants et dans les tâches ménagères. La répartition des rôles entre les deux sexes a placé les hommes et les femmes dans une situation inégalitaire qui s’est reflétée négativement sur le rôle de la femme dans la vie publique, que ce soit au sein de l’administration publique ou dans les différents cercles politiques. A tous ces niveaux, la spécificité de la situation des femmes a servi de prétexte pour justifier l’absence de mesures visant à renforcer leur rôle dans la vie publique.

En somme, l’État libanais n’a jamais manifesté une réelle volonté de développer la participation politique des femmes dans le processus de consolidation de la paix, ni n’a concrétisé ses engagements internationaux en faveur d’un plus grand rôle féminin dans le processus de reconstruction après les conflits, ni n’a adopté une démarche différenciée qui puisse répondre aux besoins spécifiques des hommes et des femmes dans les domaines de la sécurité et de la consolidation de la paix.

Dans le monde arabe d’aujourd’hui, il existe de nombreux exemples de femmes actives dans les processus d’édification de la paix dans leurs pays, à l’instar des militantes de Libye, du Yémen, du Soudan, de Tunisie et de Syrie. Celles-ci participent aux dialogues nationaux et aux négociations de paix en vue d’une étape de transition équitable.

La question est de savoir quand une « Kandaka » libanaise pourra imposer son rôle dans le processus d’édification d’un État laïc, démocratique et moderne. Un État d’égalité de protection contre toutes les formes de violences dont sont victimes les femmes et les filles, que ce soit dans l’espace privé ou public. Or cet État n’a toujours pas reconnu l’importance du rôle joué par ses citoyennes ni n’a retenu leurs expériences positives, et continue de scander un hymne national où seul l’homme est cité.

* Avocate et chercheuse en droits humains


Les articles, enquêtes, entrevues et autres, rapportés dans ce supplément n’expriment pas nécessairement l’avis du Programme des Nations Unies pour le développement, ni celui de L'Orient-Le Jour, et ne reflètent pas le point de vue du Pnud ou de L'Orient-Le Jour. Les auteurs des articles assument seuls la responsabilité de la teneur de leur contribution.



Les conclusions que l’on peut tirer de l’expérience soudanaise s’appliquent au cas libanais à différentes époques, et au rôle qu’y a joué la femme libanaise à travers son action militante.
L’activisme des femmes a commencé avec la création de l’entité libanaise dans son acception politique, soit entre la proclamation de l’indépendance et l’éclatement de la guerre...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut