Il est vrai que les houleuses séances du vote de confiance ont représenté une parfaite occasion pour l’écrasante majorité des groupes parlementaires d’affirmer leur détermination à s’engager dans une lutte sans merci contre la corruption. Mais c’est surtout le Hezbollah qui a créé la surprise en passant rapidement aux actes. Il n’a même pas tardé à instrumentaliser cette cause « noble » pour s’en prendre à Fouad Siniora, pilier du courant du Futur et grand compagnon de route de Rafic Hariri et adresser des messages politiques au Premier ministre Saad Hariri et à sa formation, mais aussi et surtout à la communauté sunnite.
Une guerre de longue date
Il convient de rappeler, objectivité oblige, que le slogan de la lutte contre le fléau de la corruption a toujours été brandi par les divers gouvernements de l’après-guerre. Mais une constante persistait : le camp Hariri était la seule cible de ces attaques politiques. C’est en tout cas dans ce cadre qu’il conviendrait d’inscrire les accusations lancées contre les haririens, soupçonnés d’œuvrer pour la mise en place d’incinérateurs à Bourj Hammoud, avec l’arrivée à Baabda du président de la République Émile Lahoud et du gouvernement Hoss. La chasse aux sorcières à l’époque s’était concentrée sur le ministre haririen Chahé Barsoumian en victime propitiatoire, et il y avait déjà eu une tentative à l’époque de griller Fouad Siniora. Le régime syrien jouait, comme à son habitude, au maître de marionnettes.
Une étape suivante de la campagne de l’axe syro-iranien contre le camp Hariri sous le slogan de la lutte contre la corruption a été le fameux Quitus impossible, publié par le Courant patriotique libre, couronnement d’une longue campagne menée par le parti de Michel Aoun contre Saad Hariri en plein milieu de la confrontation 14 Mars/8 Mars sur la vocation stratégique du Liban. Publié en 2013, cet ouvrage est un réquisitoire contre la gestion des finances publiques par l’équipe Hariri dans l’après-guerre. Naturellement, le compromis présidentiel d’octobre 2016 – conclu entre Michel Aoun, chef du CPL et député du Kesrouan à l’époque, et Saad Hariri, leader du courant du Futur – a voué cet ouvrage aux oubliettes. Le CPL avait fait ainsi table rase de ses accusations de naguère. C’est à l’heure où Saad Hariri mène des efforts pour préserver l’entente élargie de 2016, dans la mesure où il s’agit selon lui de l’un des piliers de stabilité politique interne, que le Hezbollah a décidé de donner le coup d’envoi de la nouvelle phase de lutte contre la corruption. Le secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, avait déjà affirmé à plusieurs reprises que le fléau de la corruption sera à la tête des priorités de sa formation après les législatives. C’est donc à la faveur de cette ferme détermination que Hassan Fadlallah, député de Bint Jbeil, n’a pas tardé à se lancer dans la bataille. Deux semaines après les séances du vote de confiance, pendant lesquelles il avait évoqué quelques dossiers jugés « corrompus », M. Fadlallah a tenu une conférence de presse lundi dernier, l’occasion pour lui d’évoquer l’épineuse question des comptes de l’État, notamment durant la période 1993-2012, et de s’attarder sur la somme de onze milliards de dollars, dont l’usage avait fait l’objet d’une grave polémique.
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Le symbole Siniora...
Perçus sous cet angle, les propos du député de Bint Jbeil ne sauraient être cernés à la stricte dimension liée au vœu pieux du Hezbollah de mener une guerre contre la corruption et les corrompus. Et pour cause : l’attaque menée par le parlementaire du parti chiite cible surtout un faucon du courant du Futur, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, figure de proue du mouvement souverainiste du 14 Mars, et qui avait tenu tête jusqu’au coup de force de mai 2008 à toutes les tentatives de renverser son cabinet. Cet ancien chef du gouvernement est également celui qui a mené bataille contre le Hezbollah pour que soit mis sur pied le Tribunal spécial pour le Liban (en 2007) chargé de juger les assassins de Rafic Hariri. Plus récemment, M. Siniora n’a pas manqué de s’opposer à la nouvelle loi électorale taillée, selon lui, à la mesure du Hezbollah et de ses alliés. Il a opposé un veto catégorique au compromis politique de 2016, avant de choisir de boycotter le scrutin de mai 2018, contre la volonté du leader du Futur.
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Hariri dans le collimateur
Mais bien au-delà des relations perturbées avec l’ex-chef du gouvernement, l’attaque implicite de Hassan Fadlallah est à interpréter comme un message politique à Saad Hariri, portant directement atteinte à l’héritage politique, économique et social de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Expliquant ce constat, des observateurs politiques interrogés par L’Orient-Le Jour soulignent que les propos de Hassan Fadlallah interviennent à l’heure où le Hezbollah est parvenu à imposer l’élection de son propre candidat à la présidence de la République et à intégrer son allié druze (le Parti démocrate libanais de Talal Arslane) à la nouvelle équipe ministérielle dirigée par… Saad Hariri lui-même. Allant plus loin, les observateurs précités rappellent que la formation de Hassan Nasrallah est même parvenue à s’imposer dans les rangs de la communauté sunnite, envers et contre tous les efforts du Premier ministre. On en veut pour preuve l’intégration au cabinet d’un ministre sunnite relevant des six députés sunnites du 8 Mars gravitant dans l’orbite syro-iranienne.
À la faveur de cette logique, un observateur politique qui a requis l’anonymat estime que le Hezbollah tente de compléter son hégémonie sur la scène locale. D’autant qu’à l’heure où il est question pour lui d’un retour de Syrie (où il s’était impliqué dans le conflit pour soutenir le régime de Bachar el-Assad), le parti chiite a besoin d’une couverture locale. D’où sa décision de s’impliquer davantage dans les dossiers les plus compliqués, tels que la corruption, à même de redorer son blason.
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Attaque contre « le sunnisme politique »
Mais pour Farès Souhaid, ancien député et président du Rassemblement de Saydet el-Jabal, la confrontation directe entre le Futur et le Hezbollah ainsi que l’attaque dirigée contre Fouad Siniora intervient dans le cadre d’une tentative « du parti chiite majoritaire d’incriminer le sunnisme politique (symbolisé par le courant du Futur) en l’accusant de corruption pour détruire l’image économique et sociale de Rafic Hariri et son puissant héritage », comme il le souligne à L’OLJ. Et de poursuivre : « Il faut lutter contre la corruption et en identifier les auteurs. Mais cela relève des prérogatives du pouvoir judiciaire. Un parti politique ne peut donc pas lancer des accusations contre un autre, dans la mesure où cela pourrait porter atteinte aux fondements de la société libanaise. »
Quant au courant du Futur, et contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, il reste attaché contre vents et marées à l’entente conclue avec Michel Aoun. Mais un proche de la Maison du Centre assure à L’OLJ que son parti est en confrontation directe avec le parti chiite, notamment au sujet de la corruption. La démarche du Hezbollah risque en tout cas d’avoir pour effet collatéral de fédérer la rue sunnite.
En attendant sa conférence de presse prévue demain au siège de l’ordre de la presse pour mettre les points sur les i, Fouad Siniora s’est ainsi vu bénéficier de l’appui de l’ancien ministre Achraf Rifi, fortement critique du camp haririen depuis 2016. Contactés par L’OLJ, les milieux de M. Rifi dénoncent ce qu’ils appellent « une campagne systématique pour phagocyter le courant du Futur et affaiblir Saad Hariri », assurant que M. Rifi est « prêt à tout ce que demande M. Siniora pour lui venir en aide »...
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commentaires (8)
On ouvre le dossier de lute contre la corruption, mais on abolit le ministère de lute contre la corruption...Est-ce pour retirer ce dossier de certaines mains et le placer dans d' autres? Probablement. Mais ou est donc passée la loi sur l' enrichissement illicite, sorte de: tu fais ta declaration, elle reste secrete, et si risque il y a, je te donne l' accès aux clefs du coffre ou tu l' as toi-meme deposée ! Hahahaha... Et qu' en est-il de l' utilisation de l' argent légitime, à des fin illégitimes ? L' exception libanaise touche à sa fin...Bientot il sera difficile de convaincre le monde que les roues au Liban sont carrées, et qu' il suffit de porter des lunettes pour s' en convaincre..
LeRougeEtLeNoir
15 h 21, le 28 février 2019