Ce ne fut pas pour Noël. Ce ne sera pas davantage pour le Nouvel An. Le processus de formation du nouveau gouvernement est grippé. En attendant l’inévitable relance des efforts qui, tôt ou tard, se produira en 2019, le Premier ministre continue de se murer dans un mutisme déroutant. Pour sa part, le chef de l’État attend que la crise soulevée par l’échec de la dernière tentative de former le gouvernement se tasse pour proposer quelque chose.
La crise est désormais « une crise de régime et non plus une simple crise ministérielle », estime-t-on en haut lieu. Derrière tout ce qui se passe se profile un changement de la règle du jeu constitutionnelle, comme l’a affirmé, mardi, à Bkerké, après la messe de Noël, le chef de l’État lui-même, qui a demandé par la même occasion aux Libanais de prier, en philosophant sur l’impermanence.
Dans le temps mort que traverse le pays, une mise en garde et un projet de rechange ont été avancés, un peu pour l’honneur. La mise en garde est venue de Marwan Hamadé, qui a rappelé qu’un retard supplémentaire dans la formation du gouvernement réveillera la rue ; une rue qui, du reste, est déjà en train de bâiller et de s’étirer.
Le projet de rechange est venu du député aouniste, le général Chamel Roukoz, qui a proposé la formation d’un cabinet de 14 grandes compétences, où l’élément économique et financier dominerait. L’intérêt de la proposition du général Roukoz, qui rejoint en partie l’opinion du patriarche maronite – et de bien des Libanais de bon sens –, c’est qu’elle est assortie d’une proposition d’une nouvelle conférence de dialogue, à Baabda. Car en tout état de cause, qu’un gouvernement restreint soit d’actualité ou non, il semble que la convocation d’une conférence de cette nature soit désormais inévitable, si l’on veut que la crise actuelle soit résolue sur le fond, au sein des institutions, et non pas dans la rue. C’est l’avis du député Chamel Roukoz, tel que recueilli hier soir par L’OLJ, qui affirme que « le pays ne peut plus continuer ainsi, otage des jeux de pouvoir des féodaux, des corrompus, de l’argent, des armes et des milieux religieux », et, citant un rapport économique faisant état de 2 000 PME ayant mis la clé sous la porte en 2017, rappelle l’urgence d’un plan de relance économique. Et l’ancien officier d’affirmer, défendant son projet de cabinet restreint, que « la formation d’un gouvernement de trente désaccordé, hétérogène, ne donnera pas plus de résultats que n’en a donné l’actuelle équipe ».
(Lire aussi : Salah Honein : Nous sommes en présence d’une dictature collégiale)
Le peuple boit la tasse
En attendant que ça se tasse, c’est le peuple qui boit la tasse. « Moteur éteint », le courant du Futur fait le mort. Les six députés à l’origine du blocage, eux, se sont à nouveau réunis hier pour réaffirmer leur volonté de voir le ministre nommé les représenter « exclusivement ». Sur les réseaux sociaux, la guerre CPL-Hezbollah fait rage, mais dans les cercles du Courant patriotique libre, on insiste sur le fait que les attaques dirigées contre Gebran Bassil atteignent en fin de compte Michel Aoun et son mandat.
Est-ce vraiment la cassure ? Dans les milieux informés, on affirmait hier qu’aucune des deux parties n’a intérêt à le dire, même si dans les cercles favorables au président de la République, on affirme que ce dernier s’est senti trahi. Et ces milieux de rappeler que Michel Aoun a été « surpris » quand, sur le point de voir le gouvernement formé, le Hezbollah a exigé un portefeuille ministériel pour les sunnites du 8 Mars et que, plaidant en faveur d’un Premier ministre « fort », il s’est retrouvé devant le diktat du Hezbollah qui, un comble, a justifié sa décision par un impératif « éthique ».
Dans les conversations de Bkerké, on entend dire désormais souvent « qu’il n’y a plus qu’un décideur, le Hezbollah », et que « les deux personnes qui ont le pouvoir constitutionnel sont désormais incapables de gérer la crise ».
(Lire aussi : Gouvernement : derrière le problème de forme, une question de fond)
Rapports politiques modifiés
Estimant que les élections législatives de mai dernier ont modifié le rapport des forces politiques, le Hezbollah, rappelle-t-on, exige que le nouveau gouvernement reflète cette modification à travers un portefeuille ministériel qui irait à un ministre représentant la « Rencontre consultative », un bloc politique de six députés sunnites relevant de trois blocs parlementaires différents, et qui se dit néanmoins indépendant.
Ce faisant, le Hezbollah s’arrange pour obtenir le tiers de blocage de 11 ministres qu’il accuse le chef du Courant patriotique libre de rechercher, de façon détournée, en attribuant le portefeuille ministériel revenant aux sunnites indépendants à Jawad Adra, à charge pour ce dernier d’être intégré au CPL et de lui faire allégeance, plutôt qu’au bloc des sunnites dissidents.
« Deux choses ne se répètent pas, a dit hier dans un tweet laconique M. Adra, le bien que vous faites, et le mal qu’on dit de vous. »
Toujours est-il que le processus de formation du gouvernement est aujourd’hui engagé dans un cercle vicieux qui tient à un ministre de plus ou de moins, une question sur laquelle s’est greffée, en dernière minute, une ruée sur certains portefeuilles ministériels juteux, comme celui de l’Environnement, où des fonds de 1,4 milliard de dollars seront injectés à la faveur de la conférence CEDRE, et un rejet de certains autres, comme celui de l’Information, dont plus personne ne veut.
Lire aussi
La voix du peuple, en toute liberté de Fady Noun
Les sunnites pro-Hezbollah exigent à nouveau de nommer un ministre
Une querelle Hezbollah-CPL à l’origine du dernier blocage
Pour Raï, les responsables du blocage « ont gâché la joie des fêtes »
Gouvernement : Bassil en élément-surprise de blocage
La contagion des gilets jaunes a-t-elle atteint le Liban ?
Gouvernement : pas aussi rapide que prévu, la dernière ligne droite...
commentaires (16)
Mr. Aoun ne peut rien faire sans l'accord du Hezbollah et oui c'est comme ça , pourquoi on ne change pas de premier ministre? Moi j'aime Saad Hariri
Eleni Caridopoulou
19 h 08, le 31 décembre 2018