Petit exercice récréatif, voire instructif, à l’adresse de tout salarié, quel que soit son niveau de rémunération : consultez votre fiche de paye ; scrutez-la avec attention pour bien noter le montant des impôts défalqué de votre salaire ; évaluez maintenant sereinement le montant de ces impôts et réfléchissez (calmement ! ) à ce que l’État vous donne en contrepartie…
Un réseau routier ? En l’état actuel, il représente un véritable complot contre les véhicules en circulation. Un approvisionnement en eau potable ? C’est à se demander si certains hauts responsables n’ont pas des intérêts dans les sociétés d’eau minérale. Une politique rationnelle de traitement des déchets ? Sans commentaires… Une allocation de retraite pour vous permettre de vivre dignement au terme de 40 ans de durs labeurs ? Le projet traîne dans les tiroirs du Parlement depuis des lustres… L’électricité 24 heures sur 24? Les ministres qui se sont succédé à la tête de ce ministère depuis plus de dix ans ne cessent de nous le promettre… Un réseau d’égouts? Il n’existe que dans de rares régions. Des installations de traitement des eaux usées industrielles ? Inutiles… Celles-ci sont déversées dans la mer et, tout récemment, dans le fleuve du Litani. Des transports en commun ? Depuis le début de la guerre, l’État a baissé les bras sur ce plan. Un enseignement public performant et à prix réduit ? Pure chimère. Une administration publique efficace ? Voyons donc ! Elle est gangrenée par un clientélisme débordant. Une liaison internet à vitesse acceptable ? Rien ne presse, les avancées technologiques peuvent attendre !
D’aucuns rétorqueront que le Liban est plongé depuis les années 70 du siècle dernier dans des crises existentielles en cascade entretenues et aggravées par des puissances régionales aux visées hégémoniques sans limites et, de ce fait, les dirigeants n’ont pu plancher efficacement sur les multiples problèmes de la vie quotidienne du citoyen lambda. Prétexte fallacieux… À notre frontière Sud, Israël est en état de guerre permanent depuis plus de 70 ans, les divergences qui rongent sa classe dirigeante vont crescendo, son paysage politique ne cesse de s’effriter, la corruption a atteint les hautes sphères du pouvoir et cela ne l’a pas empêché pour autant de plancher sur les besoins de sa population, de développer la recherche, de contribuer au progrès scientifique, etc.
Au Liban, par contre, une large faction de l’establishment politique a d’autres préoccupations bien plus « stratégiques », bien plus « sérieuses », et n’a pas vraiment le temps de se consacrer à la chose publique, au développement ou ne fut-ce qu’à la simple gestion des services les plus élémentaires. Le Hezbollah, à titre d’exemple, a pris tout le pays en otage et s’obstine à vouloir s’impliquer dans tous les conflits régionaux et imposer aux Libanais manu militari, et de manière totalement unilatérale, sans tenir compte de la position des dirigeants officiels et des autres composantes nationales, un projet de société guerrière sans perspectives et sans horizons, pour servir les visées expansionnistes d’une lointaine puissance régionale. Cette allégeance inconditionnelle à une autorité étrangère a une conséquence inéluctable, qui se manifeste au quotidien : la multiplication délibérée des entraves à l’édification d’un État central capable, précisément, d’accorder un quelconque intérêt aux besoins vitaux de la population.
Au plan strictement local, notre « chef de la diplomatie »– qui n’a de diplomate que le titre de son portefeuille – est lui aussi trop absorbé par des desseins bien plus cruciaux que la gestion de la chose publique : se livrer à une gesticulation médiatique la plus choquante possible pour être au centre de toutes les discussions, et parallèlement œuvrer à ressusciter les anciens symboles pro-Assad pour rogner les ailes aux factions qui lui font de l’ombre ou échappent à son contrôle. Et tant pis si la bonne gouvernance s’en ressent…
À ce sombre tableau viennent s’ajouter – cela est devenu une lapalissade – l’affairisme dévorant et le clientélisme envahissant de certains pôles d’influence au sein du mouvement Amal et du courant du Futur.
Il ne s’agit nullement de faire preuve à cet égard d’angélisme primaire. Les ambitions politiques et les calculs partisans sont monnaie courante et font partie de la règle du jeu un peu partout dans le monde. Mais ailleurs, des efforts sont quand même déployés pour tenir compte des besoins et du bien-être de la population. Au Liban, les nouveaux venus en politique ne semblent pas encore avoir été informés qu’il est toujours possible de concilier les intérêts partisans et le bien-être du citoyen. Mais cela suppose que les notions de bonne gouvernance et du souci de la chose publique ne soient pas totalement étrangères à la culture politique d’une partie de la classe dirigeante. Et, surtout, que certains se décident à abandonner l’idée chimérique de vouloir « libérer » le Golfe, le Moyen-Orient et le reste du monde. En faisant un détour suspect par l’Amérique du Sud…
Mais cessez donc de l’appeler la "classe dirigeante". Ils ne dirigent rien du tout. "Classe profitante" serait plus approprié (oui, je sais, "profiteuse", mais profitante ça rimait mieux).
19 h 58, le 16 juillet 2019