Les déclarations à l’issue de la rencontre entre le président de la Chambre Nabih Berry, qui se trouve depuis samedi à Amman pour prendre part aux travaux du vingt-neuvième congrès de l’Union parlementaire arabe, et le roi Abdallah II de Jordanie, font scandale au Liban depuis hier. Selon un communiqué du bureau de presse de M. Berry, il a été question entre les deux hommes d’un échange bilatéral de l’eau du Liban contre de l’électricité de Jordanie. Aussi, les réactions ne se sont pas fait attendre dans un pays où l'approvisionnement en eau est totalement déficient.
« Comment vont-ils exporter l’eau alors que nous achetons des citernes à longueur d’année », s’insurge une habitante du Metn. « C’est un scandale ! » martèle-t-elle. Un avis partagé par de nombreux citoyens qui se trouvent dans la même situation, mais aussi par des experts.
Roland Riachi, professeur assistant au département de sciences politiques et d’administration publique de l’Université américaine de Beyrouth et auteur d’une thèse sur l’eau, assure que ce projet relève de la « pure illusion ». « L’idée n’est pas nouvelle », explique-t-il à L’Orient-Le Jour, rappelant qu’avant la fermeture de l’oléoduc Tapline (Trans-arabian Pipeline, allant de l'Arabie saoudite au Liban), il avait été question d’exporter l’eau du Liban. Celui-ci avait été construit en 1950 et reliait les puits de pétrole saoudiens d’Abqaiq au terminal de Zahrani, via la Jordanie et la Syrie. Il a été fermé en 1976 à cause de la guerre au Liban. Dans un passé plus récent, il a été question en 2013 à l’issue d’un entretien entre Gebran Bassil, alors ministre de l’Énergie, et le ministre chypriote de l’Agriculture, d’exporter l’eau du Liban à Chypre par bateau ou à travers une canalisation.
« Sur le plan géographique, l’approvisionnement de la Jordanie en eau va à l’encontre des lois de la nature, affirme M. Riachi. C’est infaisable. La nature géographique de l’Anti-Liban ne permet pas de construire les pipelines. » C’est ce que confirme un expert en eau, sous le couvert de l’anonymat, qui explique que sur le plan géopolitique, « il est impossible d’acheminer l’eau du Litani vers la Jordanie, d’autant que le Golan est occupé ». Sans oublier que l’eau au Liban, notamment celle du Litani, est polluée.
(Lire aussi : Résoudre la pénurie d’eau à Beyrouth)
Réhabiliter les canalisations vétustes
Au delà de contraintes géographiques, le Liban a-t-il, tout simplement, un excès d’eau pour l’exporter ? « Non, affirme l’expert. C’est un scandale de dire d'envisager d'exporter l'eau du Liban alors que les Libanais ont leurs robinets à sec. Les précipitations cette année ont été importantes, mais on n’a pas pu en profiter. L’eau de pluie a fini dans la mer. Et les barrages ne peuvent pas constituer une solution. Il faut commencer par réhabiliter les canalisations d’eau qui sont vétustes. »
Même son de cloche chez Roland Riachi, qui souligne que si le Liban « a de l’eau, c’est la gestion de cette ressource hydraulique qui laisse à désirer ». Il note dans ce cadre que selon les chiffres du ministère de l’Énergie et de l’Eau, le Liban consomme chaque année près de 1,5 milliard de mètres cubes d’eau, « dont près de 70 % sont utilisés pour l’irrigation agricole ».
Se penchant sur la mauvaise gestion des ressources hydrauliques, il souligne que celle-ci se traduit principalement « par les investissements gigantesques dans les barrages, alors qu’il y a 50 % de fuites d’eau sur des réseaux d'approvisionnement vétustes ». « D’un point de vue géologique, les barrages ne pourront pas stocker l’eau du fait que la terre est karstique, donc perméable, poursuit-il. Par ailleurs, nous avons un manque de personnel dans l’autorité publique, auquel vient s’ajouter l’ingérence du système politique confessionnel dans la gestion des ressources. Quant aux lois, elles sont archaïques et donnent la priorité aux propriétés privées, alors que le domaine public de l’eau n’est pas défini par la loi. Nos ressources en eau proviennent principalement des nappes phréatiques qui sont totalement absentes des politiques nationales. »
Roland Riachi affirme que pour résoudre le problème de l’eau au Liban, il est important de « repenser la distribution sectorielle du précieux liquide qui va dans sa majorité au secteur agricole ». De plus, « il faut réhabiliter les réseaux de canalisation au lieu de dépenser l’argent sur la construction de barrages ». Il cite, dans ce cadre, l’exemple de l’Office des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban qui doit contribuer à hauteur de 200 millions de dollars pour la construction du barrage de Janné, alors que cette somme aurait pu servir à réhabiliter les canalisations de ces mohafazats.
Pour mémoire
commentaires (10)
Aïe aïe exporter l’esu ? ! Super mais a t on une idée déjà de combien de quantité d’esu Le Liban a besoin ...
Bery tus
14 h 55, le 05 mars 2019