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Culture - Rencontre

« Le dessin est une manière d’accepter le monde dans lequel on est »

« Quand tu viens me voir ? », paru en avril 2019 (éd. L’Association), est le titre aux consonances étranges du nouvel album de Charles Berberian. Son trait à la fois pudique et mordant dessine avec justesse ses derniers souvenirs avec ses parents, fraîchement installés sur une Côte d’Azur qu’il finit par apprivoiser.

Charles Berberian.

Né à Bagdad en 1959 d’un père arménien du Liban et d’une mère chypriote de Jérusalem, Charles Berberian s’installe à Beyrouth avec sa famille à l’âge de dix ans. « Dans l’ambiance dans laquelle nous avons grandi, il y avait beaucoup de goût pour la bande dessinée, le cinéma, la musique. Avec mes camarades, on s’échangeait des albums, des disques… À l’époque, il n’y avait pas encore de production réellement libanaise, mais j’avais repéré les ouvrages d’Edika (Édouard Karali), il dessinait dans le journal Sunday Morning et dans Flash ; par la suite, j’ai retrouvé Eddy au journal Fluide Glacial à Paris », confie le dessinateur au timbre voilé.

Lorsqu’il arrive en France en 1975, il entame des études d’art à l’École nationale supérieure des arts appliqués. « C’est une période où la bande dessinée n’était pas très bien considérée, ce que je faisais ne plaisait pas forcément à mes profs. Même l’illustration était moins bien vue qu’aujourd’hui ; les États-Unis ou l’Angleterre offraient déjà une approche beaucoup plus riche », se souvient l’artiste.

En 1983, il rencontre Philippe Dupuy : tous deux entament une collaboration, toujours d’actualité. Ensemble, ils publient plus de 25 albums et de nombreux travaux d’illustration, dont les deux séries Le Journal d’Henriette (Fluide Glacial puis Les Humanoïdes Associés) et Monsieur Jean (Les Humanoïdes Associés puis Dupuis). Leurs ouvrages sont récompensés à de multiples reprises, notamment par l’Inkpot Award lors du Comic-Con en 2003, ou par le grand prix de la ville d’Angoulême en 2008.Charles Berberian publie également des carnets de voyage et des albums de société comme Les Gens (Alain Beaulet, 2007), Bienvenue à Boboland (Fluide Glacial-Audie, 2008), ou Le Bonheur occidental (Fluide Glacial, 2016). Il est aussi attiré par la musique, comme auditeur et musicien, et publie en 2005 chez Naïve l’anthologie de ses propres dessins de pochettes d’albums et de compilations, Playlist.



« Croquer le ridicule avant qu’il ne nous tue »
« Et juste avant de raccrocher, elle me demande à quel moment je pense revenir la voir, en formulant la question d’une drôle de façon, avec une petite voix de gamine abandonnée : Quand tu viens me voir ? » Cette phrase est celle d’Artémise, la mère de l’auteur, dont la question sonne comme une traduction littérale de la syntaxe arabe. « Ma mère parlait le grec avec ma grand-mère, mais elle a grandi à Beyrouth, je ne l’ai jamais entendue parler arabe, à part quelques expressions par-ci par-là. Elle parlait le français levantin, avec ses tournures particulières », constate l’auteur, amusé.

Son nouvel album commence dans les années 90, lorsque ses parents quittent Paris pour s’installer à Fréjus, dans le Var. « Dès ma première visite, j’ai détesté cette région », écrit-il dans une des premières planches représentant des paysages, des scènes de vie quotidienne au bord de la mer, des anonymes et les proches du dessinateur. « Bref, à chacune de mes visites et selon les saisons, je transcrivais dans mes carnets le joyeux bordel, ou le paisible ennui, des bords de l’Estérel », précise le narrateur.

Le regard est acerbe sur la dimension clinquante des stations balnéaires méridionales, et la vacuité à laquelle il est confronté. L’un des dessins est intitulé « Everyrone is a pornstar », avec des illustrations à l’avenant. La satire de Var Matin est tout aussi truculente, avec, à la une : « L’élection de Miss Camping est toujours un événement plébiscité par les vacanciers » ou bien « Les sandwiches restent indémodables même si les hamburgers leur ont fait du tort ».

Au fil de l’album, le graphiste adoucit son approche de la région où « les vieux viennent mourir ». « Mon carnet de croquis est aussi mon journal intime de l’époque, une manière de regarder le monde et de m’inscrire dans ce regard sur le monde. C’est à la fois un journal “extime” et intime, ce qui y transparaît, c’est ce qu’il y a autour de moi et ce qui se passe à l’intérieur de moi. Le dessin m’a permis de m’ancrer dans cet environnement inconfortable, qui représentait la fin de vie de mes parents, et d’accepter la réalité des choses », livre-t-il avec une certaine pudeur.



« Tu n’en as pas marre de me dessiner ? »
La tendresse du trait rend hommage à la singularité de son père, de sa mère et de son frère, le réalisateur et scénariste Alain Berberian, disparus entre 2007 et 2018, et les portraits proposés sont saisissants de vérité. « Le carnet de croquis permet une mobilité et une approche du dessin très libre, très empirique. Je n’ai pas retouché les dessins que vous voyez dans ce livre, pour rester le plus près possible de l’impression première. Quand je dessinais, je ne savais pas que j’étais en train de faire un livre », ajoute-t-il avec une pointe de surprise.

En emportant son lecteur dans cette promenade nostalgique, l’auteur interroge notre incapacité à intégrer la notion de finitude. « Ces dates sont traîtres. Elles s’éloignent et s’agglomèrent dans le passé, alors que celles et ceux qu’on aime, et qui s’en vont, ne nous quittent jamais vraiment. C’est d’autant plus vertigineux, cette vie qui continue tout autour sans eux », écrit l’artiste.

Si Quand tu viens me voir ? est clairement autobiographique, il n’est pas vraiment isolé dans l’œuvre du scénariste, qui utilise régulièrement l’autofiction dans ses ouvrages. « Dans Afterz (Fluide Glacial, 2017), par exemple, où il s’agit de deux jeunes femmes d’une trentaine d’années, j’utilise le jeu de la transposition, souvent décalée et masquée, pour livrer des bribes de moi-même, comme dans les films de François Truffaut, de Woody Allen ou dans les textes de Philippe Roth. »

Celui qui dessine actuellement dans un atelier à quelques tables de Raphaëlle Macaron (artiste numéro 6 du prix L’OLJ-SGBL Génération Orient, saison 3), s’intéresse de près à l’évolution de la bande dessinée émergente à Beyrouth, où il se rend régulièrement, pour rencontrer des artistes et animer des ateliers.


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