Sauf surprise, le Liban devrait finir l’année sans nouveau gouvernement, alors que ce dernier aurait être en principe formé dans la foulée des législatives de mai. Une paralysie dénoncée par le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, dans un discours prononcé samedi à Touline (Nabatiyeh) et dans lequel il a évoqué les risques qu’elle faisait peser sur la stabilité financière du pays.
« La crise économique (…) a commencé à se transformer en crise financière », a notamment déclaré le ministre, avant d’affirmer qu’il « espérait » qu’elle ne provoque pas « une crise monétaire ». « Tout retard (NDLR : dans la formation du gouvernement) aura des conséquences négatives », a-t-il ajouté, soulignant que le nouvel exécutif avait déjà « des dizaines de dossiers sur la table » et devait également se tenir prêt pour faire face à « des changement majeurs au niveau régional », en référence à l’évolution de la situation en Syrie. L’agence d’information financière Bloomberg a repris l’avertissement du ministre, qui était cité par l’Agence nationale d’information.
(Pour mémoire : Goldman Sachs s’interroge sur la pérennité du système financier libanais)
Urgence réelle
« Si l’urgence évoquée par le ministre sortant est bien réelle, ses déclarations constituent davantage un rappel sur l’urgence de former un gouvernement capable de lancer rapidement des réformes que sur une subite détérioration de la situation qui serait survenue ces derniers jours », analyse pour L’Orient-Le Jour le chef du département des recherches à Byblos Bank, Nassib Ghobril. « Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des responsables utilisent la situation financière du pays comme argument pour défendre leur position au niveau politique », note-t-il encore. De fait, le ministre issu du mouvement Amal a été récemment pris à partie par le député du Courant patriotique libre Ziad Assouad (voir page 2). Contacté par L’Orient-Le Jour, le service de presse du ministère n’a pas réagi.
« Les enjeux sont connus : le déficit public a dévissé (4,5 milliards de dollars à fin septembre, soit + 124 % en un an), la croissance a été revue à la baisse (la Banque mondiale anticipe une hausse de 1 % du PIB en 2018) et le pays doit absolument lancer les réformes qu’il s’est engagé à entreprendre pour obtenir les 11 milliards de dollars d’aides en prêts et dons promis par ses soutiens lors de la Conférence de Paris (dite CEDRE) en avril, entre autres paramètres », résume-t-il. La crise du secteur immobilier, provoquée par la suspension des mécanismes de la Banque du Liban pour subventionner les intérêts sur les prêts au logement, le ralentissement de la croissance des dépôts bancaires, pénalisés aussi bien par la paralysie politique que par la hausse des taux d’intérêt américains, ou encore la hausse de la dette publique (84 milliards à fin octobre, soit +7,1 % en un an), constituent d’autres motifs d’inquiétude.
Il reste que la mise en garde de M. Khalil sur les conséquences d’un prolongement du blocage de la formation du gouvernement a déjà été martelée par plusieurs observateurs ces derniers mois.
Début décembre, l’ambassadeur de France au Liban, Bruno Foucher, a par exemple affirmé craindre que des donateurs présents lors de la Conférence de Paris (CEDRE) en avril annulent leurs engagements, emboîtant le pas au vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Ferid Belhaj, qui avait lancé un avertissement similaire en novembre.
Toujours en décembre, Moody’s a indiqué miser sur le fait que le gouvernement pouvait encore être rapidement formé et qu’il lance une partie des réformes budgétaires attendues pour justifier en partie sa décision de maintenir la note souveraine du Liban à « B3 » (avec une perspective toutefois rabaissée de « stable » à « négative » ). Même pari du côté de Fitch, qui s’est aligné sur Moody’s ( « B- » avec perspective « négative » ) tandis que la troisième principale agence de notation financière, Standard & Poor's n’a pas encore révisé son évaluation. Des diagnostics similaires ont également été établis par la Banque mondiale ou encore le Fonds monétaire international, pour ne citer que ceux-là.
Moins optimiste, Charbel Nahas, chef du mouvement « Citoyens et citoyennes dans l’État » issu de la société civile, a estimé, dans une interview publiée vendredi par le Commerce du Levant, que le Liban était « entré en phase de précrise », évoquant une situation que le « système politique actuel » ne pouvait pas « éviter » et à laquelle il ne pouvait « faire face ». L’ancien ministre du Travail et des Télécoms a également préconisé la mise en œuvre d’ « un processus de correction financière, économique et sociale impliquant une répartition équitable et juste des risques et des pertes » pour redresser la situation.
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commentaires (8)
Il me semble que le déficit public provient essentiellement du service de la dette de l'Etat. C'est alarmant certes mais ce n'est pas mortel. Si la situation ira mieux ce type de déficit est résorbable à long terme.
Shou fi
01 h 02, le 02 janvier 2019