Une polémique autour des attributions du président de la République et du Premier ministre désigné opposait vendredi le chef de l'Etat, Michel Aoun, et Premier ministre désigné, Saad Hariri, par communiqués interposés, le Premier ayant fait savoir qu'il pourrait bientôt s'adresser au Parlement pour débloquer la crise gouvernementale.
La présidence de la République libanaise a affirmé aujourd'hui que des informations dans les médias selon lesquelles le chef de l'Etat aurait fixé un délai au Premier ministre désigné pour former un gouvernement de 32 ministres étaient "imprécises", mais a assuré que Michel Aoun était "dans son droit" de s'adresser directement au Parlement pour débloquer la crise gouvernementale.
Selon des informations concordantes obtenues par L'Orient-Le Jour, Le président Aoun pourrait s'adresser au Parlement lundi.
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"Propos sortis de leur contexte"
"Les médias et les réseaux sociaux ont relayé des propos attribués au chef de l'Etat, Michel Aoun, au sujet de la formation du gouvernement. Le bureau de presse de la présidence assure que les propos attribués au chef de l'Etat étaient imprécis, et qu'une partie de ces propos ont été sortis de leur contexte et ont été interprétés de manière contradictoire et en désaccord avec les positions exprimées par le président Aoun à plusieurs occasions, notamment en ce qui concerne le recours au Parlement au sujet de la formation du gouvernement", a affirmé la présidence.
Elle explique ensuite que "le chef de l'Etat estime que le droit de désigner un Premier ministre a été accordé aux députés par la Constitution via les consultations parlementaires contraignantes (article 53 alinéa 2). En conséquence, et si l'impossibilité de former un gouvernement persiste, il est naturel que le chef de l'Etat mette cette question entre les mains du Parlement afin qu'il agisse en conséquence".
Saad Hariri n'a toujours pas réussi à former son gouvernement depuis qu'il a été désigné en mai dernier au lendemain des élections législatives. Le dernier obstacle en date est celui de l'inclusion d'un ministre sunnite proche du Hezbollah et du régime syrien de Bachar el-Assad, une demande catégoriquement refusée par M. Hariri.
Le ministre sortant des Affaires étrangères et chef du Courant patriotique libre (CPL, fondé par Michel Aoun) Gebran Bassil, mandaté par le chef de l'Etat pour tenter de trouver un compromis, a récemment avancé l’idée, soutenue par le président de la Chambre, Nabih Berry, d’élargir à 32 la formule d’un cabinet de trente ministres.
À la faveur de la nouvelle formule, un ministre alaouite (qui serait inclus sur la part du Premier ministre) et un autre représentant les minorités pourraient être associés à la future équipe ministérielle, de sorte à ce que la participation d’un sunnite prosyrien ne vienne pas réduire en nombre la part réservée au Premier ministre désigné.
Selon certains médias, une rencontre qui a eu lieu hier entre M. Bassil et le Premier ministre désigné s'est mal passée.
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"Inacceptable"
Dans un communiqué publié par le bureau de presse de M. Hariri, une source proche du Premier ministre désigné a rappelé que celui-ci "assume ses responsabilité et a déployé tous ses efforts afin de former un gouvernement qui regroupe toutes les composantes politiques du pays". "La mouture (présentée par Saad Hariri) a été avalisée par le chef de l'Etat et la plupart des formations politiques concernées, avant qu'elle ne soit bloquée après des appels à accorder un poste ministériel à un bloc parlementaire constitué dans la dernière ligne droite du processus", affirme cette source, en référence aux députés sunnites pro-Hezbollah.
Elle rappelle que Saad Hariri était "prêt à former un gouvernement avec les force politiques qui ont répondu présent", en dénonçant les "tentatives de rejeter la responsabilité sur le Premier ministre désigné".
Par ailleurs, la source proche de Saad Hariri a fait savoir que celui-ci "préfère travailler sur une mouture à 30 ministres", et que la proposition d’élargir l'équipe à 32 ministres "ne correspond pas à la manière habituelle de former les gouvernements".
"Remettre cette proposition sur la table afin de justifier la représentation des six députés (sunnites) en créant un précédent dans la formation des gouvernements est inacceptable, et le Premier ministre désigné a clairement fait savoir qu'il s'y opposait", ajoute la source.
Enfin, cette source a fait savoir que "personne ne conteste le droit du président de la République d'adresser une lettre au Parlement. Il s'agit d'une prérogative indiscutable, tout comme on ne devrait pas porter atteinte aux prérogatives du Premier ministre désigné en lui imposant de nouveaux usages en contradiction avec la Constitution et le Pacte national". La source rappelle toutefois que "la coopération entre le président de la République et le Premier ministre a permis de revaloriser les institutions étatiques. (...) Le succès du mandat (du président Aoun) est un succès pour tous les Libanais".
Dans la soirée, le ministre de la Justice, Salim Jreissati, a souligné qu'"avoir recours au Parlement est en accord avec le régime parlementaire et démocratique libanais, le Parlement n'étant pas une simple autorité formelle". "La Chambre peut prendre des décisions et formuler des recommandations, elle est la première concernée par la question de la formation du gouvernement", a-t-il ajouté. M. Jreissati a appelé les détracteurs de la décision du président de s'adresser à la Chambre à "arrêter de se cacher derrière la Constitution".
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commentaires (10)
Pourquoi faire? Alors qu'il lui suffit d'apposer sa signature au bas de la liste de 30 présentée par Hariri et sur laquelle il était tombé d'accord avec son Premier Ministre, avant l'intervention du Hezbollah.
Yves Prevost
07 h 51, le 08 décembre 2018