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Nos Lecteurs ont la Parole - Opinion

Le Liban entre réfugiés et déplacés : surréalisme et populisme à la place des politiques publiques

Force est de constater que, jusqu’à présent, les hommes politiques libanais n’ont pas permis à leurs compatriotes de gérer correctement deux crises historiques, celle des « réfugiés palestiniens » et celle des « déplacés syriens » – le terme de « déplacés » faisant référence au vocable utilisé dans le cadre du discours officiel. Mais cela n’annule en aucun cas les complications structurelles inhérentes à ces deux crises, tant sur le plan national (confessionnel-sectaire) que régional ou international, complications qui résultent en partie de la démarche non professionnelle, populiste, intimidante et accusatoire suivie par les parties concernées, en l’absence de tout sens de la gouvernance.

Plusieurs études académiques et recherches appuyées de faits et de chiffres ainsi que des documents de politique publique ont été élaborés pour traiter la question des réfugiés selon le principe de l’indissociabilité entre le volet humanitaire, la souveraineté des États et la diplomatie. Ces études ont placé toute action dans l’optique suivante : le respect de la souveraineté du Liban conformément aux lois libanaises en vigueur et aux lois internationales humanitaires, l’adhésion du Liban aux décisions des Nations unies et de la Ligue arabe, dont il est membre fondateur, le respect de la dignité de l’homme au Liban, qu’il soit citoyen ou migrant, et l’adoption d’une diplomatie efficace qui chercherait à peser pour trouver des solutions – plutôt que de jeter de l’huile sur le feu et d’exacerber les tensions créées par les circonstances catastrophiques des réfugiés, des déplacés et des communautés d’accueil. Toutefois, ces études ont été marginalisées au profit de la cohésion politique interne et extérieure, ce qui soulève des questions fondamentales au sujet des responsabilités vis-à-vis des échecs cumulatifs dans la gestion de ces deux crises. Pourra-t-on tenir les parties concernées responsables de ces écueils, afin d’ouvrir des horizons nationaux positifs pour le règlement de ces crises, loin de la logique de l’intimidation et des accusations de traîtrise mises en œuvre dans une volonté de réaliser des objectifs ponctuels sans rapport avec l’essence même du problème ?

1- Le Liban et les réfugiés palestiniens : misère, absence de souveraineté et superficialité

Les camps de réfugiés palestiniens, îlots de misère et de pauvreté, sont toujours armés. La diplomatie libanaise visant à assurer la cohésion morale, politique et scientifique à l’égard de leur droit au retour n’est guère fructueuse. Les relations libano-palestiniennes sont toujours marquées par les événements de la guerre du Liban et l’incapacité de gérer correctement ce dossier, pour des raisons politiques manifestes, entre 1990 et 2005.

Après 2005, il a été convenu que la situation des réfugiés palestiniens serait améliorée par un programme d’aide au développement des camps, initié par le Comité de dialogue libano-palestinien sous l’égide de la présidence du Conseil (2006-2009), et financé par la communauté internationale via l’Unrwa. Ce programme a cependant été entravé par la catastrophe du camp de Nahr el-Bared.

Il a été aussi convenu que la souveraineté de l’État serait rétablie dans les camps et que les armes palestiniennes extra-muros seraient saisies. Un accord s’est également dégagé sur le fait que le droit au retour serait appuyé par une approche diplomatique cohérente et intégrée. Mais rien n’a été réalisé à cet égard à l’exception d’une « vision libanaise unifiée sur la question des réfugiés palestiniens au Liban », un document complet et soigné élaboré par le Comité de dialogue libano-palestinien sous l’égide du Premier ministre en juin 2018 et soumis au président de la République. Jusqu’à présent, ce document n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres pour approbation. Il constitue pourtant une politique publique formulée de manière approfondie. Le fait de ne pas l’approuver ou le mettre en œuvre soulève, partant, des soupçons sur l’attitude ambivalente des autorités gouvernementales libanaises face à une crise qui perdure depuis 71 ans.

Au-delà des slogans mobilisateurs, et afin de protéger les droits des Libanais aussi bien que ceux des réfugiés, il serait plus utile de mettre en œuvre les recommandations fournies par ce document afin de faire face au « marché du siècle ». Loin de constituer un jalon pour aller de l’avant, les approches politiques superficielles véhiculées à l’opinion publique représentent un danger qui compromettrait à la fois la cause des Libanais et celle des réfugiés palestiniens.

2- Le Liban et les « déplacés » syriens : improvisation, manipulation et chaos

Depuis 2011, le Liban vit une très grave crise intérieure, liée à une véritable invasion de réfugiés syriens fuyant la folie meurtrière d’une guerre sanglante sur leur territoire. Cependant, certains Libanais ont contribué à la migration des Syriens, transgressant ainsi le principe de « dissociation ». Une transgression qui mérite d’être regardée de plus près, sachant que 300 000 « déplacés » syriens pourraient retourner immédiatement au Qalamoun, l’est du Qalamoun, Zabadani et Qousseir. Qui est donc en train d’entraver ce retour ?

Depuis le début de l’afflux massif de « déplacés » syriens au Liban en 2011, les autorités gouvernementales libanaises n’ont jamais réussi à parler d’une seule et même voix de la gestion de cette vague humaine. Elles ne se sont pas donné les moyens d’agir. Aucune politique publique n’a été mise en place, bien que de nombreuses études aient été élaborées, puis affrontées avec intransigeance ou entêtement, ignorance ou négligence. Les faits et les témoins le confirment. Les Libanais se sont retrouvés prisonniers de discours politisés et de slogans lancés crescendo par opportunisme politique.

La situation des « déplacés » est misérable. Celle des communautés d’accueil l’est également et la solution de la crise en Syrie est loin d’être établie. L’initiative russe de solution est défaillante. Mais le plus important, c’est de comprendre les mesures prises par les autorités libanaises pour gérer correctement la crise et l’approche diplomatique qui fait pression sur ceux qui font obstacle au retour en refusant de donner en contrepartie des garanties juridiques, sécuritaires et socio-économiques à cette démarche.

À l’heure où le gouvernement libanais se trouve incapable de mettre en œuvre une politique humanitaire, souveraine et diplomatique à l’égard des « déplacés », la communauté internationale ne parvient pas non plus à mettre fin à la crise en Syrie, et les pays donateurs, dont les ressources sont épuisées, diminuent leurs aides aux sinistrés et aux communautés d’accueil. Il s’agit en fait d’un inextricable mélange de problèmes auquel il ne faudrait pas faire face par la mobilisation des instincts confessionnels et nationaux ou l’exacerbation des tensions, mais plutôt par l’élaboration de solutions fondées sur la dignité humaine et l’application de la loi, avec pour seul intérêt d’éviter plus de soucis aux « déplacés » syriens et au peuple libanais.

Les Libanais et les réfugiés palestiniens ont en mémoire de mauvais souvenirs. Des souvenirs traumatiques peuplent également la mémoire des Libanais et des « déplacés » syriens. Les parties prenantes, elles, se bornent à adopter des approches surréalistes et populistes qui ne font qu’approfondir l’abîme des maux et des blessures. Quand suivrons-nous enfin le chemin des politiques publiques plutôt que celui de l’opportunisme politique afin d’éviter de plus grandes souffrances et, in fine, l’effondrement ?

Ziad EL-SAYEGH

Expert en politiques publiques et réfugiés

Nasser YASSINE

Directeur de recherches à l’Institut Issam Farès pour les politiques publiques et les affaires internationales à l’Université américaine de Beyrouth

Force est de constater que, jusqu’à présent, les hommes politiques libanais n’ont pas permis à leurs compatriotes de gérer correctement deux crises historiques, celle des « réfugiés palestiniens » et celle des « déplacés syriens » – le terme de « déplacés » faisant référence au vocable utilisé dans le cadre du discours officiel....
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