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Dans la même direction

Chacun dans sa caisse, vitres fermées, forçant le volume et la climatisation de temps à autre pour tenter de grappiller un peu de bien-être dans l’inconfort du trafic, nous rongeons littéralement nos freins. Prêts à barrer le passage à quiconque manifesterait l’intention de nous dépasser ou d’occuper le peu de vide qui nous sépare, nous nous surveillons les uns les autres d’un œil hostile. Les embouteillages sont pleins de malveillance. Les autoroutes bondées le sont aussi de haine pure. On ne répétera jamais assez que la seule solution au fléau de la circulation au Liban passe par les transports en commun. Développer davantage le réseau de bus offrirait surtout l’occasion d’un réel rapprochement entre les gens. La vraie démocratie commence sans aucun doute par cette rencontre de toutes les classes sociales regardant ensemble, forcément, dans la même direction.

Prendre le bus, c’est pourtant ce que nous avons presque tous fait le plus naturellement du monde tout au long de notre vie scolaire. Il y aurait des romans à écrire sur les amitiés d’autocar (au Liban, tous les « bosta » s’appellent « bosta », sauf le ramassage scolaire qui s’appelle « autocar »). Pendant des années, nous avons grandi en douce derrière le « ammo » chauve et bougon qui allumait des cigarettes à toutes les stations en craquant des allumettes soufrées. Il ne nous a jamais vus grandir d’ailleurs, fixé qu’il était sur sa route, laissant à la « demoiselle » le soin de surveiller sa cargaison de petites âmes. L’autocar est un théâtre ambulant où se joue en miniature la comédie humaine. Comment oublier les petits matins lugubres et nauséeux dont le souvenir sommeille encore sur les banquettes en skaï. Il y avait toujours cet arrêt appréhendé de tous, devant la maison d’un petit garçon qui n’a jamais pu franchir la portière de l’autocar sans éclater en sanglots, la bouche pleine d’un morceau de tartine qu’on avait dû lui faire engloutir à la hâte. Son désespoir nous fendait le cœur et les oreilles. Jusqu’à l’arrivée. Le retour à la maison était autrement animé, surexcités et nerveux que nous étions tous après une journée de contraintes. C’était le moment où les plus perfides sortaient de leur cartable une poignée de sucreries interdites qu’elles distribuaient comme une drogue à celles qui avaient leur faveur, inventant au pied levé l’esprit de clique et de clan qui ne cesserait par la suite de diviser le monde. Les garçons, de leur côté, enclenchaient un concours de frime : mon papa c’est le plus ceci, mon oncle est le président de cela… jusqu’au triomphe du plus malicieux qui lançait : mon cousin, lui, il est militaire, et il vous tuera tous. Alors ils s’empoignaient, suffoquant de rage, et la « demoiselle » s’échinait à les séparer avant que sautent les premiers boutons dont ils auraient à s’expliquer à la maison. Un jour, on vous conseillera de consulter tel avocat ou tel grand chirurgien, telle banquière ou psychologue, et leur nom vous dira quelque chose. Mais oui ! C’est le petit garçon à la tartine, c’est le frimeur au cousin soldat, c’est la fille aux bonbons… Et vous direz fièrement « nous étions dans le même autocar », comme si c’était un lien de parenté.

Prendre le bus, c’est aussi se souvenir des sorties scolaires où l’on chantait pour avancer plus vite. C’est partager des impressions au retour d’un festival. C’est enfin, on l’aura compris, vivre ensemble. Une notion qui nous manque cruellement.

Chacun dans sa caisse, vitres fermées, forçant le volume et la climatisation de temps à autre pour tenter de grappiller un peu de bien-être dans l’inconfort du trafic, nous rongeons littéralement nos freins. Prêts à barrer le passage à quiconque manifesterait l’intention de nous dépasser ou d’occuper le peu de vide qui nous sépare, nous nous surveillons les uns les autres d’un...

commentaires (3)

tres beau texte Mais vous devez bien jeune car mes souvenirs sont plutot celui du train a 5 piatres ou malgre tout beaucoup essayer de passer d'un cote a l'autre quand le prepose au controle des billets apparaissait, pour ne pas payer On pouvait aller de Furn el Cheback jusqu'a Manara avec un seul billet Et le triste souvenir de cette bombe dans le train qui a fait tellement de morts et blesses en 1958 prelude a tout ce qui arrivera au Liban par la suite a cause des ingerences etrangeres de nos freres Arabes dans ce petit pays , ex Suisse du Moyen Orient Mais il semble que nous n'avons rien appris depuis vu les ingerences actuelles dans la conduite et la direction du pays

LA VERITE

14 h 14, le 11 juillet 2019

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Commentaires (3)

  • tres beau texte Mais vous devez bien jeune car mes souvenirs sont plutot celui du train a 5 piatres ou malgre tout beaucoup essayer de passer d'un cote a l'autre quand le prepose au controle des billets apparaissait, pour ne pas payer On pouvait aller de Furn el Cheback jusqu'a Manara avec un seul billet Et le triste souvenir de cette bombe dans le train qui a fait tellement de morts et blesses en 1958 prelude a tout ce qui arrivera au Liban par la suite a cause des ingerences etrangeres de nos freres Arabes dans ce petit pays , ex Suisse du Moyen Orient Mais il semble que nous n'avons rien appris depuis vu les ingerences actuelles dans la conduite et la direction du pays

    LA VERITE

    14 h 14, le 11 juillet 2019

  • nostalgique FIFI

    nahas corinne

    09 h 49, le 11 juillet 2019

  • Splendide!

    Michele Aoun

    01 h 49, le 11 juillet 2019

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