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Liban - Distanciation

À peine la confiance obtenue, le cabinet subit son premier camouflet

Saleh Gharib se rend en Syrie sous le prétexte des réfugiés et Élias Bou Saab soutient le régime Assad.

Saleh Gharib et Hussein Makhlouf s’entretenant à Damas. Photo ANI

Le ministre d’État pour les Affaires des réfugiés, Saleh Gharib (proche du président du Parti démocrate libanais Talal Arslane et faisant partie de la quote-part ministérielle du chef de l’État Michel Aoun), n’a attendu que quelques jours après le vote de confiance au Parlement pour se rendre en Syrie, portant ainsi un premier camouflet à la politique de distanciation respectée, en principe, par la nouvelle équipe ministérielle.

Trois jours après l’obtention par le gouvernement de la confiance du Parlement vendredi dernier, M. Gharib a répondu favorablement à « une invitation officielle de la part du ministre syrien de l’Environnement et de la Gouvernance locale, Hussein Makhlouf », comme on a pu lire dans un communiqué publié hier par le bureau de presse de M. Gharib. Lors de leur réunion à Damas, les deux hommes ont notamment évoqué la question des réfugiés syriens.

S’exprimant à l’issue de l’entretien, M. Gharib a souligné « l’importance de la collaboration avec la Syrie dans ce dossier épineux et particulièrement important ». « L’État syrien a pris toutes les mesures nécessaires pour recevoir les réfugiés », a ajouté le ministre, se félicitant de l’approche de Damas pour cette question.

Quant au ministre syrien, il a estimé – citant le président Bachar el-Assad – que « ceux qui n’encouragent pas le retour des Syriens dans leur pays ne sont autres que ceux qui, à l’origine, ont soutenu le terrorisme. Ceux-ci entravent le retour aujourd’hui pour ne pas reconnaître la victoire (du régime Assad) », dans une allusion à peine voilée au courant du Futur, que Damas a toujours pointé du doigt pour son soutien à la révolution syrienne.

C’est dans le même contexte lié aux rapports libano-syriens qu’il conviendrait d’inscrire les propos tenus hier par le ministre de la Défense Élias Bou Saab (Courant patriotique libre). Interrogé par la chaîne al-Mayadeen, M. Bou Saab a déclaré : « Qu’on le veuille ou pas, Bachar el-Assad est le président de la Syrie et nous n’avons d’autre choix que de dialoguer avec lui. » Et de renchérir : « Nous sommes en contact avec la Syrie et chaque ministre est libre de s’y rendre. »

Il va sans dire que la visite de Saleh Gharib dans la capitale syrienne est la première concrétisation de la vision du tandem Baabda-CPL concernant ce dossier. Lors d’une conférence de presse tenue au siège de son parti, à Sin el-Fil, le 2 février, le chef du CPL Gebran Bassil avait déclaré sans détour : « Le fait que le ministre d’État pour les Affaires des réfugiés relève de notre camp est un signe d’une nouvelle approche de ce dossier. » « Il s’agit d’une personne capable de dialoguer aussi bien avec le régime syrien qu’avec la communauté internationale (…) », avait-il encore dit.

Mais il serait peu rigoureux de tenter de cerner la visite et les messages politiques qu’elle porte à cette seule dimension. Et pour cause : c’est par son timing que la rencontre des deux ministres attire l’attention. D’autant qu’elle intervient quelques jours avant la toute première séance gouvernementale, au lendemain du vote de confiance à la Chambre.


(Lire aussi : Relations libano-syriennes : des changements en douce sans polémique gouvernementale, le décryptage de Scarlett Haddad)


Un pas en avant vers la normalisation ?

C’est surtout par le contexte politique dans lequel elle intervient que la visite prend toute son ampleur. Depuis l’entrée en vigueur du compromis élargi de 2016, et après la remise sur pied relative du régime syrien grâce à l’intervention russe, nombreux sont ceux qui ont affiché de sérieuses craintes quant à un éventuel forcing du 8 Mars dans le sens d’une normalisation des rapports entre Beyrouth et Damas, contre la volonté du Premier ministre et de ses alliés. On en veut pour preuve le fait que, sous l’ancienne équipe ministérielle Hariri, plusieurs ministres gravitant dans l’orbite du tandem chiite avaient outrepassé le veto catégorique du chef du gouvernement pour se rendre à Damas.

C’est d’ailleurs sous cet angle que certains milieux, qui suivent de près le dossier des réfugiés, interprètent le déplacement de Saleh Gharib à Damas. Dans ces milieux, on estime dans une confidence à L’Orient-Le Jour que cet acte de la part du ministre est une flagrante atteinte au prestige du Premier ministre, notamment dans son rôle dans la définition de la politique étrangère du pays. Il y a un camp bien déterminé qui exécute un agenda bien défini, profitant du silence du chef du gouvernement, déplore-t-on de même source, soulignant que contrairement à ce qu’aurait pu espérer M. Gharib et son camp, la rencontre avec le ministre syrien n’accélérera pas le retour des réfugiés, mais ne contribuera qu’à une intensification momentanée du retour des Syriens conformément aux mécanismes actuellement en vigueur.

Sauf que Saleh Gharib, dans une volonté manifeste de faire barrage aux accusations articulées autour du non-respect de la distanciation, n’a pas manqué de renvoyer la balle dans le camp de Michel Aoun et Saad Hariri. Interrogé par la chaîne al-Manar (organe télévisé du Hezbollah), il a fait savoir qu’il a visité la Syrie après coordination avec le chef de l’État et le Premier ministre. Des propos démentis par les milieux de la Maison du Centre, qui confient à L’OLJ que M. Gharib n’a pas notifié la présidence du Conseil de son déplacement. Celui-ci n’a donc pas été approuvé. Il s’agit ainsi, dit-on, d’« une visite privée » qui ne représente pas l’État libanais.

Mais cette attitude n’éclipse pas pour autant les interrogations autour de la position de Saad Hariri, et par extension du courant du Futur, quant à une violation de la politique de distanciation avalisée par la nouvelle équipe ministérielle. Contacté à ce sujet par notre journal, un proche du Premier ministre assure que « cela n’est pas à même d’embarrasser le gouvernement, encore moins de mettre M. Hariri au pied du mur », avant de souligner toutefois qu’il s’agit d’une « preuve de la présence de la Syrie et de ses alliés en Conseil des ministres », insistant sur le fait qu’il n’est pas question de normalisation.


(Lire aussi : Zarif aux responsables libanais : L'Iran peut contribuer à un retour "rapide" des réfugiés syriens)


Message à Joumblatt ?

Sur un autre registre, la visite de Saleh Gharib en Syrie ne saurait être dissociée du contexte des rapports particulièrement troublés entre Walid Joumblatt et le gouvernement en place d’une part, et le régime syrien de l’autre. À l’heure où M. Joumblatt s’en prend violemment au régime Assad, il semble être au centre de ce que les observateurs perçoivent comme « une campagne orchestrée par les alliés locaux de Damas visant à l’isoler ». À cela s’ajoutent, bien entendu, les récentes secousses qu’ont subies les relations entre la Maison du Centre et Moukhtara, notamment dans le cadre des tractations en vue de la formation du cabinet. À la faveur de cette logique, certains pourraient interpréter le déplacement du ministre d’État pour les Affaires des réfugiés comme un message politique adressé à M. Joumblatt aussi bien par le régime Assad que par les rivaux locaux de Moukhtara. Pour ce qui est des milieux de Saad Hariri, ils assurent à L’OLJ que le PSP est un allié stratégique et qu’il n’est pas question de l’abandonner.

Sans vouloir alimenter la polémique, un proche de Moukhtara estime tout comme les proches du Futur que cette visite est une preuve de « la présence de Ali Mamlouk lui-même » (l’un des principaux responsables sécuritaires d’Assad) en Conseil des ministres, assurant que cette question sera soulevée lors de la séance ministérielle prévue jeudi. D’autant que le Premier ministre devrait prendre une position claire à ce sujet. Quelques heures avant la visite de M. Gharib en Syrie, la politique de distanciation avait subi une autre infraction tout aussi grave. S’exprimant à l’issue d’un entretien avec son homologue turc, en marge de la Conférence de Munich pour la sécurité, le ministre de la Défense Élias Bou Saab a jugé « illégale toute présence turque sur le territoire syrien, sans approbation du régime », estimant qu’il s’agit d’une occupation. À l’heure où certains opposants dénoncent la position de M. Bou Saab comme allant à l’encontre de la posture officielle du Liban, l’ancien chef de l’État Michel Sleiman explique à L’OLJ que la distanciation ne signifie pas tolérer l’occupation d’un pays par un autre, précisant par la même occasion que sur ce plan le Liban converge avec la Ligue arabe. « Il faut que toutes les forces étrangères se retirent du territoire syrien », note-t-il, dénonçant le fait que c’est le Liban qui prend l’initiative en direction de la Syrie pour évoquer la question des réfugiés. Il reste que si la position de M. Bou Saab s’accorde avec celle de la Ligue arabe, elle reste néanmoins – hasard ou pas – parfaitement alignée sur celle du régime Assad.


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commentaires (8)

Vous savez quoi , mais c'est un secret qu'il faut savoir garder , Saad Hariri est d'accord, faut juste pas le divulguer . On applique ce qui a été convenu entre libanais.

FRIK-A-FRAK

13 h 04, le 19 février 2019

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Commentaires (8)

  • Vous savez quoi , mais c'est un secret qu'il faut savoir garder , Saad Hariri est d'accord, faut juste pas le divulguer . On applique ce qui a été convenu entre libanais.

    FRIK-A-FRAK

    13 h 04, le 19 février 2019

  • LA MARCHE EST LONGUE ET ARDUE ET LES JETTEURS DE BOIS DANS LES RUES NOMBREUX...

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 49, le 19 février 2019

  • Saleh Gharib, ministre d'Etat pour les Affaires des réfugiés se rend en Syrie, pays étranger, sans aviser le chef du gouvernement hétéroclite, Saad Hariri... Saleh Gharib a-t-il profité de l'occasion pour demander aux autorités syriennes de livrer au Liban l'assassin de Béchir Gemayel en 1982. Je souligne que Habib Chartouni, l'assassin de Béchir Gemayel est membre du PSNS pro-syrien, coule une vie douce, heureuse et protégée à Damas depuis 37 ans.

    Un Libanais

    12 h 40, le 19 février 2019

  • Cette attitude est une provocation gratuite au nouveau ministere et au premier Ministre. Une attitude regrettable et inappropriee question timing et ethique gouvernementale.

    Cadige William

    12 h 05, le 19 février 2019

  • Collaborer et coordiner avec les parties à même d’aider les réfugiés à regagner leur pays pour le bien du Liban ne considère en rien une atteinte à la soit disant “politique de distanciation” étant donné qu’il ne s’agit pas d’une ingérence dans un conflit quelconque. De même que citer le droit international pour décrire des faits telle que l’occupation turque du Nord de la Syrie ne constitue en rien une ingérence ni une violation de la politique de distanciation. Il faut arrêter de polémiquer à tout va et laisser les gens faire leur travail. Ce qui nous importe sont des résultats, on veut travailler, vivre, manger, dignement.

    Chady

    09 h 58, le 19 février 2019

  • D’emblée je dis que pour moi le régime Syrien est un régime forban, flibustier et assassin, il a détruit mon pays et continue à le faire. Mais c’est un régime qui est là, qui existe et qui est nocif. Nous devons être objectifs. Ne pas nous comporter comme avec Israël qui est encore plus perfide que la Syrie à notre égard, mais qui pour nous n’existe pas. C’est le vent qui a envahi notre Liban Sud, a détruit avec son aviation notre infrastructure et continue de le faire alors qu’il est courtisé par les royaumes arabes du pétrole sensés être ses ennemis et nos frères, ce qui se passe est juste le contraire. Il faut que les Libanais grandissent, deviennent adultes. Voient où réside leur intérêt. Pour notre malheur Dieu nous a donné les pires voisins au monde, tentons de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Georges Tyan

    Lecteurs OLJ 3 / BLF

    08 h 53, le 19 février 2019

  • « Nous sommes en contact avec la Syrie et chaque ministre est libre de s’y rendre. » Non monsieur! Chaque ministre n'est pas libre de faire ce qu'il veut! Ul ne peut, en particulier, agir à l’encontre des décisions du gouvernement dont il fait partie. Devant une telle indiscipline, Hariri devrait exiger la démission des ministres en question, faute de quoi, il présenterait la sienne. Bien sûr, cela dans le cadre d'un état de droit ... un rêve!

    Yves Prevost

    08 h 18, le 19 février 2019

  • Je propose que tout ceux qui refusent de dialoguer avec le regime syrien, prenne en charge tous les refugies a leur frais... l’etat libanais ne peut tolerer, ni supporter toutes ces personnes sur son territoire, sans raison valable, surtout qu une grande partie de la syrie est maintenant liberer...

    Bee S

    07 h 35, le 19 février 2019

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