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En avant, la chorale !

À peine formé le gouvernement, la voilà qui revient, l’insistante, l’entêtante rengaine : celle d’une normalisation rapide, pressante, immédiate, des rapports avec le régime baassiste de Syrie, prétendument commandée par les intérêts supérieurs du Liban.


Sans perdre de temps, le ministre d’État aux Affaires des réfugiés a répondu présent à son homologue syrien qui venait tout juste de l’inviter à Damas pour une discussion fraternelle. Dans le même temps, le ministre de la Défense déclarait que le contact est maintenu avec la Syrie et que tout membre du gouvernement est parfaitement libre de s’y rendre. Pour compléter le chœur, le ministre d’État pour le Commerce extérieur exaltait les relations privilégiées avec ce pays, passage obligé des exportations agricoles et industrielles libanaises vers l’hinterland arabe.


Pour pousser la ritournelle, les chantres de la normalisation invoquent invariablement la raison, qu’elle soit d’État ou raison pure. Que cela plaise ou non, disent-ils, Bachar el-Assad, porté à bout de bras par la Russie et l’Iran, est en voie de reconquérir son pays éclaté. Sa réintégration au sein de la Ligue arabe n’est plus qu’une affaire de temps, comme le laisse croire la récente décision de l’État des Émirats arabes unis de rouvrir son ambassade à Damas. L’argument massue demeure cependant la présence sur notre sol de plus d’un million de réfugiés syriens, ce qui implique nécessairement une concertation pour le moins technique et humanitaire avec le voisin de l’Est.


Or c’est le même souci de raison, auquel s’ajouterait la dure expérience du passé, qui devrait inciter notre pays à la prudence et à une meilleure perception des nuances. Devancer la Ligue arabe en ouvrant les bras à la Syrie serait mettre la charrue devant les bœufs et s’attirer la colère des royaumes du Golfe, où vivent et travaillent des centaines de milliers de nos concitoyens, détail qui semble avoir échappé à la diplomatie libanaise de ces dernières années. Et puis, il faut être deux pour danser le pathétique tango des réfugiés; or le régime minoritaire des Assad qui, en bombardant sans merci les populations civiles, s’est évertué à exporter en masse des sans-abri est-il vraiment désireux de rapatrier ces millions de malheureux, massivement sunnites, disséminés entre la Turquie, la Jordanie et le Liban ?


En tout état de cause, ce serait folie de renouer tout de go avec une relation des plus inégales, sans contrepartie ni garantie aucune. Le Liban ne possède que deux frontières terrestres : l’une avec un État, Israël, qu’il ne reconnaît pas ; et l’autre avec une Syrie qui, elle, ne se résout toujours pas à le reconnaître pleinement, en dépit de l’échange relativement tout récent de rapports diplomatiques. Une Syrie qui se refuse d’ailleurs à délimiter cette frontière et qui n’a jamais fait secret de sa volonté de dominer le Liban, à défaut de l’absorber. Une Syrie enfin qui aura couronné une longue et dure occupation par une tout aussi longue série d’assassinats de chefs politiques et de leaders d’opinion avant que de s’acharner sur sa propre population.


Une fois de plus, l’homme qui tient Assad pour l’assassin de son père est le chef d’un gouvernement confronté à ce choix cornélien, impossible ; avalant couleuvre sur couleuvre, croyant ainsi sauver la face, Saad Hariri n’a pas fini de qualifier de privés les très officiels pèlerinages à Damas de ses ministres. Parmi les plus ardents avocats de la normalisation, figure par ailleurs le courant politique relevant de l’auteur d’une désastreuse guerre de libération contre la Syrie, qui se solda par l’occupation de l’intégralité du territoire national.


C’est d’une double ironie du sort que se pare le dilemme libanais.


P-S : Au nombre des enjeux que compte la normalisation avec la Syrie, n’est guère absente la perspective d’une reconstruction de ce pays, une fois la paix revenue. Le dossier pèse 400 milliards de dollars : de quoi fouetter bien des ardeurs au sein d’un establishment politique libanais viscéralement voué à l’affairisme...


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

À peine formé le gouvernement, la voilà qui revient, l’insistante, l’entêtante rengaine : celle d’une normalisation rapide, pressante, immédiate, des rapports avec le régime baassiste de Syrie, prétendument commandée par les intérêts supérieurs du Liban. Sans perdre de temps, le ministre d’État aux Affaires des réfugiés a répondu présent à son homologue...