Depuis que la faculté a récemment décrété bénéfique la consommation du « bon » gras, on s’est dépêché de le trouver dans sa meilleure formule. À savoir, le beurre clarifié, identifié dans les pays anglo-saxons par son nom indien, ghee, et connu au Liban sous l’appellation de samné. Un produit autrefois utilisé dans de nombreuses recettes par nos parents et grands-parents, jusqu’il y a environ une cinquantaine d’années, où ce fut le bannissement total, sous prétexte, entre autres, que la forte dose de gras de ce produit risquait de boucher les artères du cœur. Après lui avoir préféré la margarine, remplacée à son tour par l’huile d’olive et son règne absolu, la samné fait aujourd’hui un retour fracassant et fait parler d’elle aussi bien par les scientifiques, que les diététiciens et les blogueurs. Le Harvard Health Publishing a pour sa part déclaré « qu’en vérité, il n’y avait jamais eu de réelle preuve que le fait d’utiliser de la margarine, au lieu du beurre, amoindrissait les chances d’avoir une crise cardiaque ou de contracter des maladies artérielles. L’option de la margarine était conseillée pour sa faible teneur en graisses saturées sans toutefois prendre en considération sa teneur en acides gras insaturés ».
La « samné hamaouié », vedette au Liban
Une multitude d’études sont publiées à ce sujet et, sur les réseaux sociaux, les sites de la samné, parmi lesquels Dr Ghee , The Goodness of the Ghee, Ghee vs Butter, ne font que grésiller, vantant les mérites de ce produit autrefois banni : il ne comporte aucune trace de protéine, de sucre, d’eau et de lactose. Riche en oméga 3 et 9, on lui reconnaît à l’unanimité moult vertus : du renforcement des os (par sa richesse en vitamine K et K2) et du système immunitaire (sa vitamine A), à une meilleure santé de la peau, en passant par l’augmentation du niveau d’énergie, la régulation du système digestif, la diminution des inflammations, une meilleure santé des yeux, ainsi que la réduction des risques de dégénérescence musculaire et du développement de la cataracte. Tout ceci, à condition que la consommation soit modérée : pas plus de trois à quatre cuillères à café par jour. De plus, la samné se conserve à température ambiante pendant des mois, voire des années, conservant ses propriétés intactes, comme au premier jour. Et elle supporte la cuisson à haute température sans se dégrader ou noircir.
Au Liban, il n’y a pas encore eu de retour en force de l’ingrédient, selon le grand maître de l’art culinaire du terroir, Kamal Mouzawak, « food activist », fondateur de Souk el-Tayyeb, et des différents Tawlet, privilégiant dans ses recettes l’huile d’olive et un zeste de beurre. Il précise qu’elle n’est plus utilisée depuis plus de quarante ans, car à l’époque « sa consommation ne posait aucun problème car l’on brûlait rapidement le gras, vu le grand effort physique qu’exigeait le mode de vie d’antan (travail plus ardu, déplacement à pied) ». De plus, elle était associée aux signes de richesse. « Jusqu’à présent, poursuit-il, ne dit-on pas d’une personne bien nantie, qu’elle est medéhené ou grasse ? À savoir bien pourvue. Il y a aussi la métaphore discriminatoire “ness be samné w ness be zeit”, les privilégiés et ceux qui ne le sont pas. Enfin, quelque chose de bon ou de réussi se décrit comme “assal ala samné”, ou du miel sur la samné. »
Une origine indienne
La tante de Kamal, Marie Mouzawak, demeure, elle, une inconditionnelle de cet ingrédient traditionnel qu’elle utilise au mieux. Elle possède l’art de « faess » la samné, expression très populaire qui signifie faire jaillir du beurre toute sa matière grasse en éliminant son eau. Certaines grandes épiceries de Beyrouth ont remis boîtes et bocaux de samné sur leurs rayons. Un vendeur dans une enseigne haut de gamme souligne à ce sujet : « Il y a surtout une demande pour la samné Hamaouié qui a toujours été la plus prisée au Liban. » Comme son nom l’indique, elle provient de la ville syrienne de Hama où elle est confectionnée à partir du lait de brebis. Alors qu’ailleurs, c’est le lait de vache qui est à la base de cette technique millénaire de la clarification du beurre qui puise ses origines du sous-continent indien où l’on n’a jamais cessé de l’utiliser. Là aussi, appelée ghee, elle fait partie intégrante de la cuisine ayurvédique, associée à la médecine traditionnelle indienne, basée sur l’équilibre des éléments et des énergies. Un concept qui est l’une des clés de la bonne santé. La légende veut que Prajâpati, le Seigneur des créatures, dans la mythologie hindoue, en se frottant les mains, a créée le ghee qui, en jaillissant, a donné jour à sa progéniture. En sanskrit, ce mot signifie asperger, d’où, chez nous, l’expression « faess » la samné, faire jaillir l’eau du beurre pour ne retenir que sa matière grasse.
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commentaires (5)
Bonne nouvelle. N’en déplaise à M. Mouzawak, mais, poids pour poids, la samné et l’huile fournissent la même quantité de calories, soit 9 Kcal/gramme. Il n’es pas plus difficile de dépenser la samné que l’huile. Elle a seulement était victime longtemps du marketing des grands producteurs d’huiles industrielles (maïs, tournesol, etc.) et des fabricants de margarine. Mangeons peu transformé et local avec modération.
Michael
02 h 46, le 03 avril 2019