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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Bagdad peut-il rester neutre dans la crise américano-iranienne ?

Un conflit entre Washington et Téhéran pourrait avoir des conséquences dramatiques pour un Irak qui vient de sortir de sa « période » État islamique et qui fait face à des difficultés dans de nombreux domaines.

Un agent des forces de la police fédérale irakienne montant la garde à un poste de contrôle dans le district de Karada, à Bagdad, hier. Ahmad al-Rubaye/AFP

Jusque-là épargné par les conflits régionaux, bien qu’étant situé sur plusieurs lignes de fracture entre la Syrie à l’ouest et l’Iran à l’est, l’Irak voit d’un mauvais œil la montée des tensions entre les États-Unis et l’Iran. Entre le retrait d’une partie du personnel diplomatique américain du pays le 15 mai dernier, l’explosion dimanche d’une roquette de type Katioucha dans la « zone verte », où se trouvent l’ambassade américaine ainsi que les sièges du gouvernement et du Parlement irakiens, et l’appel récent du chef de la brigade al-Qods (unité d’élite des gardiens de la révolution islamique) Kassem Soleimani aux milices irakiennes pro-Téhéran en Irak leur disant de « se préparer à la guerre par procuration », Bagdad s’inquiète et craint de devenir l’éventuel champ de bataille d’un conflit armé entre Washington et Téhéran.Bien que les deux pays aient annoncé qu’ils ne voulaient pas de guerre, tout en poursuivant leur stratégie de provocation, les États-Unis et l’Iran s’affrontent déjà plus ou moins en territoire irakien, du moins idéologiquement, usant au maximum de leur influence sur la politique locale pour faire pencher la balance chacun de son côté. Ils ont en effet, tous les deux, besoin de l’Irak.

Téhéran cherche à consolider sa stratégie régionale et à contourner les sanctions économiques dont il fait l’objet, tandis que Washington veut endiguer à tout prix l’influence iranienne dans la région. Le président américain Donald Trump avait déclaré en février dernier qu’il souhaitait conserver des troupes en Irak pour « surveiller l’Iran ». Jusqu’à maintenant, les deux rivaux se sont néanmoins accordés pour ne pas faire de l’Irak un champ de bataille en instaurant une sorte de modus vivendi, qui s’est matérialisé par la nomination du nouveau Premier ministre Adel Abdel-Mahdi en octobre 2018, ce dernier étant à la fois reconnu et soutenu par la Maison-Blanche et la République islamique. Les deux puissances jouissent également d’un poids conséquent dans le pays.


(Lire aussi : Un porte-avions américain dans le Golfe ravive de douloureux souvenirs en Irak)


Les États-Unis disposent de plus de 5 000 soldats sur place et ont largement participé à la reconstruction et la consolidation de certaines institutions officielles irakiennes. L’Iran a quant à lui accru son influence grâce à son soutien à des groupes para-étatiques tels que les milices chiites du Hachd el-Chaabi. Ces dernières ont acquis un poids de plus en plus important après leur arrivée en deuxième position aux dernières élections législatives de mai 2018. Washington et Téhéran ont enfin contribué, chacun à sa manière, à la lutte contre le groupe État islamique dans le pays. Mais dans le cas d’un conflit ouvert entre les États-Unis et la République islamique, l’Irak aurait-il la capacité de jouer la carte de la « neutralité » ? « Les dirigeants irakiens, tant l’actuel Premier ministre que son prédécesseur, avaient pour objectif principal de faire en sorte que la rivalité américano-iranienne n’affecte pas le territoire irakien », explique Renad Mansour, spécialiste de l’Irak au sein du think tank londonien Chatham House, contacté par L’Orient-Le Jour. « L’Irak va donc bien entendu essayer de rester neutre dans cette affaire, mais c’est un État faible, doté d’un gouvernement faible, où beaucoup d’acteurs ont des allégeances différentes (…), la majorité étant tournée en partie vers l’Iran qui compte le plus d’alliés », ajoute-t-il.

Ainsi, entre les partisans des Américains, des Iraniens et ceux qui ne veulent ni des uns ni des autres et plaident pour une indépendance totale des puissances étrangères, comme le leader religieux chiite Moqtada Sadr, grand vainqueur des élections législatives de mai 2018, la division est totale au sein de la classe politique irakienne, ce qui complique la mise en place et le respect d’une éventuelle neutralité, qui ne peut se faire que dans le cas d’un gouvernement unifié.


(Lire aussi : "Menace" iranienne : Trump retire des diplomates d'Irak, mais appelle au dialogue)




Pas de nouveau conflit

L’Irak ne peut pas par ailleurs se permettre d’être victime d’une nouvelle guerre ou d’un nouveau conflit régional. Il vient tout juste de sortir d’une période de lutte difficile contre l’EI (qui y conserve toutefois des cellules dormantes) et doit, dans le cadre de sa période post-EI, faire face à une série de défis allant de la reconstruction de villes détruites à celle de son économie en ruine. « Si un nouveau conflit éclatait dans la région, cela compliquerait la situation de l’Irak de manière inimaginable, même si ce pays n’est pas directement impliqué », explique le Dr Abbas Khadim, directeur du programme Irak au sein de l’Atlantic Council, dans un article publié sur le site de l’institut. « Un conflit militaire entre les États-Unis et l’Iran pourrait stopper ou réduire considérablement le flux de pétrole dans le détroit d’Ormuz, ce qui perturberait l’essentiel des exportations de pétrole irakien. Ce ne serait pas une mince affaire, car les recettes tirées des exportations de pétrole représentent 90 % du budget fédéral irakien », poursuit-il, ajoutant que « la fourniture de gaz et d’électricité à l’Irak par l’Iran pourrait être réduite ». Une détérioration de la situation sécuritaire interne pourrait par ailleurs entraîner le départ d’autres grandes entreprises du secteur de l’énergie. Cela n’est cependant pas possible pour le gouvernement irakien qui, dans le cas de nouvelles pénuries d’électricité, pourrait avoir à faire face à de nouvelles manifestations comme celles qui avaient secoué le pays l’année dernière dans le Sud à majorité chiite.

Les États-Unis ont beau avoir récemment adopté un nouveau train de sanctions contre Téhéran et levé les exemptions pétrolières à un nombre limité de pays, Washington a néanmoins accordé un délai à l’Irak, qui peut maintenir ses accords avec l’Iran jusqu’à fin juin, la République islamique étant le principal fournisseur de l’Irak dans les domaines énergétiques. Reste maintenant à savoir si ce délai sera renouvelé, sachant que lors de sa dernière visite « secrète » en Irak le 7 mai, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a souligné la nécessité de protéger la souveraineté irakienne contre les ingérences étrangères et la dépendance stratégique vis-à-vis des pays de la région, notamment la dépendance énergétique vis-à-vis de Téhéran à travers des pressions exercées sur le gouvernement irakien.



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Jusque-là épargné par les conflits régionaux, bien qu’étant situé sur plusieurs lignes de fracture entre la Syrie à l’ouest et l’Iran à l’est, l’Irak voit d’un mauvais œil la montée des tensions entre les États-Unis et l’Iran. Entre le retrait d’une partie du personnel diplomatique américain du pays le 15 mai dernier, l’explosion dimanche d’une roquette de type...

commentaires (2)

Libanisation de l’Irak, et irakisation du Liban, une même plaie.

LeRougeEtLeNoir

08 h 46, le 21 mai 2019

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Commentaires (2)

  • Libanisation de l’Irak, et irakisation du Liban, une même plaie.

    LeRougeEtLeNoir

    08 h 46, le 21 mai 2019

  • EN CAS DE CONFLIT, GUERRE, COMPTER SUR L,IRAQ SERAIT UNE ERREUR STRATEGIQUE AMERICAINE. LE GOUVERNEMENT ACTUEL SERAIT BALAYE EN UN RIEN DE TEMPS. D,AILLEURS LES ACCESSOIRES IRANIENS, MILICES, SERONT LES PREMIERS UTILISES POUR LA SUBVERSION DANS LES PAYS ARABES DU GOLFE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 12, le 21 mai 2019

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