La polémique suscitée par la visite inopinée lundi du ministre d’État pour les Affaires des réfugiés, Saleh Gharib, en Syrie est un premier échantillon des complications que le nouveau gouvernement, dit d’union nationale, est appelé à affronter à l’avenir en matière de relations avec Damas. Sauf que ce genre d’incident, pressenti dès lors qu’au moins trois des ministres du nouveau cabinet sont connus pour leur proximité déclarée avec le régime syrien, n’était pas prévu aussi tôt.
Invité à se rendre dans la capitale syrienne pour rencontrer son homologue Hussein Makhlouf, afin d’évoquer la question du rapatriement de plus d’un million de réfugiés syriens, M. Gharib ne s’est pas fait prier, répondant immédiatement présent à l’appel, avant même que le gouvernement, à peine mis sur pied, ne tienne sa première réunion, prévue demain, après l’obtention de la confiance.
Une attitude qui en dit long également sur l’intention du régime de Bachar el-Assad, qui a vraisemblablement voulu envoyer un message fort à qui veut l’entendre au Liban, le timing choisi pour inviter un ministre proche de lui étant « à même de susciter des interrogations sur sa signification politique », comme l’a souligné un observateur proche du Hezbollah à L’OLJ.
Tout aussi déroutante, la controverse suscitée autour du fait de savoir si le Premier ministre, le chef de l’État ou même le ministre des Affaires étrangères étaient ou non au courant de cette visite, aucune réponse claire n’ayant pu être obtenue auprès des sources concernées.
Les milieux du courant du Futur avaient assuré lundi que M. Hariri « n’était pas au courant » de ce déplacement, cherchant à atténuer la portée d’une « visite effectuée à titre privée, qui n’engage le gouvernement en rien ». Ces propos viennent toutefois contredire ceux de M. Gharib qui avait indiqué, après son départ à Damas, en avoir informé le Premier ministre. On apprenait toutefois, de sources proches du Hezbollah, que Saad Hariri avait effectivement été mis au courant, et avait « souhaité qu’elle soit reportée, sans se prononcer favorablement ou défavorablement ».
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Sauver la face
Dans ce qui est apparu être une tentative d’atténuer les effets de la polémique et de sauver la face d’un gouvernement qui vient à peine de réitérer, dans sa déclaration ministérielle, la rhétorique de la distanciation, M. Hariri a convoqué hier le ministre concerné pour faire le point sur la situation, sans que l’on sache toutefois s’il a été convoqué en vue d’une réprimande ou non, aucune déclaration officielle du bureau de M. Hariri n’ayant été émise.
M. Gharib a, pour sa part, continué à entretenir le flou dans un premier temps, déclarant, à sa sortie du Sérail, en réponse à la question de savoir s’il a coordonné ou non sa visite avec le Premier ministre : « Ce qui a été dit entre nous restera entre nous. » Il a cependant souligné que M. Hariri a une « approche très positive du dossiers des réfugiés et place les intérêts du Liban en premier ». M. Gharib, qui s’est également rendu auprès du président Michel Aoun pour l’informer de la teneur de ses entretiens, est finalement sorti de sa réserve pour assurer que le chef de l’État et le Premier ministre avaient été mis au courant au préalable, souhaitant que ce dossier puisse être « tenu à l’écart des tiraillements ».
On apprenait également en soirée que le chef du gouvernement ne compte pas évoquer cette affaire lors de la première réunion de l’exécutif, préférant vaquer aux priorités économiques et aux conditions requises pour la mise en œuvre des engagements de la conférence dite CEDRE.
Saad Hariri, qui n’en est pas à sa première épreuve avec des membres de son gouvernement faisant cavalier seul en matière de relations « privées » avec la Syrie – plusieurs ministres de l’ancienne équipe avaient déjà pris la route de Damas sans consentement préalable du cabinet –, veut de toute évidence étouffer l’affaire dans l’œuf et se concentrer sur ses priorités. À noter que les députés du bloc du Futur, qui ont tenu hier leur réunion hebdomadaire, ont observé un silence radio sur la visite, s’alignant ainsi sur la position du chef du courant.
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Une visite qui ne surprend pas
Dans les milieux du CPL, on évite de répondre par oui ou par non à la question de savoir si le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, tout aussi directement concerné par cette visite, en a été informé en amont. La conseillère de M. Bassil, Ola Boutros, élude tout en soulignant que la rencontre entre M. Gharib et son homologue syrien « n’a rien de surprenant, dans la mesure où elle s’inscrit dans le prolongement de la déclaration ministérielle », qui évoque un « retour en sécurité des déplacés » et accueille favorablement « l’initiative russe ».
Selon elle, la situation a aujourd’hui changé. La visite d’un ministre de l’actuel gouvernement à Damas « ne dérange plus comme avant M. Hariri », d’autant qu’il y a désormais une entente globale et une unanimité sur la question du retour des réfugiés, explique en substance la responsable.
Des propos qui rejoignent, dans leur esprit, l’analyse livrée par une source proche du Hezbollah qui affirme que « dès le moment où le Premier ministre (et le président) a accepté de désigner à cette fonction quelqu’un ayant le profil de M. Gharib – une personnalité aussi proche du régime syrien –, un tel scénario était à prévoir ».
Pour Nawar Sahéli, ancien député du Hezbollah à qui le parti chiite vient de confier la gestion du dossier des réfugiés, le « principe de distanciation n’a plus lieu dès lors que l’on parle de plus d’un million de réfugiés dont le rapatriement fait désormais l’unanimité au sein de la classe politique ». « La poursuite de la politique de l’autruche est infructueuse. Ne nous leurrons pas. Si l’on veut faire aboutir le processus du retour des réfugiés, les discussions avec le régime syrien sont incontournables », a-t-il martelé, dans un entretien express avec L’OLJ.
Une chose est certaine : le Premier ministre, qui a déjà fait preuve à plusieurs reprises de l’existence d’un modus vivendi avec Gebran Bassil sur le dossier des réfugiés – son acquiescement au communiqué final sur la question des réfugiés publié à l’issue du sommet de la Ligue arabe en est la preuve –, ne semble plus dérangé outre mesure par le fait de livrer ce dossier à ceux qui prétendent détenir la solution pour sortir de l’ornière. En acceptant de désigner au ministère d’État chargé des Affaires des réfugiés une personnalité qui se prévaut de ses bonnes relations avec le régime syrien, le Premier ministre a choisi de laisser faire et de refiler la patate chaude au camp adverse. « S’il réussit, ce sera autant de gagné. Personne au Liban ne sera agacé si les réfugiés réintègrent leur pays », confie une source proche du courant du Futur, en évoquant l’état d’esprit dans lequel se trouve actuellement le Premier ministre.
Le pari est lancé. Il reste à voir quand, avec quels moyens et dans quelles conditions le rapatriement des Syriens pourra se concrétiser.
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commentaires (8)
Heureusement qu'existe cet Occident prédateur...et soumis (à qui et quoi...?...comment peut-il être à la fois prédateur et...soumis ???) sur le dos duquel on peut mettre tous nos malheurs, c'est bien pratique...n'est-ce pas ! Irène Saïd
Irene Said
21 h 29, le 20 février 2019