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Liban - Société

Adoptés du Liban : une association dénonce un véritable trafic d’enfants durant plus de 40 ans

Grâce à l’association Badaël-Alternatives existe désormais une précieuse base de données qui s’enrichit au quotidien.

Les collaboratrices et membres de Badaël-Alternatives, l’avocate Marie-Rose Zalzal, Sophie Deek, Dida Zalzal, Zeina Allouche et Christa Visser, adoptée du Liban. Photo A.-M.H.

Plus de 10 000 enfants nés au Liban auraient été adoptés à l’étranger depuis le début des années cinquante et jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. La grande majorité d’entre eux par des familles néerlandaises, françaises, danoises, américaines ou suisses, principalement entre 1961 et 1990. C’est ce qu’a révélé hier l’association Badaël-Alternatives lors d’une conférence sur l’adoption internationale depuis le Liban, à Sin el-Fil, intitulée « L’adoption depuis le Liban, récit d’une guerre invisible ». Une association présidée par Zeina Allouche, experte en prise en charge alternative et prévention de la séparation famille-enfant, qui lutte pour le droit aux racines et à l’information des adoptés du Liban.

Retrouver sa mère biologique : un parcours semé d’embûches
En l’absence de statistiques officielles, Badaël effectue un travail de fourmi. Elle développe, à partir de témoignages et de recoupements, une base de données précise sur ces adoptés nés au Liban de jeunes mères célibataires, pour les aider dans leurs recherches. Car retrouver leur famille biologique, et plus particulièrement leur mère qui les a abandonnés, est le désir le plus cher de la plupart de ces personnes dont la plupart ont plus de 50 ans aujourd’hui. Or le parcours est semé d’embûches, car les orphelinats et institutions caritatives locaux (souvent liés à des communautés religieuses) qui les ont hébergés à leur naissance et proposés à l’adoption ont toujours refusé l’accès à leurs archives, invoquant la protection des mères biologiques et de leurs familles.

« Ce refus était louche », lance Mme Allouche. Après avoir récolté jusque-là les données de 3 471 adoptés du Liban (dont 73 seulement sont complètes), et essaimé diverses archives, elle dénonce photos à l’appui « un véritable trafic d’enfants durant la période précitée ». Et qui plus est avec « falsification de documents et de dossiers d’adoption, comme les passeports, des noms de famille, de cliniques, d’orphelinats, de date ou de lieu de naissance ». À ce trafic qui impliquait « couvents, orphelinats, associations caritatives, médecins, avocats, notaires, moukhtars », n’ont pas manqué de contribuer « les mafias de la guerre, qui pratiquaient aussi le trafic d’armes, de drogue, voire d’organes ». « Une adoption pouvait alors coûter jusqu’à 100 000 dollars », assure l’experte, qui prépare un doctorat sur les populations autochtones au Canada. « Certaines informations dont nous disposons sont même dangereuses, révèle-t-elle, car elles comportent des noms de personnes ou d’autorités qui ont falsifié des dossiers d’adoption. Ce qui nous a valu des menaces... »

L’adoption est présentée comme une action positive pour sauver les enfants
Et de dénoncer « la violence d’un système institutionnel alternatif qui n’hésite pas à séparer les enfants de leur mère biologique, qui force les mères à choisir, pour quelques bénéficiaires locaux ou internationaux ».

Si l’adoption est souvent présentée « comme une action positive pour sauver les enfants », « après des décennies de recul, on ne compte plus le nombre d’enfants victimes de ce système, qui présentent des problèmes identitaires », observe Zeina Allouche. D’où la nécessité de prévenir contre la séparation entre l’enfant et sa famille. « Seulement 1 % des enfants doivent effectivement être séparés de leur mère », martèle-t-elle, faisant état, dans le reste des cas, de « décisions prises à la hâte et sous pression ».

Depuis la démocratisation des tests ADN, « les recherches des adoptés du Liban sont passées à la vitesse supérieure ». Il leur suffit, pour 100 dollars, d’effectuer leur test et de le comparer sur des réseaux internationaux et locaux de données. Un cousin du deuxième ou du troisième degré trouvé, et le lien avec la famille de la mère ou du père biologique est établi. « Les retrouvailles sont de plus en plus fréquentes », mais « la réalité n’est pas toujours à la hauteur des attentes ». Sans oublier que les rares lois libanaises sur l’adoption ne respectent ni le droit aux racines ni celui à l’information.


Quelle est mon histoire ?
C’est cette réalité que racontent dans leurs témoignages des adoptés du Liban venus de loin pour participer à la conférence. Christa Visser, adoptée par une famille aux Pays-Bas, ne sait toujours rien de sa mère biologique. Lui ressemble-t-elle ? Pense-t-elle à elle ? « Pas un jour ne passe sans que je me demande si elle va bien », dit-elle, montrant un cadre vide qu’elle espère un jour remplir de la photo de sa mère. Enseignante aux Pays-Bas, son pays, elle évoque sa vie et ses questionnements à travers ses deux identités : l’adoptée du Liban qui veut connaître son histoire et la Néerlandaise au type méditerranéen à laquelle on demande d’où elle vient.

Aucune histoire ne ressemble à l’autre. Daniel Drennan Elawar, adopté par une famille américaine, a retrouvé sa famille biologique après dix ans de recherches et un test ADN. Mais sa mère Bahija est décédée avant qu’il ne la serre dans ses bras. Il n’a pu que visiter sa tombe. Enceinte alors qu’elle était jeune et célibataire, elle avait été forcée par les siens, une famille druze conservatrice, à l’abandonner. Elle avait pourtant résisté, mais en vain. « C’était sa vie ou la mienne », regrette-t-il. Installé au Liban pendant ses recherches, Daniel n’a même pas la consolation d’une carte d’identité libanaise. « On m’a répondu que je n’avais pas de preuve. Mon père biologique ne m’a jamais reconnu. »

David Jan Baan, également adopté aux Pays-Bas, exhibe lui fièrement sa carte d’identité libanaise. Il a retrouvé son père biologique grâce à un test ADN, après des recherches qui ont duré 21 ans. « Malheureusement, il est mort trop tôt », regrette-t-il. David continue ses recherches pour retrouver sa mère. À ceux qui critiquent sa démarche, il répond : « On me demande souvent pourquoi je recherche mes parents. Je réponds que je n’ai pas choisi cette situation. J’ai le droit de savoir et me demande tous les jours qui je suis, où est ma mère, si je lui manque. » Ce père de famille est certain que le phénomène de l’adoption part de l’intention d’aider les mères libanaises dans la détresse, mais il est catégorique : « Les enfants adoptés sont victimes de trafic d’enfants. Il y a eu tellement d’argent dépensé ! » gronde-t-il. « C’est dans ce sens que les Pays-Bas lancent une enquête sur les filières d’adoption depuis certains pays. Nous faisons tout pour que les adoptés du Liban soient inclus dans cette enquête », souligne le représentant d’une association qui regroupe 400 adoptés du Liban aux Pays-Bas.

Malgré l’absence de financement et la grande frilosité des pays donateurs à se pencher sur un dossier susceptible de les éclabousser, l’association Badaël-Alternative poursuit son travail avec minutie. « Chaque jour, nous recevons de nouvelles informations d’adoptés, révèle Sophie Deek, responsable du projet de la recherche des origines. Malheureusement, la majorité des documents sont faux. » Et cette situation ne facilite pas les choses.



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commentaires (5)

Vers le milieu des annees 80, il y avait eu un scandale sur un juteux trafic de nourissons qui impliquait des personnalites connues et des religieux et religieuses. Scandale vite etouffe. Les nourissons etaient presentes comme "de race blanche et de culture occidentale" pour insinuer qu'ils etaient chretiens.

Michel Trad

16 h 53, le 30 janvier 2023

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Commentaires (5)

  • Vers le milieu des annees 80, il y avait eu un scandale sur un juteux trafic de nourissons qui impliquait des personnalites connues et des religieux et religieuses. Scandale vite etouffe. Les nourissons etaient presentes comme "de race blanche et de culture occidentale" pour insinuer qu'ils etaient chretiens.

    Michel Trad

    16 h 53, le 30 janvier 2023

  • Bonjour, Nous n'avons que faire d'une nouvelle vie et aurions souhaité rester auprès de nos mamans biologiques. Meilleure vie = plus de biens matériels ??? Foutaise !! Essayez d'imaginer que vous ne connaissez pas votre histoire, vos racines biologiques, le visage de votre mère, … ! Avez-vous imaginé combien nos mamans biologiques, votre sœur, votre tante, des femmes que vous connaissez, .. ont souffert ? Êtes vous certains les uns et les autres que dans votre propre famille (élargie bien sûr) ou dans vos amis, il n'y en ait aucune qui ait dû abandonner son enfant ? Oui ça se passe un peu partout dans le monde ! Est-ce une raison pour amoindrir ce qui se passe en terre libanaise  ? Savez vous que le Liban n'a toujours pas ratifié la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale ?? J'ai retrouvé ma maman biologique. Comme de nombreuses femmes au Liban, elle a été obligée de m'abandonner ! Vous savez probablement mieux que moi que si une femme osait s'aventurer à garder son enfant, elle serait reniée par sa famille, elle serait à la rue sans aucune ressource. Qui fait quelque chose pour en finir avec un société patriarcale, par une société pourrie par l'image qu'il faut donner ? Une adoptée du Liban

    Laure

    23 h 55, le 24 juin 2019

  • L'année 1982 j'avais fait connaissance d'un sympathique patron d'un café-brasserie du côté de Jounieh . Parmi le personnel il y avait une jeune noire sympathique du nom de Fancy qui bossait là 12 heures par jour et 7 jours par semaines . Elle ne parlait qu'arabe et anglais et était originaire du Belize , ancienne colonie britannique .En réalité elle était la fille adoptive d'Abou Zouz qui avait vécu dans l'ancien Honduras Britannique . La femme et la fille biologique d'Abou Zouz ne s'en portait que mieux . Abou Zouz lui-même , qui travaillait dans un ministère (travaux publics), était tranquille quand il allait faire acte de présence à son bureau . Un jour que nous avions abordé le sujet avec un ami français , il avait pris le Ciel à témoins : " C'est ma fille j'ai toujours été bon avec elle " . J'espère que la pauvre Fancy aura pu reprendre un jour sa liberté !

    yves gautron

    19 h 51, le 22 juin 2019

  • CA SE PASSE UN PEU PARTOUT DANS LE MONDE. L,HOMME EST CRUEL ET INIQUE DE PAR SA NATURE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 16, le 22 juin 2019

  • Ou est le problème d adopter et de donner une meilleure nouvelle vie a l enfant?!? Raz le bol des associations qui veulent se faire une cause.

    Marie Claude

    09 h 12, le 22 juin 2019

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